« C’est l’organisation du marché qui commande » : le Sénat écarte la renationalisation d’EDF en commission

« C’est l’organisation du marché qui commande » : le Sénat écarte la renationalisation d’EDF en commission

En commission, le Sénat est revenu sur la renationalisation d’EDF votée par l’Assemblée nationale. De même, le rapporteur LR, Gérard Longuet, écarte « l’incessibilité » des capitaux d’EDF prévue par le texte, et attend la réforme du marché européen de l’électricité : « C’est l’organisation du marché qui commande. »
Louis Mollier-Sabet

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« On a tout changé », confie d’emblée Gérard Longuet, rapporteur LR de la proposition de loi visant à « protéger EDF d’un démembrement. » Et le feuilleton n’est probablement pas terminé. Lors de sa déclaration de politique générale, le 6 juillet 2022, Élisabeth Borne avait ouvert le dossier EDF, en pleine crise énergétique à cause de la guerre en Ukraine. La Première ministre avait alors annoncé une montée au capital de l’Etat pour arriver progressivement à 100 %. La forme s’était ensuite précisée, avec le choix d’une OPA à 12 euros l’action, pour que l’Etat rachète progressivement les 16 % du capital d’EDF détenus par des actionnaires minoritaires. Des réponses techniques qui n’avaient pas vraiment répondu aux questions qui entourent l’avenir d’EDF, tant sur la relance du parc nucléaire, que sur la tarification de l’électricité – la fameuse Arenh – ou l’avenir du marché européen de l’électricité.

La proposition de loi socialiste : « Protéger EDF d’un démembrement »

Face à ces incertitudes, le 9 février dernier, les députés socialistes ont fait adopter par l’Assemblée nationale, contre l’avis du gouvernement, une proposition de loi visant à « protéger EDF d’un démembrement. » Le texte défendu par le député PS Philippe Brun comportait deux articles : d’une part la renationalisation de la part du capital d’EDF qui n’est pas encore détenue par l’Etat (10 % au 19 janvier 2023) et d’autre part l’inscription dans la loi de « l’incessibilité » du capital d’EDF.

La proposition de loi aborde donc deux questions. D’abord, à court terme, la forme juridique et financière de la montée à 100 % de l’Etat au capital d’EDF. Dans tous les cas, le but est bien que l’Etat possède l’ensemble des capitaux financiers de l’entreprise. Mais, face au choix d’un simple rachat des actions par l’Etat au-dessus du prix de marché (12 euros contre 9 euros avant l’annonce d’Élisabeth Borne), l’Assemblée nationale s’est prononcée en faveur d’une « renationalisation », qui fixe dans la loi la propriété publique d’EDF.

« Nous ne voulons pas renationaliser »

Un point important puisqu’une éventuelle privatisation – totale ou seulement de certaines activités – devrait donc passer par une nouvelle évolution législative. L’absence de consultation du Parlement sur le sujet avait ému les sénateurs de tous bords au moment de l’annonce d’Élisabeth Borne dans son discours de politique générale. Pour autant, la commission des Finances a adopté ce mercredi matin la rédaction de la proposition de loi de Gérard Longuet qui supprime l’article 1er et revient donc sur cette renationalisation.

Le rapporteur LR explique vouloir simplement « permettre au gouvernement de monter à 100 % », et revenir, donc, au dispositif choisi à l’été dernier. Gérard Longuet précise simplement vouloir « prévoir quelque chose » pour les 2 % d’actions détenues par des salariés d’EDF, rachetées au-dessus du prix de marché, mais largement en dessous du prix d’achat dans les années 2000 (entre 30 et 75 euros l’action). Cela pourrait passer par de la participation et de l’intéressement en compensation, ou en tout cas un « geste » de l’Etat, poursuit le sénateur LR de la Meuse.

Une nouvelle « réorganisation » d’EDF, malgré l’abandon des projets Hercule et Grand EDF ?

Mais le débat principal se situe sur les perspectives stratégiques et financières du groupe, comme l’a indiqué Élisabeth Borne dans la lettre de mission du nouveau PDG d’EDF, Luc Rémont. La proposition de loi socialiste entendait anticiper pour empêcher une éventuelle « réorganisation interne » qui était prévue dans les projets « Hercule » et « Grand EDF », successivement abandonnés par l’exécutif.

Le projet « Grand EDF » prévoyait par exemple prévu de scinder le groupe en trois : EDF Bleu pour gérer le nucléaire, EDF Azur pour l’hydroélectricité et EDF Vert pour les renouvelables, et éventuellement ouvrir à la concurrence certaines activités lucratives, sur le modèle de la séparation de SNCF Réseau et SNCF Mobilités en 2019.

La proposition de loi socialiste affirme que les « travaux conduits dans le cadre de l’examen [du budget de l’Etat] ont mis à jour la persistance d’une volonté de réorganisation interne du groupe ultérieure à la montée au capital de l’État. » Ainsi l’article 2 de la version du texte votée à l’Assemblée énumérait les activités qu’EDF devait exercer a minima, et fixait les principes de détention publique de l’intégralité du capital et de son incessibilité, afin d’empêcher une telle « réorganisation » sans nouveau vote au Parlement.

Nucléaire : vers un système de financement « à l’anglaise » ?

Là aussi, la position de la commission des Finances a différé. Gérard Longuet explique que la forme d’EDF définie par le texte voté à l’Assemblée était « extrêmement contraignante » alors que « c’est l’organisation du marché qui commande » : « De toute façon l’avenir d’EDF sera défini quand on connaîtra les nouvelles règles du marché européen et les dispositifs qui permettront le financement de l’énergie nucléaire. » Une position qui a valu à sa permanence parlementaire d’être « mise en sobriété énergétique », a annoncé à midi la CGT Energie, selon les informations du journaliste de Politico, Alexandre Léchenet.

Le rapporteur de la proposition de loi veut se laisser des portes ouvertes, et notamment à des systèmes de financement « inspirés d’Hinkley Point », une centrale nucléaire anglaise, dont l’extension a été décidée en 2012 et dans laquelle EDF est engagé, avec une mise en service pour le moment reportée à juin 2027. « Dans l’énergie nucléaire, il y a d’énormes besoins capitalistiques, mais ensuite des coûts de production stables », poursuit Gérard Longuet. « Donc, il faudrait que quand l’électricité est très chère, EDF rembourse, et que quand l’électricité est moins chère, EDF soit soutenue par le gouvernement. »

« C’était le système anglais avant qu’ils quittent l’UE, il faudrait essayer de l’obtenir en France, cela nous donnerait des perspectives de financement beaucoup plus favorables », conclut le rapporteur LR. Les orientations prises par la majorité sénatoriale semblent donc – sans surprise – différentes de celles prises par l’Assemblée nationale, alors que 17 députés LR sur 61 ont voté le texte. Le texte sera examiné en séance publique le 6 avril prochain au Sénat, et devra ensuite repasser devant chacune des chambres pour une seconde lecture, avant qu’un compromis soit conclu – ou pas – dans la désormais fameuse commission mixte paritaire.

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