Confinement : le gendarme du nucléaire alerte sur un « enjeu fort de sûreté et de sécurité en alimentation électrique »
Face à l’arrêt prolongé de plusieurs réacteurs, pour cause de confinement, l’Autorité de sûreté nucléaire craint un « effet domino » qui aurait des conséquences sur « l’alimentation électrique » du pays. Son président parle d’un « véritable défi pour faire face à la sécurité de l’alimentation électrique ».

Confinement : le gendarme du nucléaire alerte sur un « enjeu fort de sûreté et de sécurité en alimentation électrique »

Face à l’arrêt prolongé de plusieurs réacteurs, pour cause de confinement, l’Autorité de sûreté nucléaire craint un « effet domino » qui aurait des conséquences sur « l’alimentation électrique » du pays. Son président parle d’un « véritable défi pour faire face à la sécurité de l’alimentation électrique ».
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Nos yeux sont rivés en ce moment sur la situation sanitaire ou les conditions du déconfinement. Ce qui est parfaitement normal. Mais un secteur essentiel de l’activité industrielle, ou plutôt énergétique, est aussi touché par les conséquences de l’épidémie : c’est le nucléaire. Ici, il ne s’agit de pertes engendrées par le confinement. Mais plutôt des conséquences possibles en termes de sûreté et sécurité nucléaire.

Pour faire le point, la commission du développement durable du Sénat a auditionné ce mardi 28 avril l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Qu’on se rassure : une catastrophe nucléaire ne devrait pas s’ajouter à la pandémie. Le président de l’ASN, Bernard Doroszczuk, s’est montré plutôt rassurant. Mais sur certains points, notamment l’approvisionnement en électricité, la situation ne l’est pas tant que ça, en réalité.

Contrôles à distance pendant le confinement

Face aux événements, l’ASN a dû revoir ses procédures. « Dès l’annonce du confinement, l’ASN a adapté ses modalités d’intervention et de contrôle, en les réalisant à distance, tout en maintenant la possibilité d’intervention sur site en cas d’événement significatif » explique le président de l’autorité. Regardez :

L'Autorité de sûreté nucléaire fait des "contrôles à distance" pendant le confinement
01:04

Ainsi, « une telle inspection réactive a eu lieu sur le site de Belleville-sur-Loire d’EDF, suite à un accident, qui s’est produit hors zone nucléaire, avec un départ de feu qui a eu lieu, suite à la rupture d’un flexible, sur un parc à gaz, avec une inflammation d’hydrogène » précise Bernard Doroszczuk. Cet accident s’est produit le 10 avril.

« La mise en place de certains (moteurs) diesels d’ultime secours devra être reportée »

Le confinement peut avoir cependant des « incidences sur le respect de certaines échéances réglementaires et l’ASN demande certaines dérogations ponctuelles ». « Incidences » aussi « sur l’amélioration de la sûreté, comme la mise en place de certains (moteurs) diesels d’ultime secours, qui devra être reportée du fait de la défaillance du prestataire américain » explique le patron du gendarme du nucléaire.

S’il n’y a pas eu de « tension sur l’approvisionnement du combustible », l’usine de retraitement de la Hague, à l’autre bout de la chaîne, « a connu à un moment donné, un arrêt lié à des discussions avec le personnel sur les conditions de protection ». Elle a repris, mais un arrêt prolongé aurait causé problème. Le président de l’ASN en profite pour souligner qu’« il est urgent que les exploitants nucléaires prennent des décisions pour l’entreposage de combustible usé supplémentaire ».

13 réacteurs à l’arrêt actuellement 

Si les « installations nucléaires disposent de suffisamment de personnes », les « difficultés » à pratiquer les gestes barrières engendrent des activités réduites et repousse les chantiers en cours. C’est ici le point sensible. Car des réacteurs sont aujourd’hui à l’arrêt, pour des révisions et contrôles habituels. Sur un total de 58 réacteurs, « au 21 avril, 38 réacteurs sont en production », « 3 en arrêt fortuit, ce qui est normal », « 3 tranches sont en arrêt pour économie de combustible » et pas moins de « 13 tranches sont en arrêt de maintenance ». « Normal » en période de « printemps », où la consommation baisse.

La difficulté vient du fait que les arrêts seront plus longs. Et donc les arrêts suivants, prévus pour d’autres réacteurs, vont se trouver reportés, « à partir de l’été, ou de l’automne, voire pendant l’hiver, ce qui peut poser un problème d’équilibre d’offre et de demande d’électricité ». Précision utile : « Ce report de l’arrêt ne pose pas de problème pour la sûreté ». RTE (Réseau de transport d'électricité), qui gère le réseau haute tension, a ainsi annoncé lundi que le redémarrage des deux réacteurs de la centrale de Flamanville, dans la Manche, est à nouveau reporté de cinq mois.

« Véritable défi pour faire face à la sécurité de l’alimentation électrique »

La crainte du patron de l’ASN, vient d’une sorte de mauvais alignement des planètes, entre épidémie qui durerait et problème en cascade dans les centrales, qui amènerait la France a manqué de jus l’hiver prochain… « Si l’effet domino se prolongeait pendant l’hiver et jusqu’au début du printemps de l’année prochaine », « l’impact » pourrait être ressenti jusqu’à la « campagne 2021/2022 » explique-t-il. Y compris les campagnes électorales ? Il continue : « Par rapport à ce véritable défi de faire face à la sécurité de l’alimentation électrique, il est important que EDF maintienne des marges. Si c’est trop juste, (…) dans ce cas, on peut avoir un problème, en cas de problème fortuit sur un réacteur, voir un problème générique qui pourrait concerner plusieurs réacteurs » alerte le président de l’Autorité de sûreté nucléaire. (voir la première vidéo). Bernard Doroszczuk ajoute :

S’il n’y a pas de marge, nous aurions un véritable conflit en terme de sécurité d’alimentation électrique et de sûreté.

On comprend ici que ce manque d’électricité pourrait alors potentiellement avoir des conséquences plus graves. Le gendarme du nucléaire parle globalement d’un « enjeu fort de sûreté et de sécurité en alimentation électrique ».

« Surveillance des chantiers beaucoup plus attentive »

Concernant le recours à la sous-traitance en cette période, l’ASN entend définir « une forme de charte » avec « les précautions à prendre pour les salariés et prestataires. C’est un sujet pris avec énormément d’attention ».

Mais pour la reprise dans les centrales, il y aura la « difficulté de faire certains gestes techniques » notamment avec un masque. L’ASN entend « faire plus de contrôles » et demande « une surveillance des chantiers beaucoup plus attentive »… Au passage, au chantier de l’EPR de Flamanville, qui a connu déjà de nombreux retards, « beaucoup d’activités ont été suspendues ». Mais Olivier Gupta, directeur général de l’ASN, n’est cependant « pas en mesure de répondre sur d’éventuels retards ».

« Vigilance liée aux facteurs d’organisation et humains »

Quand les salariés pourront tous reprendre le travail normalement, l’ASN aura particulièrement « un point de vigilance lié aux facteurs d’organisation et humain ». Car si la culture de la sécurité est « forte » dans la filière, elle est écrite et très codée. Or ici, « nous sommes face à l’inconnu », avec des « situations qui n’avaient pas été estimées sur leur durée, des contraintes, des changements ».

Le risque est que les « règles soient, non pas oubliées, mais soumises à la concurrence d’arbitrage sur la sûreté gérée ». Autrement dit, « dans l’urgence, ça peut créer des difficultés » où, en quelque sorte, les règles de base seraient moins suivies à la lettre…

« L’ASN n’a pratiquement aucun masque », « ce n’est pas normal »

Quant à l’ASN elle-même, son président raconte que son personnel s’est retrouvé à poil, ou plutôt sans masque, face au Covid-19. « Au début de l’épidémie, l’ASN avait un nombre de masques extrêmement limité. Ils ont été réquisitionnés pour le personnel hospitalier. Nous n’avons pratiquement aucun masque » déplore Bernard Doroszczuk.

Il ne cache son mécontentement : « Il n’est pas normal qu’un service de l’Etat comme l’ASN (…) ne puisse pas disposer de moyens de protection pour réaliser ses missions ».

Pénurie de masque : un « retour d’expérience » utile pour les stocks de pastilles d’iode

La pénurie de masques face au Covid-19, en raison du non-renouvellement des stocks, pourrait-il servir de leçon au nucléaire ? Oui, selon le président de l’ASN. « C’est un retour d’expérience qu’il faudra tirer ». D’autant que récemment, l’élargissement de la distribution de pastilles d’iode, à prendre autour d’une centrale en cas d’accident nucléaire, n’a pas été « un franc succès » car peu d’habitants sont venus les chercher en pharmacie.

« Il faut prévoir des stocks disponibles, la logistique disponible, pour en cas de besoin, suite à un accident, acheminer dans un délai relativement court ces comprimés » souligne Bernard Doroszczuk. Et le président de l’ASN d’insister : « On voit bien ici que dans le cas d’un épisode de pandémie, la nécessité d’avoir des stocks de proximité, mobilisables et avec une logistique qui va bien, est fondamentale ». Leçon qui vaut aussi pour le nucléaire.

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