Covid-19 : toutes les leçons sont loin d’être tirées, selon les professionnels de santé auditionnés au Sénat

Covid-19 : toutes les leçons sont loin d’être tirées, selon les professionnels de santé auditionnés au Sénat

Les représentants des conseils nationaux de six ordres de professions médicales et médico-sociales ont été auditionnés ce 2 septembre par la commission d’enquête du Sénat sur la pandémie de Covid-19. Ils ont livré leur retour d’expérience sur la gestion de l’épidémie, en tirant notamment la sonnette d’alarme sur les ruptures dans la prise en charge de nombreux patients.
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Médecins, infirmiers, pharmaciens, masseurs-kinésithérapeutes, sages-femmes ou encore dentistes : toutes ces professions étaient auditionnées sous serment ce 2 septembre 2020 devant la commission d’enquête du Sénat sur la gestion de la crise de la Covid-19.

Désarmés : c’est le sentiment qui domine chez ces différents professionnels lorsqu’ils repensent au plus fort de la crise, au printemps, notamment en termes de matériel. « Je n’oublierai pas la protection des soignants qui a été notoirement insuffisante et qui a probablement expliqué largement des messages de santé publique où on jetait l’anathème sur le port du masque », s’exclame le docteur Jean-Marcel Mourgues, vice-président du conseil national de l'ordre des médecins.

« Aujourd’hui encore, les sages-femmes ne bénéficient toujours pas de masques FFP2 »

« L’accès aux équipements de protection individuels a été chaotique et cacophonique pour l’ensemble des professionnels de santé, encore plus pour les sages-femmes », raconte ainsi Isabelle Derrendinger, secrétaire générale du conseil national de l'ordre des sages-femmes. Plus de quatre mois ont passé depuis le pic de l’épidémie mais des problèmes d’approvisionnement subsistent. Incompréhensibles, selon elle. « Aujourd’hui encore, les sages-femmes ne bénéficient toujours pas de masques FFP2 pour prendre en charge les femmes Covid+ ! »

À ces masques qui sont arrivés au compte-gouttes, les différents ordres interrogés par les sénateurs gardent également le souvenir d’une période où ils ont navigué en eaux troubles. Des professionnels perdus, des questions écrites qui affluaient « par milliers » : localement, les soignants étaient livrés à eux-mêmes. « Dans cette crise, on a parfaitement bien ressenti que tout a reposé sur les ordres, qui ont assuré en totale autonomie la gestion de la crise », résume Serge Fournier, président du conseil national de l’ordre des dentistes. Ce sentiment est aussi partagé par Pascale Mathieu, présidente du conseil national de l’ordre des masseurs-kinésithérapeutes. « Il y a des moments où on s’est sentis bien seuls, notamment au début de la crise. »

Deuxième vague : des « incertitudes dans l’anticipation opérationnelle »

Lorsqu’il repense à la période allant de janvier à mai, le vice-président du conseil national de l'ordre des médecins évoque une « impréparation du pays » et une « confusion dans l’information ». Alors que les regards sont désormais tournés vers les courbes du nombre de nouveaux cas positifs, chaque semaine, la France va-t-elle aborder, mieux préparée, une éventuelle nouvelle phase aiguë de l’épidémie ? Le médecin évoque des « incertitudes dans l’anticipation opérationnelle, s’il y avait une deuxième vague d’importance ».

Outre les craintes d’une nouvelle désorganisation du système de santé, ce sont les conséquences du confinement, avec le report des soins non-urgents et la désertion des cabinets par les Français durant cette période, qui préoccupent les différents ordres des professions de santé. Les annulations massives de consultations, une sorte de bombe à fragmentation sanitaire. « Début juillet, 80 % des consultations annulées n’avaient toujours pas été refixées. C’est ainsi qu’on peut parler d’une perte de chances dans le suivi des pathologies graves telles que le cancer ou les maladies chroniques », s’inquiète le vice-président du conseil national de l'ordre des médecins.

Pascale Mathieu, pour l’ordre des masseurs-kinésithérapeutes, rappelle que ces derniers ont été exclus des Ehpad « dès le mois de janvier ». « Je suis très inquiète, car pour sauver des vies, on a compromis l’autonomie de nombreux patients, et ça, ça ne voit pas. Je suis sûre qu’il y a des patients qui sont morts, non pas du Covid, mais des conséquences de la sédentarité et de l’absence de kinésithérapie dans les services. » Selon elle, « on n’a pas fini d’en payer les conséquences ». Ces « atteintes aux droits fondamentaux » ont même failli faire leur retour en Occitanie, témoigne-t-elle. « J’ai dû intervenir cette semaine. L’agence régionale de santé avait donné pour consigne d’empêcher les kinés d’accéder aux Ehpad. »

Une série de questions sur les éventuels manquements déontologiques

Sur un autre registre, le sénateur (apparenté PS) Bernard Jomier, médecin de profession, a cherché à savoir si des infractions à la déontologie ou à l’éthique avaient été identifiées par l’ordre des médecins. Et si des procédures étaient en cours. Jean-Marcel Mourgues, le vice-président du conseil national de l'ordre, a indiqué que les choses suivaient « leur rythme » et que certains professionnels pourraient être auditionnés, une étape préalable à d’éventuelles traductions devant les chambres disciplinaires. « Convocation ne vaut pas condamnation », a-t-il simplement indiqué. S’il reconnaît que la situation épidémique était « complexe » et « inédite », il rappelle que « la science n’est pas le temps de la communication ». « Il faut respecter l’expression de chacun sans pour autant faire la promotion de thérapeutiques déraisonnables non éprouvées ou qui exposeraient à une dangerosité particulière vis-à-vis de patients », a-t-il répondu.

Sans nommément faire mention en premier lieu aux traitements proposés à base d’hydroxychloroquine et d’azithromycine, la sénatrice LR Catherine Deroche a affirmé que « l’atteinte à la liberté de prescription, cautionnée par le conseil de l’ordre » avait « choqué beaucoup de praticiens ». Le vice-président de l’ordre s’en est expliqué. « La situation inédite de cette pandémie brutale et pour laquelle nous n’avions pas de thérapie éprouvée n’était pas suffisante à ce que les médecins s'affranchissent de ces garanties de sécurité qu’ils doivent apporter aux patients. »

« Les services de l’État ont essayé de cacher le plus longtemps possible aux professionnels de santé et aux corps intermédiaires l’absence de moyens de protection »

Interrogés sur la teneur de leurs réunions avec la direction générale de la Santé (DGS), les différents ordres ont également donné des indications aux sénateurs sur la chronologie de la gestion de crise et le moment où a été prise la décision d’un confinement général du pays. Réunis le 18 février, pour aborder la question de la distribution de matériel de protection aux soignants libéraux, les officines ne mentionnent plus d’autre rencontre après cette date. « On n’a plus été en contact après cette réunion », relate la présidente du conseil national de l'ordre des pharmaciens, Carine Wolf-Thal. « On savait qu’il y avait un confinement très probable, début mars », se remémore le vice-président de l’ordre des médecins. « En aucun cas on nous a parlé de confinement généralisé de la population », renchérit la présidente du conseil national de l’ordre des masseurs-kinésithérapeutes, précisant avoir revisionné les « dispos » de ces réunions en question. Autant de documents qui vont être transmis à la commission d’enquête sénatoriale.

Témoignant pour une profession à 95 % libérale qui a pris la décision de fermer la quasi-totalité des cabinets, le président du conseil national de l’ordre des dentistes, Serge Fournier, estime qu’en février les pouvoirs publics ont cherché à gagner du temps. « Il est évident que l’image que nous avons à la fin de l’histoire, c’est que les services de l’État ont essayé de cacher le plus longtemps possible, y compris aux professionnels de santé et aux corps intermédiaires, l’absence de moyens de protection. »

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