Covid-19 : la coordination des décisions et des essais cliniques dans le viseur des experts en santé publique

Covid-19 : la coordination des décisions et des essais cliniques dans le viseur des experts en santé publique

Auditionnés devant la commission d’enquête Covid-19 du Sénat, le président du Haut conseil de la santé publique et le président de la Société française de santé publique ont fait part des problèmes qu’ils avaient identifiés dans la gestion opérationnelle.
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C’était l’une des grandes questions de la matinée du 16 septembre 2020 dans les travaux de la commission d’enquête du Sénat sur d’évaluation des politiques face aux pandémies : le pilotage dans la lutte contre la Covid-19 a failli, et si oui, où ? Plusieurs acteurs importants dans l’expertise en matière de santé publique, étaient conviés pour une table ronde. Pour Emmanuel Rusch, président de la société française de santé publique (SFSP), il ne fait aucun doute qu’un manque de coordination est apparu, moins au niveau central que territorial. « Il y a une forme de cacophonie, d’interférence, nous semble-t-il, à un niveau territorial, entre une dynamique portée le préfet, une dynamique portée par les agences régionales de santé et une dynamique portée par les collectivités territoriales », a estimé ce professeur (voir la vidéo en tête), par ailleurs président de la Conférence nationale de santé, l’organe principal en matière de démocratie sanitaire. « Cela nécessite d’avoir certainement des directives nationales claires et précises, et en même temps ce besoin d’adaptation à des contextes locaux.

« On ne peut pas dire que le temps de réaction ait été faible »

Franck Chauvin, président du Haut conseil de la santé publique (HCSP), instance sollicitée 90 fois durant la crise par le ministre de la Santé et la Direction générale de la Santé, a partagé son avis. Pour lui, « il n’y avait pas de visibilité sur le pilotage territorial ». Inversement, le « pilotage national était clair », selon lui, et les rôles bien identifiés. L’institution qu’il préside étant cantonnée à fournir des avis et des recommandations. « Il y avait une cellule de crise, un directeur de la cellule de crise : Jérôme Salamon [auditionné également au Sénat ce 16 septembre, NDLR], avec à sa disposition, des instances d’expertise qu’il pouvait saisir. Mais les experts ne font pas du pilotage. On laisse entendre que les instances de conseil pourraient faire du pilotage, ce n’est pas le cas ! »

L’étonnement vient ponctuer les propos du vice-président de la commission d’enquête, René-Paul Savary (LR), en charge de la conduite de la séance ce mercredi. « Surtout il ne faut rien changer, M. Chauvin ? » Le président de la HCSP a estimé que ses missions avaient été dûment remplies. « La première saisine concernant cette épidémie a eu lieu le 25 janvier, on ne peut pas dire que le temps de réaction ait été faible », s’est-il défendu plus tôt. Soit cinq jours avant que l’Organisation mondiale de la Santé qualifie le nouveau coronavirus d’urgence de santé publique de portée internationale.

Conférence nationale de santé : un « dysfonctionnement extrêmement important », selon Bernard Jomier

Mais la surprise est venue de la Conférence nationale de santé, sorte de « parlement de la santé », où se retrouvent des professionnels de santé, partenaires sociaux, usagers. Autrement il s’agit d’une instance clé (placée auprès du ministre de la Santé) pour faire porter la parole citoyenne, que le conseil scientifique appelait de ses vœux la veille au Sénat. Emmanuel Rusch a été élu il y a un an. L’instance consultative n’a été « reconstituée » que le 12 février (jour de l’assemblée plénière d’installation). Six mois après, toujours très peu de sollicitations du gouvernement. « Nous nous sommes autosaisis au fur et à mesure des semaines. Mais à ce jour, nous n’avons jamais été saisis. » Médecin généraliste de profession, Bernard Jomier, l’un des co-rapporteurs de la commission d’enquête (apparenté PS) tombe des nues, en apprenant ce sommeil long de plusieurs mois, « plus important encore », l’absence de saisine. « C’est le sommet de la démocratie sanitaire. C’est un dysfonctionnement qui me paraît extrêmement important. »

Le professeur Chauvin acquiesce, comprenant les conséquences. « Notre pays associe très peu la population aux mesures. On n’est pas assez dans l’implication de la population. »

Les essais cliniques, trop nombreux, « se sont cannibalisés entre eux »

Des dysfonctionnements, le Haut conseil de santé publique en a identifié un autre de taille de son point de vue, puisqu’il touche aux remèdes de la Covid-19. Alors que plusieurs sénateurs s’interrogent sur la multiplicité des agences d’expertises et sur l’utilité d’un conseil scientifique qui ferait double emploi, le HCSP a jeté une pierre dans le jardin de la recherche thérapeutique et de sa coordination. « Il y a des carences. Il y a eu énormément d’appels d’offres pour faire des essais cliniques, nationaux, régionaux, institutionnels, ce qui a abouti à un nombre extrêmement important d’essais cliniques », a relevé Christian Chidiac, du Haut conseil.

Et de poursuivre : « Vers le mois d’avril-mai, je pense qu’on dénombrait 162 essais cliniques qui avaient eu l’agrément des autorités de santé. Et au bout du compte, à six mois de l’épidémie, ces essais n’ont pas été productifs parce qu’ils se sont cannibalisés entre eux, en termes de recrutement des patients. Ils n’ont pas atteint les effectifs qui étaient prévus et ils ont nui à l’inclusion dans un certain nombre d’essais qui étaient d’importance internationale, comme l’essai Discovery. » Ce qui a manqué selon le Haut conseil, c’est un organisme capable de fédérer l’ensemble de la recherche, à l’image de ce qui s’est mis en place dans la lutte contre le SIDA à la fin des années 80, avec l’ANRS.

« Il y a eu des gens plus visionnaires que nous, les épidémiologistes »

Quant à Antoine Flahault, médecin de santé publique et épidémiologiste, directeur du Global Health Institute, a de son côté pointé devant la commission la « complaisance » dans le discours, « y compris scientifique », qu’il soit question des masques ou des tests. Le professeur a dressé l’exemple à Wuhan, capitale du masque, où le système D a prévalu dans la population pour fabriquer des masques de fortune en superposant des couches de papier toilette. Une manière de souligner, que quand on veut, on peut. S’agissant des tests, Antoine Flahault a fait amende honorable. « Au début, en tant que médecin épidémiologiste, je n’étais pas convaincu par les tests, ni par le discours de Drosten [virologue allemand à l’origine du dépistage massif en Allemagne, NDLR] ou Raoult. Les virologues ont été pionniers par rapport aux épidémiologistes sur le rôle potentiel des tests. Je disais que ça ne guérissait pas les gens. Il y a eu des gens plus visionnaires que nous, les épidémiologistes […] Nous avons accompagné ce discours complaisant, j’ai eu ce réflexe à tort, de ne pas me rendre compte de l’utilité de ce cercle vertueux des tests », a-t-il déclaré.

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