« Clientélisme électoral », « enfumage » : le Contrat d’engagement jeune critiqué au Sénat

« Clientélisme électoral », « enfumage » : le Contrat d’engagement jeune critiqué au Sénat

Le président de la République a annoncé, mardi 2 novembre, le lancement d’un « contrat d’engagement jeune » pour les moins de 26 ans, sans formation ni emploi depuis plusieurs mois. Au Sénat, l’opposition pointe le « recyclage » de dispositifs préexistants et dénonce « le caractère électoraliste » d’une mesure qui entrera en application en mars prochain, moins de 2 mois avant l’élection présidentielle.
Public Sénat

Par Héléna Berkaoui

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« La génération confinement peut être celle d’un nouvel élan », écrit le président de la République sur son compte Facebook à l’occasion du lancement du « Contrat d’engagement jeune », mardi 2 novembre. Moins ambitieux que prévu, ce dispositif concerne les jeunes de moins de 26 ans sans formation, ni emploi depuis plusieurs mois.

Ces derniers « pourront bénéficier de 15 à 20 heures d’accompagnement par semaine pour découvrir un métier, se former, trouver un apprentissage ou un emploi. Une allocation pouvant aller jusqu’à 500 euros par mois pourra être versée sous condition de revenus, d’assiduité et d’acceptation des offres d’activité faites ».

Lors d’un point presse, le Premier ministre a détaillé le dispositif : « du cousu main », « fondé sur une logique de droits et de devoirs », qui mise « sur l’intensité de l’accompagnement » pour « une durée adaptée mais limitée dans le temps ». Le versement de cette allocation ne pourra excéder 12 mois sauf cas très particuliers.

Ce contrat d’engagement ne sera pas seulement à la charge des missions locales, comme c’était le cas pour la garantie jeune. Les agences de pôle emploi et d’autres opérateurs seront aussi mobilisés sur ce dispositif pour prendre en charge tous ceux qui sont sortis des radars ». Une application sur mobile à destination de ces jeunes verra également le jour.

Financement : 550 millions d’euros prévus par voie d’amendement

Au niveau du financement, Jean Castex a annoncé le dépôt d’un amendement dans le cadre du projet de loi de Finances (PLF) pour 2022 afin d’octroyer 550 millions d’euros à ce dispositif. Environ 2 millions d’euros seront également récupérés sur l’enveloppe du programme « 1 jeune, 1 solution ». Un budget qui se situe loin des 1 à 2 milliards d’euros évoqués cet été.

Ces fonds devront notamment permettre la création de référents pour accompagner ces jeunes. Aujourd’hui, certains conseillers « suivent parfois jusqu’à 120 jeunes en même temps » et « 35 % des jeunes suivis en mission locale restent sans solution au bout de 6 mois », admet Jean Castex.

Pour le président du groupe socialiste au Sénat, Patrick Kanner, cette annonce relève de « l’enfumage » : « On transforme le nom d’un système qui existe déjà, la garantie jeune, et on supprime un dispositif qui fonctionne bien ». L’ancien ministre de la Jeunesse du quinquennat Hollande s’inquiète ici du devenir de la garantie jeune. Un dispositif qui a fait ses preuves. Au ministère du Travail, on assure que la garantie jeune sera simplement « fondue » dans le dispositif du contrat d’engagement.

« Le sabre de Bercy est passé par là », estime Patrick Kanner

Reste que les ambitions affichées en juillet ne sont pas au rendez-vous. Il était alors évoqué 1 million de bénéficiaires et des indemnités pouvant aller jusqu’à 24 mois mais le « contrat d’engagement jeune » présenté ce mardi s’avère beaucoup moins ambitieux. En effet, il visera environ 500 000 jeunes, incluant ceux déjà concernés par le dispositif, Garantie jeunes.

« Le sabre de Bercy est passé par là », note Patrick Kanner qui dit sa déception et sa colère alors que « des jeunes vont se nourrir dans les soupes populaires ». Selon le dernier baromètre du Secours populaire (septembre, 2021), les jeunes sont parmi les plus touchés par la précarité, 34 % des moins de 35 ans étant même obligés de sauter des repas.

Face aux conséquences de la crise, le groupe socialiste avait déjà avancé une proposition : la création d’un revenu minimum sous conditions de ressources « qui n’empêche pas les politiques d’insertion ».

Autre motif de remontrances : le timing. Le contrat d’engagement entrera en vigueur au 1er mars 2022, moins de deux mois avant la présidentielle. « Comment vérifier l’effectivité du dispositif alors qu’on sera dans la dernière ligne droite de la présidentielle ? », interroge Patrick Kanner qui y voit « calcul électoral ». « Il leur fallait bien autre chose que le SNU (service national universel) – un gadget qui a coûté des centaines de milliers d’euros - avant la fin du quinquennat », juge-t-il.

L’accueil de cette annonce n’est pas plus chaleureux pour le sénateur communiste, Pascal Savoldelli. « L’ambition est divisée par deux, ce sont des économies faites sur le dos des jeunes », peste le sénateur du Val-de-Marne qui avait interpellé la ministre du Travail la semaine dernière à ce sujet (voir notre article).

Sur la forme, Pascal Salvodelli soulève aussi le changement sémantique opéré. Le revenu d’engagement s’est effectivement transformé en contrat d’engagement. Un terme qui renforce la conditionnalité de l’allocation alors que « pour les grandes entreprises, on n’a pas conditionnalisé les baisses d’impôts pendant la crise ».

« Non à l’assistanat, oui à la valeur travail ! », clame Dominique Estrosi Sassone

La majorité sénatoriale de droite voit cette mesure d’un autre œil. Pour la sénatrice LR des Alpes-Maritimes, Dominique Estrosi Sassone, c’est « une mesure clientéliste pour acheter le vote des jeunes », et de s’exclamer sur Twitter : « Non à l’assistanat, oui à la valeur travail ! ».

Membre du Comité du revenu d’engagement pour les Jeunes, mis en place cet été autour de la ministre du Travail, Frédérique Puissat (LR), comprend mal l’effervescence autour de cette annonce : « Le gouvernement ne fait qu’étendre un dispositif de formation qui existe déjà ».

Pour la sénatrice de l’Isère, il est avant tout nécessaire « d’harmoniser les dispositifs déjà en place pour que les jeunes fassent un choix non pas en fonction de ce qu’ils percevront mais en fonction de ce qui leur correspond le mieux ».

Rapporteur général de la commission des Finances, Jean-François Husson (LR) peine à y voir clair au niveau du financement de cette mesure. Il perçoit en revanche très nettement « une mesure qui s’inscrit dans une campagne permanente. Le sénateur de la Meurthe-et-Moselle fustige même « un clientélisme électoral tous azimuts ».

L’amendement que le gouvernement va déposer pour financer le dispositif, l’interroge également. « Le PLF vient d’être adopté à l’Assemblée nationale, pourquoi déposer un amendement maintenant ? », souffle-t-il avec un sentiment d’exaspération. Le projet de loi de Finances est d’ailleurs déjà examiné en commission au Sénat. Nul doute que l’examen de l’amendement du gouvernement en séance donnera lieu à quelques passes d’armes.

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