Covid : l’enquête du parquet « n’empêchera pas la commission d’enquête du Sénat de faire son travail »

Covid : l’enquête du parquet « n’empêchera pas la commission d’enquête du Sénat de faire son travail »

Le procureur de la République de Paris annonce une enquête préliminaire sur la crise du Covid-19. Certains sénateurs craignent une volonté « d’empêcher » les commissions d’enquête parlementaires. « Chacun son boulot » tempère le sénateur Alain Milon, qui assure que la commission d’enquête du Sénat ira « jusqu’au bout ».
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Et de quatre. Après une commission d’enquête parlementaire à l’Assemblée nationale, une au Sénat, une enquête « indépendante » commandée par l’Elysée, c’est maintenant une enquête judiciaire qui se met en place sur la crise du Covid-19 en France. On connaît toujours mal le virus, mais la crise qu’il a générée devrait être décortiquée dans ses moindres détails.

Le procureur de la République de Paris, Remy Heitz, a annoncé ce mardi à l’AFP l’ouverture lundi 8 juin d’une vaste enquête préliminaire sur la crise du Covid, suite à la quarantaine de plaintes déposées depuis mars. Elle vise notamment les délits de « mise en danger de la vie d’autrui », d’« homicides et blessures involontaires » et de « non-assistance à personne en péril ». Les investigations sont confiées à l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique (Oclaesp) et portent sur les points sensibles de l’épidémie : protection au travail, mise à disposition de masques et de tests, etc…

« Pas là pour définir des responsabilités politiques ou administratives »

Rémy Heitz a prévenu d’emblée : cette enquête « n’est pas là pour définir des responsabilités politiques ou administratives, mais pour mettre au jour d’éventuelles infractions pénales » de décideurs nationaux. Précision utile : le chef de l’Etat, irresponsable pénalement, ne sera pas concerné, ni les ministres, dont la responsabilité relève de la Cour de la justice de la République, saisie pour sa part de 80 plaintes. Ce sont plutôt les responsables d’administration qui seront visés.

L’enquête commence seulement, mais le procureur de Paris anticipe déjà : « S’il y a des fautes pénales, ce seront très probablement – c’est une hypothèse – des fautes non intentionnelles. Or la loi fixe des conditions précises pour établir ces délits : elle exige la preuve d’une “faute qualifiée” qui n’est pas une simple imprudence ou négligence », détaille le procureur. « Pour ce type d’infraction, le code pénal dit bien qu’il faut apprécier les responsabilités » des décideurs « au regard des moyens et des connaissances dont ils disposaient au moment des décisions », précise encore Rémy Heitz.

« C’est exactement ce qu’il faut faire pour empêcher les commissions d’enquête de l’Assemblée et du Sénat »

L’annonce de l’ouverture de cette enquête a surpris certains sénateurs, à commencer par la centriste Nathalie Goulet. La sénatrice UDI s’étonne déjà du périmètre de l’enquête, large et « vague ». La sénatrice de l’Orne s’interroge aussi de la succession des événements, entre l’enquête lancée par l’Elysée, qui est pour le coup une sorte d’O.V.N.I. institutionnel, et cette enquête préliminaire. « Le Président veut une enquête indépendante. 48 heures après, le parquet ouvre une instruction préalable. C’est exactement ce qu’il faut faire pour empêcher les commissions d’enquête de l’Assemblée et du Sénat » selon Nathalie Goulet. Dans un tweet, elle parle aussi de « droits du Parlement bafoués ».

Pour rappel, le procureur de la République de Paris, poste stratégique, est nommé par le pouvoir, ce qui a longtemps alimenté les soupçons de liens avec l’exécutif. Rémy Heitz a été nommé en octobre 2018 par la ministre de la Justice.

Noyer le poisson ?

Autre point important pour comprendre l’attaque de la sénatrice : une commission d’enquête parlementaire ne peut pas empiéter sur d’éventuelles investigations de la justice sur le même sujet. La question avait largement été soulevée lors de la commission d’enquête Benalla au Sénat. Elle avait été à l’origine de grandes tensions entre le pouvoir en place et la Haute assemblée. Le gouvernement reprochait alors aux sénateurs – qui s’en défendaient – d’empiéter sur le travail de la justice, Christophe Castaner allant même jusqu’à accuser les sénateurs de vouloir « s’arroger un pouvoir de destitution du président de la République ».

La multiplication des enquêtes – parlementaires, judiciaire et de l’Elysée – pourrait aussi être de nature à limiter la portée et l’impact médiatique de chacune d’elles. Autrement dit, de noyer le poisson.

« On a toujours été capable de gérer la ligne jaune à ne pas dépasser »

Le futur président de la commission d’enquête, le sénateur LR Alain Milon, ne veut pas croire à un tel dessein. Pour lui, l’enquête du parquet ne change rien. « Ça n’empêchera pas la commission d’enquête de faire son travail, d’aller jusqu’au bout de ce que souhaiteront ses membres. Et chacun son boulot. Moi je vais essayer de trouver ce qui a entraîné le dysfonctionnement et trouver des solutions pour qu’il n’existe plus. On a des rôles différents » soutient le sénateur du Vaucluse. Autrement dit, ça ne le « gêne pas ».

Sentiment partagé par le président du groupe PS du Sénat, Patrick Kanner. « Je n’ose pas imaginer que le parquet, sur ordre, ait pu lancer une telle procédure pour empêcher le travail parlementaire. Je ne suis pas naïf mais je crois encore à un minimum de respect de ce rôle fondamental du contrôle parlementaire sur l’exécutif » dit Patrick Kanner, qui veut pouvoir « faire confiance à la ministre de la Justice, Nicole Belloubet ». Il ajoute :

Je reste très positif, en espérant qu’on ne veuille pas museler les parlementaires par l’engagement d’une enquête préliminaire.

Quant au périmètre, l’ancien ministre des Sports rappelle que le Sénat a « eu la commission d’enquête sur l’affaire Benalla. On a toujours été capable de gérer la ligne jaune à ne pas dépasser. S’interroger sur la gestion des masques, ce n’est pas une question qui relève du judiciaire ». Cette enquête préliminaire du parquet montre plutôt, selon le sénateur PS, que le sujet « prend un nouveau tournant qui ne nous empêchera pas de travailler dans de bonnes conditions ».

Eviter de se marcher dessus

Sur ce risque d’empiéter sur l’enquête judiciaire, le président du groupe centriste, Hervé Marseille, souligne que « tout dépend du périmètre d’investigation de la commission d’enquête ». Il rappelle « que dès qu’il y a une commission d’enquête, la commission des lois écrit au garde des Sceaux qui doit vérifier la compatibilité du champ d’action aux éventuelles enquêtes en cours ». De quoi éviter de se marcher dessus. Le patron des sénateurs centristes constate également que les qualificatifs de l’enquête préliminaire, comme l’homicide, n’ont rien à voir avec le périmètre de la commission d’enquête sénatoriale.

Hervé Marseille n’en reste pas moins « un peu surpris par la situation. Elle est rapide ». Il ajoute :

C’est un peu inattendu. Vous vous attendiez à ça rapidement ?

Rémy Heitz souligne lui-même que « dans les grandes affaires de santé publique (sang contaminé, amiante...), la justice est intervenue bien a posteriori » de la crise.

L’enquête lancée par l’Elysée est « antidémocratique » selon Alain Milon

Hervé Marseille souligne bien que « pour le Sénat, la volonté est de comprendre ce qui s’est passé. Un parlementaire n’est pas juge. Notre volonté n’est pas de mettre en cause qui que ce soit ». Une assurance déjà exprimée par Alain Milon, en mai dernier. Mais ce dernier a peu apprécié hier l’annonce de l’enquête de l’Elysée. « Cette volonté exprimée par l’exécutif me donne envie de chercher la petite bête » a-t-il lâché lundi…

Ce mardi, le sujet lui reste toujours au travers de la gorge. « Autant le souhait du président de la République de mettre une commission d’enquête soi-disant indépendante, je trouve ça hors sujet et antidémocratique » lance Alain Milon, « autant, que le procureur de Paris fasse une enquête à la suite de plaintes déposées, je trouve ça normal. Je ne pense pas qu’il y ait de lien. En tout cas je ne le souhaite pas ! » Quand bien même il y en aurait un, Alain Milon compte sur la justice pour freiner d’éventuelles velléités de l’instrumentaliser : « Le judiciaire sait défendre la séparation des pouvoirs, même si les politiques, parfois, sont tentés... »

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