Confiance dans la justice : comment le Sénat a réécrit le projet de loi en commission

Confiance dans la justice : comment le Sénat a réécrit le projet de loi en commission

Les sénateurs ont amendé en commission des lois le projet de loi porté par le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti, qui modifie certaines dispositions de la procédure pénale. Tour d’horizon des points névralgiques du texte qui arrive ce mardi 28 septembre au Sénat.
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Le projet de loi confiance dans l’institution judiciaire, adopté à l’Assemblée nationale le 25 mai, est le septième texte sur la justice du quinquennat en discussion au Sénat. Les sénateurs l’ont adopté en commission ce 15 septembre, après modifications. Le texte aborde une variété large de sujets, de la procédure pénale à l’enregistrement des procès, en passant par le travail des détenus ou la protection des avocats. Alors que la France s’engage à peine dans les Etats généraux de la justice, à quelques mois de la fin des travaux parlementaires – présidentielle oblige – la tonalité générale du texte déçoit un peu l’un des rapporteurs au Sénat, le sénateur Philippe Bonnecarrère (Union centriste). « Le texte n’est pas de nature à redonner confiance, il ne favorise pas la stabilité du système judiciaire », considère-t-il. « C’est un texte qui ne va pas vraiment dans le sens de la simplification, c’est même plutôt l’inverse. » Durant toute la matinée, les sénateurs ont fait évoluer le texte, en commission. Tour d’horizon.

Plusieurs points du projet de loi devraient être abordés de manière consensuelle entre les deux chambres du Parlement, comme l’enregistrement et la diffusion des audiences, l’encadrement du travail dans les prisons ou encore la réforme des instances disciplinaires des professions juridiques. La suppression des crédits de réduction de peines automatiques ne devrait pas être non plus un point de divergence.

L’alternative au rappel à la loi sera abordée en séance publique

À ce stade de la lecture, un point important demande encore à être tranché. La suppression du rappel à la loi, une alternative aux poursuites qui représente un cinquième de la réponse pénale des procureurs, a été entérinée lors de la première lecture à l’Assemblée nationale. Mais par quoi le remplacer ? Les sénateurs continuent de travailler leur solution, qui sera présentée en séance publique. Le ministère de la Justice n’est toujours sorti du bois non plus.

Des points de désaccord apparaissent néanmoins. Les sénateurs ont notamment refusé la généralisation immédiate des cours criminelles départementales au 1er janvier 2022, comme le prévoyait initialement le projet de loi. Introduite par la réforme de la justice de 2019, une expérimentation est menée dans 15 départements. Ces nouvelles juridictions, composées de cinq magistrats professionnels, jugent en première instance les crimes passibles jusqu’à 20 ans de réclusion criminelle, en lieu et place des cours d’assises fonctionnant avec des jurys populaires. La fin de l’expérimentation devait prendre fin en mai 2022, entre la présidentielle et les législatives. Pas le moment le plus adéquat. Les sénateurs ont décidé de prolonger d’un an la phase de test, pour avoir davantage de recul et permettre au prochain Parlement de se saisir sereinement de la question à l’hiver 2022-2023.

La durée maximale des enquêtes préliminaires rallongée pour la grande délinquance financière

Une autre difficulté est apparue aux yeux des sénateurs : la possibilité pour des avocats honoraires de devenir assesseur dans les cours d’assises, en tant que magistrats exerçant à titre temporaire. La disposition, loin de faire l’unanimité chez les professionnels, a été supprimée en commission. « Attention au mélange des genres », avertit le rapporteur Philippe Bonnecarrère.

L’encadrement des enquêtes préliminaires a également évolué ce matin en commission des lois. Le projet de loi entend fixer une limite de temps aux enquêtes préliminaires, qui n’en avaient jusqu’ici pas du tout. La durée sera limitée à deux ans, avec la possibilité de prolonger d’un an, si le parquet le décide. Des exceptions sont prévues pour les délits en bande organisée ou le terrorisme : les enquêtes pourront durer au maximum trois ans, avec la possibilité de prolonger de deux années supplémentaires. À ces cas précis, la commission des lois du Sénat a ajouté les affaires de fraude fiscale, de corruption, de trafic d’influence et de blanchiment. Autant de domaines où les investigations sont complexes, s’étendent à d’autres pays et où les enquêteurs formés manquent. « Le texte manquait de réalisme. Beaucoup d’enquêtes ont une durée de plus de trois ans », argumente Philippe Bonnecarrère.

Pas de présence de l’avocat durant les perquisitions

Dans la même veine, les rapporteurs ont accepté l’extension de la protection du secret professionnel de l’avocat aux activités de conseil, et non pas seulement aux activités de défense. Le projet de loi introduit des garanties en matière de secret de la correspondance entre l’avocat et son client. Il encadre également les perquisitions d’un cabinet par exemple, en soumettant cette procédure à l’autorisation du juge des libertés et de la détention. Pour les sénateurs, l’extension des garanties aux activités de conseil posait problème.

Des magistrats ne se sont pas privés de faire part de leurs inquiétudes. Ainsi, l’Association française des magistrats instructeurs soulignait que « l’extension de cette protection à l’activité de conseil pose question, notamment parce que toute investigation dans le milieu économique pourrait s’en trouver entravée ». Par conséquent, la commission des lois du Sénat a décidé que le secret professionnel dans le cadre des activités de conseil de l’avocat serait « inopposable » pour les affaires de grande délinquance économique et financière. « Il ne faudrait pas créer de paradis fiscalo-judiciaires français », résume le rapporteur Philippe Bonnecarrère.

Autre retouche notable, la commission des lois du Sénat a supprimé un article introduit par les députés qui consacrait la présence de l’avocat durant les perquisitions. Les rapporteurs du texte au Sénat ont estimé que le droit actuel était suffisamment protecteur et que le respect de la contradiction valait pour des auditions, moins pour des recherches d’indices. De plus, cette disposition aurait alourdi la procédure pénale, alors que l’air du temps est plutôt à la simplification.

La définition du délit de la prise illégale d’intérêts au menu des débats

Les sénateurs profitent enfin du projet de loi pour modifier la définition du délit de prise illégale d’intérêts applicable aux fonctionnaires et aux élus. « La définition de l’infraction mérite en effet d’être précisée afin d’éviter que des élus ou des fonctionnaires soient poursuivis alors qu’il n’y a pas eu de véritable manquement à la probité », défendent les rapporteurs dans l’exposé des motifs de l’amendement. Le sujet est ancien, des sénateurs avaient déjà pointé il y a plus de dix ans les contours flous des éléments constitutifs du délit. L’Association des maires de France (AMF) alerte aussi régulièrement sur la nécessité d’agir avec prudence au niveau communal, tant la notion de prise illégale d’intérêts est parfois appréciée de manière large, au risque de pénaliser l’action locale. Elle cite notamment l’exemple d’un « adjoint au maire, viticulteur, condamné pour prise illégale d’intérêts pour avoir livré du vin, à prix coûtant, à la maison de retraite municipale ».

Les sénateurs ont tenté de réécrire l’article du Code pénal concerné, lors des débats cet été sur le projet de loi territorial 3DS, mais le texte était inadapté pour une modification de cet ordre. La commission des lois a saisi la balle au bond avec ce texte consacré à la justice. L’amendement sénatorial reprend l’une des propositions formulées par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) dans son dernier rapport d’activité. Sera sanctionnée, non plus la prise d’un « intérêt quelconque », mais la prise d’un intérêt « de nature à compromettre l’impartialité, l’indépendance ou l’objectivité » de la personne.

Pendant que le Sénat travaillait sur sa version du texte, un concours de circonstances fâcheux s’est produit : le garde des Sceaux a été mis en examen en juillet pour… « prise illégale d’intérêts ». En cause : les poursuites disciplinaires ordonnées par le garde des Sceaux contre trois magistrats du Parquet national financier (PNF) qu’il avait croisés sur sa route, à l’époque où il était avocat. Le ministre bénéficie de la présomption d’innocence, comme tout justiciable, mais va néanmoins participer à des débats qui pourraient avoir des conséquences sur sa situation personnelle. En redéfinissant le délit de la prise illégale d’intérêts, la commission des lois du Sénat n’a pas souhaité opérer une distinction entre les personnes titulaires d’un mandat électif (un maire) d’une personne dépositaire de l’autorité publique (un ministre), ni retirer l’amendement, et laisser survivre la définition floue, pointée du doigt par la HATVP. Restait le choix d’ouvrir et de maintenir ce débat en séance. « Nous aimerions tenir le cap d’une appréciation distanciée du sujet », justifie le rapporteur. Les débats avec le ministre à partir du 28 septembre s’annoncent animés, d’autant que les socialistes réclamaient sa démission.

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