Couvre-feu à 18 heures : jusqu’à quand ?

Couvre-feu à 18 heures : jusqu’à quand ?

Voici deux mois que la France vit sous couvre-feu, et un mois que ce dernier a été durci. Des parlementaires demandent au gouvernement de fixer des échéances.
Public Sénat

Temps de lecture :

8 min

Publié le

Mis à jour le

Cela vous aura peut-être échappé mais voici un mois que la France tout entière vit au rythme d’un couvre-feu de 18 heures à 6 heures. La lassitude s’étend dans la population, ce matin encore, un hashtag #StopCouvreFeu émergeait parmi les principaux sujets de discussion sur Twitter. Et de plus en plus de voix commencent à monter sur l’absence de perspectives, même précaires. « On partait pour 15 jours au moins, selon Jean Castex. Mais un mois après, ça dure. Et rien, pas d’info, ni pour les particuliers, ni pour les professionnels », s’impatiente ainsi le député LR de la Manche Philippe Gosselin, rappelant les mots employés par le Premier ministre le 14 janvier.

La France est loin d’en avoir fini avec le couvre-feu. Lors de son point presse hebdomadaire du jeudi, le ministre des Solidarités et de la Santé martelait que l’heure n’était « pas au relâchement ». « Le couvre-feu, la limitation des contacts, notre capacité à tester et à casser les chaînes de contaminations limitent la flambée épidémique. Il faut poursuivre dans cette voie et tenir ensemble », soulignait Olivier Véran. La veille, à l’issue d’un nouveau Conseil de défense à l’Elysée, le porte-parole du gouvernement rappelait que la pression sur les hôpitaux restait « extrêmement forte ». Dans ce contexte, et sous la menace des variants britanniques, sud-africains ou brésiliens, pour ne citer qu’eux, l’heure est au statu quo. « La situation est si fragile qu’un rien peut la faire changer », mettait en garde Gabriel Attal.

Des députés LREM constatent une « lassitude croissante face à une urgence qui n’en est plus une »

Jusqu’à quand le couvre-feu peut-il théoriquement durer ? Aussi longtemps que s’étend l’état d’urgence sanitaire, seul cadre légal dans lequel il peut être décrété. Rétabli le 14 octobre dernier, ce régime d’exception créé par la loi du 23 mars 2020, a été prolongé la dernière fois le 15 février au Parlement, jusqu’au 1er juin. C’est dans ce contexte que huit métropoles et l’Île-de-France ont connu un couvre-feu à partir de 21 h 00 pendant la seconde quinzaine d’octobre. Après le reconfinement national du 30 octobre au 15 décembre, un couvre-feu a interdit tout déplacement entre 20 heures et 6 heures. Il a été avancé à 18 heures dans 25 départements début janvier, avant d’être étendu à l’ensemble du territoire à partir du 16 janvier.

« L’extension quasi illimitée des prérogatives de la puissance publique et la réduction drastique des libertés fondamentales » gêne jusque dans les rangs de la majorité présidentielle. Une dizaine de députés ont écrit en ces termes au Premier ministre dans une lettre dénonçant un état d’urgence devenu permanent, a relaté France Info. Parmi les signataires : Hugues Renson, député de Paris, l’un des vice-présidents de l’Assemblée nationale. Ils ont témoigné d’une « lassitude croissante face à une urgence qui n’en est plus une ».

« Nous ne sommes pas consultés », regrette le sénateur Jean-Pierre Sueur

« Ça ne met pas toujours à l’aise cet état d’urgence sanitaire, qui est prolongé très longtemps, sans retour devant le Parlement. Nous avions dit notre opposition à cette date », rappelle le sénateur (PS) Jean-Pierre Sueur. Le Sénat avait tenté de faire revenir le gouvernement plus tôt devant le Parlement, le 3 mai. Il n'avait pas été suivi par les députés. D’ici l’été, le Parlement est mis sur la touche. « Là, il y a le couvre-feu mais on n’a pas d’information. Nous ne sommes pas consultés. C’est quelque chose de redondant, cela fait cinq ou six mois qu’on le dit », regrette Jean-Pierre Sueur.

Partisan également de rendez-vous plus réguliers devant le Parlement, et singulièrement le Sénat, le président du groupe Union centriste Hervé Marseille juge néanmoins la période actuelle très incertaine. « Si la situation semble stable et en voie d’amélioration, elle semble aussi toujours préoccupante avec les variants qui interagissent. » Les parlementaires se raccrochent aux données qu’on veut bien leur transmettre. « C’est l’exécutif qui dispose des éléments d’appréciation concernant la situation sanitaire », rappelle le sénateur des Hauts-de-Seine.

Comme son collègue Jean-Pierre Sueur, la sénatrice LR Catherine Procaccia voit d’un mauvais œil le choix de 18 heures comme entrée en vigueur du couvre-feu, qui entraîne des concentrations de population plus marquées le reste du temps. Elle juge également que la patience des Français va être « de plus en plus difficile avec le rallongement des jours ».

La sénatrice siégeant à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) est convaincue que le couvre-feu peut contribuer au maintien d’un plateau épidémique soutenable pour les hôpitaux. « Je préfère que l’on maintienne le couvre-feu et se dire qu’on va reprendre une vie normale ensuite. Plutôt que de remettre un couvre-feu à 20 heures et de se rendre compte quinze jours après qu’on se dirige vers un pic. Je souhaite éviter le confinement d’il y a un an. » La sénatrice du Val-de-Marne estime que la question d’une levée progressive des restrictions pourrait ne pas se poser avant la mi-mars, c’est-à-dire une semaine après la fin des vacances scolaires de la zone B.

« Il faut donner les clauses de revoyure, et pas seulement des interviews de Monsieur Véran », plaide Jérôme Bascher (LR)

« On ne peut pas dire que la stratégie qui a consisté à instaurer un couvre-feu à 18 heures n’a pas fonctionné », reconnaît également le sénateur LR Jérôme Bascher. L’effet corollaire, c’est que « la désespérance est en train de gagner le pays », selon lui. Le fait de ne pas pouvoir se projeter en est l’une des causes. « On a besoin de visibilité. Je comprends que ce ne soit pas simple. Mais disons par exemple le 1er mars et on fera le point. Il faut donner les clauses de revoyure, et pas seulement des interviews de Monsieur Véran. »

Du point de vue du droit, le maintien du couvre-feu fait aussi débat. « Il y a un problème de proportionnalité de la mesure qui n’est jamais évoqué », relève Paul Cassia, professeur en droit public à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Le juriste rappelle que le cadre légal de l’état d’urgence sanitaire prévoit que les dispositions doivent être « strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus » et qu’il « y est mis fin sans délai lorsqu’elles ne sont plus nécessaires » (article L3131-15 du Code de la santé publique).

Une mesure restrictive qui n’est pas proportionnée aux circonstances, selon Paul Cassia

Selon lui, la proportionnalité de cette mesure restrictive n’a « jamais été démontrée ». « Il est évident que moins on circule, moins un virus peut se propager. Sauf que ce couvre-feu est une contrainte 12 heures par jour », rappelle-t-il. « Le couvre-feu a des effets induits de tout ordre, qui font douter de ce bénéfice quand on fait un ratio entre l’éventuelle limitation de la contamination et toutes les catastrophes sociales, économiques, culturelles et psychologiques », relève-t-il.

En octobre, Paul Cassia avait contesté le premier couvre-feu instauré en octobre devant le Conseil d’Etat, mais n’avait pas obtenu gain de cause. Selon l’ordonnance, un couvre-feu local en Guyane « semble avoir montré son efficacité pour freiner la transmission de l’épidémie ».

Dans une note publiée le 26 octobre, le Conseil scientifique soulignait pourtant que l’on manquait de recul sur le couvre-feu établi dans huit métropoles et que « la diversité des mesures prises » rendait l’analyse des indicateurs d’impact « peu informative ». Dans un avis plus récent, du 21 janvier, la même instance a reconnu qu’il était probable que le couvre-feu ait « contribué » au ralentissement de l’épidémie, tout en précisant qu’il était « difficile » d’en « estimer sa contribution relative ».

Dans ce moment d’incertitude, les initiatives se multiplient au Sénat pour tenter d’assouplir le couvre-feu. Le sénateur Pierre-Antoine Lévi (Union centriste) a adressé le 18 février un courrier, cosigné par 64 de ses collègues, demandant au président de la République de rouvrir les restaurants au moment du déjeuner « dans plusieurs départements ». Les sénateurs demandent également que soit autorisée la vente à emporter à partir de 18 heures au moyen d’une attestation pour les clients. Le 20 janvier, déjà, 73 sénateurs sous l’impulsion de Michel Savin (LR), avaient demandé une dérogation au couvre-feu après 18 heures, pour permettre la pratique d’une activité physique individuelle en plein air, et sans regroupement.

Dans la même thématique

Paris : Speech of Emmanuel Macron at La Sorbonne
6min

Politique

Discours d’Emmanuel Macron sur l’Europe : « Il se pose en sauveur de sa propre majorité, mais aussi en sauveur de l’Europe »

Le chef de l'Etat a prononcé jeudi 25 avril à la Sorbonne un long discours pour appeler les 27 à bâtir une « Europe puissance ». À l’approche des élections européennes, son intervention apparait aussi comme une manière de dynamiser une campagne électorale dans laquelle la majorité présidentielle peine à percer. Interrogés par Public Sénat, les communicants Philippe Moreau-Chevrolet et Emilie Zapalski décryptent la stratégie du chef de l’Etat.

Le

Paris : Speech of Emmanuel Macron at La Sorbonne
11min

Politique

Discours d’Emmanuel Macron sur l’Europe : on vous résume les principales annonces

Sept ans après une allocution au même endroit, le président de la République était de retour à La Sorbonne, où il a prononcé ce jeudi 25 avril, un discours long d’1h45 sur l’Europe. Se faisant le garant d’une « Europe puissance et prospérité », le chef de l’Etat a également alerté sur le « risque immense » que le vieux continent soit « fragilisé, voire relégué », au regard de la situation internationale, marquée notamment par la guerre en Ukraine et la politique commerciale agressive des Etats-Unis et de la Chine.

Le

Police Aux Frontieres controle sur Autoroute
5min

Politique

Immigration : la Défenseure des droits alerte sur le non-respect du droit des étrangers à la frontière franco-italienne

Après la Cour de Justice de l’Union européenne et le Conseil d’Etat, c’est au tour de la Défenseure des droits d’appeler le gouvernement à faire cesser « les procédures et pratiques » qui contreviennent au droit européen et au droit national lors du contrôle et l’interpellation des étrangers en situation irrégulière à la frontière franco-italienne.

Le

Objets
4min

Politique

Elections européennes : quelles sont les règles en matière de temps de parole ?

Alors que le président de la République prononce un discours sur l’Europe à La Sorbonne, cinq ans après celui prononcé au même endroit lors de la campagne présidentielle de 2017, les oppositions ont fait feu de tout bois, pour que le propos du chef de l’Etat soit décompté du temps de parole de la campagne de Renaissance. Mais au fait, quelles sont les règles qui régissent la campagne européenne, en la matière ?

Le