Carte judiciaire : Belloubet sur le grill des sénateurs après les révélations du Canard enchaîné
Auditionnée par les sénateurs, la ministre de la Justice dément tout « critère partisan » pour la future carte judiciaire. La ministre se défausse et dit ne pas avoir été au courant d’une réunion à Matignon sur le sujet, ni être à l’origine d’un mail de son cabinet, « parti sur instruction ni de moi ni de personne ».

Carte judiciaire : Belloubet sur le grill des sénateurs après les révélations du Canard enchaîné

Auditionnée par les sénateurs, la ministre de la Justice dément tout « critère partisan » pour la future carte judiciaire. La ministre se défausse et dit ne pas avoir été au courant d’une réunion à Matignon sur le sujet, ni être à l’origine d’un mail de son cabinet, « parti sur instruction ni de moi ni de personne ».
Public Sénat

Temps de lecture :

6 min

Publié le

Mis à jour le

Dans la polémique sur la carte judiciaire, la garde des Sceaux, a sorti de son jeu une carte spéciale : la carte « ce n’est pas moi, c’est mon cabinet, je n’étais pas au courant mais ce n’est pas bien ». Carte très rare, mais très pratique. Voilà, en substance, la réponse qu’a tenté d’apporter Nicole Belloubet aux sénateurs de la commission des lois, pour tenter de désamorcer la polémique. Pendant une heure, les sénateurs ont cuisiné la ministre à tour de rôle. Normal, l’audition avait lieu à l’heure du déjeuner.

La réforme de la carte judiciaire liée aux résultats électoraux d’En marche ?

Les révélations, la semaine dernière, du Canard enchaîné, sur un document émanant de la Chancellerie, « interrogent », comme l’a dit pudiquement Philippe Bas, président LR de la commission des lois. Selon le journal, la réforme de la carte judiciaire qui se prépare serait liée aux résultats électoraux d’En marche… Certains juges d’instruction traitant moins de 50 dossiers par an vont disparaître. Mais comment choisir les villes concernées ? Les bons ou mauvais scores aiguillonneraient la décision du gouvernement, tableaux électoraux à l’appui, et si possible après les municipales.

Le journal publie aussi la retranscription d’une note « confidentielle » où le ministère de la Justice sollicite « une réunion avec Xavier Chinaud », conseiller politique d’Edouard Philippe, et « les experts des élections municipales de La République en marche » afin de déterminer les communes potentiellement concernées « qui représenteraient des cibles électorales pour les municipales afin de faire différer les annonces ».

La garde des Sceaux « ne conteste pas » les documents du Canard. Malgré ces révélations, Nicole Belloubet s’est voulue rassurante devant les sénateurs, comme elle a cherché à l’être dans les médias ou devant les députés :

« Il n’est, pour moi, absolument pas envisageable qu’une décision (…) puisse être fondée sur des critères partisans. C’est extrêmement clair. Et ce serait éthiquement insupportable et démocratiquement tout à fait inadapté que de prendre des décisions sur la base de critères partisans »

En revanche – et c’est là que les explications de la ministre se compliquent – « une décision publique doit en revanche prendre en compte un contexte politique. J’entends politique au sens large du terme, au sens de Polis, au sens de vie de la cité », soutient-elle. Autrement dit, c’est un critère parmi d’autres, comme « la distance ». Les sénateurs restent sceptiques.

« Phrases inadaptées »

Elle minimise ce qu’elle qualifie de « document de cabinet à cabinet. Ce n’est pas une note de l’administration, qui est partie de mon cabinet. (Et le document) a été adressé au cabinet du premier ministre ». Elle reconnaît que « les phrases qui sont inscrites dans le mail qui a accompagné ce tableau, la phrase citée par le Canard enchaîné, (lui) semblent tout à fait inadaptées ».

Mais à l’écouter, elle n’était tout simplement pas au courant de l’échange, qui s’est passé qui plus est « nuitamment ». « Ce mail n’est parti sur instruction ni de moi ni de personne » soutient la ministre, dont le cabinet semble bien tenu… Elle ajoute :

« Il y a eu une réunion à Matignon. D’après ce qu’on m’en a dit, c’était une réunion d’échange autour de l’évolution des juridictions »

Il est 13 heures, et les sénateurs restent sur leur faim. François Bonhomme, sénateur LR du Tarn-et-Garonne s’étonne que « l’expert électoral de Matignon » soit évoqué dans le mail. Dans « cette affaire où vous êtes un peu embourbée », lance Marie-Pierre de la Gontrie à la ministre, la sénatrice PS tente une explication, non sans un certain mordant, en citant Michel Rocard :

« Toujours préférer l’hypothèse de la connerie à celle du complot. La connerie est courante, le complot exige un esprit rare »

« Je rejette toute analyse partisane », « mais le contexte politique mérite d’être pris en compte » répète la ministre, en boucle. On peut ramer et faire du surplace. Elle insiste : « Ce n’est pas une note, c’est un courriel », « pour moi, il n’y a pas de maladresse et c’est un texte qui est inapproprié par rapport à la politique que nous mettons en place ». A force, la ministre s’emmêle un peu les pinceaux et s’emble se contredire, par rapport au début de l’audition : « Les résultats électoraux sont des données objectives (…) Ce sont des données d’analyse partisane qui ne relèvent pas d’une analyse politique ».

« Je n’étais pas au courant de la tenue de la réunion »

Philippe Bas revient à la charge, en ouvrant une porte de sortie piégeuse pour la ministre, en sous-entendant que la responsabilité est à chercher du côté de Matignon : « Cet échange se fait non pas avec le conseiller justice du premier ministre, mais le conseiller élection (du premier ministre). J’entends que vous désavouez, d’une certaine façon, la manière de prendre en compte la réforme. Mais ce sont bien vos collaborateurs qui semblent en prendre l’initiative ». « C’est un travail de cabinet à cabinet » se borne à répondre une Nicole Belloubet, qui ne dévie pas de sa ligne et ses éléments de réponse, solidarité gouvernementale oblige. Dure vie de ministre. « Je vous félicite pour votre impassibilité » ironise le socialiste Jean-Pierre Sueur.

Devant l’insistance des sénateurs, qui ne comprennent pas qu’aucune sanction n’ait été prise en interne, la ministre répond qu’« il n’y a pas eu de suite, puisque que je n’étais pas au courant de la tenue de la réunion, avant qu’elle ait eu lieu. (…) On me tient au courant des réunions, avant ou après, que lorsqu’elles ont un caractère décisionnel suffisamment dense ». En dépit d’« une phrase inopportune », elle « renouvelle » au passage sa « confiance aux membres de (son) cabinet », en particulière son « directeur des services judiciaires (qui) n’est pas du tout partie prenante dans ce sujet-là ». Regardez :

Note révélée par le Canard enchaîne : un texte « inapproprié », reconnaît Belloubet
01:19

« Nous sommes peut-être devant un scandale d’Etat »

Pour le dessert, Patrick Kanner, président du groupe PS, lâche sa question. En ancien ministre des Sports, il s’étonne pour le moins : « Il n’est pas possible qu’un collaborateur ait pu envoyer une telle note sans prévenir son patron. Ou alors, il faut le virer ou au moins savoir ce qui s’est passé. Etiez-vous informée – nous ne sommes pas en commission d’enquête, mais ça pourrait le devenir – et si vous ne l’étiez pas, quelles conséquences en tirez-vous, y compris sur votre solidarité gouvernementale ? Car nous sommes peut-être devant un scandale d’Etat »… Même topo de la ministre de la Justice : « Vous pouvez avoir confiance ».

Partager cet article

Dans la même thématique

Carte judiciaire : Belloubet sur le grill des sénateurs après les révélations du Canard enchaîné
2min

Politique

Assassinat du petit frère d’Amine Kessaci : revoir le documentaire sur le combat  contre le, narcotrafic du militant marseillais 

Mehdi, le petit frère d’Amine Kessaci, jeune militant écologiste marseillais, connu pour son combat contre le narcotrafic, a été tué par balles jeudi soir à Marseille. En 2020, c’est l’assassinat de son grand frère Brahim, qui avait conduit le jeune garçon à s’engager en politique. Son parcours est le sujet du documentaire « Marseille, des larmes au combat », Anaïs Merad, à revoir sur Public Sénat.

Le

Carte judiciaire : Belloubet sur le grill des sénateurs après les révélations du Canard enchaîné
3min

Politique

Projet de loi anti-fraudes : « C’est un objet politique qui vise essentiellement à montrer du doigt la fraude sociale »

Invités sur le plateau de Parlement Hebdo, le sénateur Bernard Jomier (Place Publique) et le député Sylvain Berrios (Horizons) sont revenus sur le projet de loi pour lutter contre les fraudes fiscales et sociales, examiné par la Chambre haute depuis mercredi. La majorité rassemblant les élus de la droite et du centre au Sénat ont affermi le texte en commission, y ajoutant une batterie de mesures qui ne fait pas consensus.

Le

13-UNIS : la course en hommage aux 10 ans des attentats de novembre 2015
5min

Politique

Commémoration du 13 novembre : 10 ans après les attentats, la menace terroriste « s’accroît »

Alors que la France rend hommage aux victimes des attentats de Paris de 2015, le ministre de l’Intérieur a appelé les préfets à « renforcer les mesures de vigilance ». Le procureur national antiterroriste (Pnat) Olivier Christen, indique même que la menace terroriste, jihadiste, d’ultradroite ou émanant d’Etats étrangers « s’accroît ».

Le

France Paris Shooting
4min

Politique

Attentats du 13 novembre 2015 : dix ans après, comment les lois antiterroristes ont évolué ?

Dix ans après le traumatisme des attentats du 13 novembre 2015, le cadre juridique permettant la prévention et la répression d’actes terroristes a largement évolué. Après les attaques du Bataclan, des terrasses parisiennes et du Stade de France ayant fait 131 morts et plus de 400 blessés, la France avait basculé dans l’état d’urgence, un régime juridique d’exception qui a influencé les évolutions législatives.

Le