Crise de l’hôpital : devant les sénateurs, le docteur François Braun veut limiter les dégâts pour passer l’été

Crise de l’hôpital : devant les sénateurs, le docteur François Braun veut limiter les dégâts pour passer l’été

Le médecin, qui pilote une mission-flash à la demande de l’exécutif, doit rendre ses préconisations avant le 1er juillet, alors que le manque de personnel laisse présager un été difficile dans les services d’urgence. Les sénateurs qui l’auditionnaient ont critiqué l’installation d’une « énième » mission sur le sujet, déjà très documenté.
Guillaume Jacquot

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Son professionnalisme n’a pas été remis en question, mais c’est bien sur l’objet de sa mission que le docteur François Braun a été bousculé au Sénat ce 7 juin. Le président du syndicat Samu-Urgences de France (SUdF) a été chargé le 31 mai par l’exécutif de piloter une « mission flash » d’une durée d’un mois sur l’accès aux soins urgents et non programmés. Voulu et annoncé par Emmanuel Macron, ce collectif de professionnels doit notamment « identifier de premières solutions opérationnelles avant l’été ». Ce mardi, une nouvelle journée de mobilisation des soignants a d’ailleurs été organisée, dans un contexte de fermeture de services.

Pourtant, les rapports sur la pénurie de soignants, la dégradation des conditions de travail et l’engorgement des services d’urgence ne manquent pas vraiment. La crise de l’hôpital et des urgences a d’ailleurs été documentée pas plus tard qu’il y a deux mois dans le rapport de la commission d’enquête du Sénat. « L’annonce de cette mission nous a surpris, à la fois par son sujet […] mais aussi par son délai d’un mois », fait remarquer d’entrée de jeu la sénatrice Catherine Deroche (LR), présidente de la commission des affaires sociales. Elle était en charge de la rédaction du rapport de la commission d’enquête sénatoriale lancée en 2021.

« Cette mission-flash est parfaitement inutile », s’emporte la sénatrice Laurence Cohen

Entre les murs du Sénat, le même scepticisme s’est exprimé sous différentes formes durant l’audition. « Ce n’est vraiment plus le temps des inventaires », s’agace Bernard Jomier (groupe socialiste, écologiste et républicain). La communiste Laurence Cohen y est allée de manière plus franche. « Je suis assez étonnée qu’il y ait une énième mission-flash. Cette mission-flash est parfaitement inutile. » Avant de citer Georges Clemenceau : « Si vous voulez enterrer un problème, nommez une commission », avait coutume de dire le Tigre. Comme d’autres collègues, René-Paul Savary (LR) a sourcillé devant le calendrier de la mission. « Si c’est une mission très courte, cher confrère, c’est pour enjamber — on peut le penser — les élections législatives. Parce que, face à cette crise, puisque votre responsabilité c’est de notamment passer l’été, il va falloir prendre des décisions impopulaires […] Ce n’est pas la peine d’attendre le 1er juillet pour prévenir les personnes concernées. »

Bref, on a connu des accueils plus chaleureux à la commission des affaires sociales, intarissable sur les difficultés préoccupantes de l’hôpital. En effet, « le problème n’est pas nouveau », reconnaît bien volontiers François Braun. « Le traitement est dans sa grande globalité connu, puisque toutes les solutions ont été mises sur la table. » Le professionnel de santé est un homme de terrain, il est le chef des urgences du CHR Metz-Thionville (Moselle). Et le syndicat qu’il dirige enchaîne les publications et les propositions. Ces derniers mois, le docteur messin a joué un rôle politique en servant la campagne d’Emmanuel Macron, en tant que référent santé.

Les traitements connus, il faut « maintenant rédiger l’ordonnance »

Devant le Sénat, le médecin multiplie les métaphores médicales pour défendre la plus-value de sa mission, alors que le « diagnostic » et le « traitement » sont connus. « L’objectif, c’est de maintenant rédiger l’ordonnance et de s’assurer que les médicaments sont bien donnés ». Le médecin au chevet des hôpitaux a l’embarras du choix : son groupe de travail, composé de deux urgentistes et deux médecins, a déjà listé 150 pistes, élaborées aussi bien par les professionnels, les syndicats ou les parlementaires. Il ne reste plus qu’à les « prioriser » et voir lesquelles semblent « réalistes » pour une mise en œuvre à court terme. « Dès qu’une idée fait consensus, elle est tout de suite transmise au ministère de la Santé, pour regarder si d’un point de vue réglementaire c’est possible, pour que ce soit réellement applicable au 1er juillet », explique François Braun. Ne croyant pas à une « solution unique », le médecin insiste aussi sur la dimension territoriale des mesures.

L’urgentiste résume sa méthode avec cette formule du monde médical : faire du « damage control ». En bon français, cela revient à limiter les dégâts et assurer la survie d’un blessé grave, dans un contexte qui ne permet pas la prise en charge de la totalité des problèmes. « Il faut arrêter l’hémorragie », résume François Braun. Pour « passer l’été », du mieux possible. « On ne fera pas revenir forcément des soignants dans les deux-trois mois qui viennent. Si on part sur cette idée, on se trompe. Il faut surtout qu’on évite que des soignants continuent à quitter l’hôpital », insiste-t-il.

En guise d’éléments concrets, François Braun donne quelques exemples de points à corriger rapidement. Sur le sujet de la régulation de l’accès aux urgences, le médecin estime qu’il faudra davantage de recrutements d’assistants de régulation médicale. Or, une certification sera bientôt exigée et pourrait empêcher des renforts dans les équipes. « Si on ne repousse pas cette date, on ne pourra pas recruter. C’est un peu le travail de cette mission », prend-il en exemple.

« Il est évident que la reconnaissance de la pénibilité du travail de nuit est largement insuffisante »

Autre urgence : redonner « du sens » au métier des soignants et les recentrer sur le soin. « 50 % du temps d’un soignant à l’hôpital, c’est du temps administratif, 25 % pour un généraliste. On peut peut-être arrêter toutes les tâches administratives totalement inutiles durant l’été », imagine le médecin. Il évoque également le besoin d’une meilleure coopération entre la médecine de ville et l’hôpital, mais aussi entre le public et le privé. Pendant les phases aiguës de la pandémie, les places étaient attribuées à l’échelle d’un territoire, en mélangeant hôpitaux publics et cliniques privées. « C’est quelque chose qu’on peut remettre en situation de crise extrêmement rapidement », assure François Braun.

Revalorisation des actes de médecine générale pour les prises en charge au titre de la régulation du Samu, travail sur la qualité de vie, beaucoup de chapitres sont évoqués. François Braun souscrit également à l’une des revendications de l’intersyndicale. « Il est évident que la reconnaissance de la pénibilité du travail de nuit est largement insuffisante. »

Interrogé à plusieurs reprises sur le volet budgétaire, essentiel pour financer certaines propositions, le médecin botte en touche. « Ce n’est pas mon cadre », prévient-il. « La décision ne sera prise par moi. » Dans un contexte de pénurie en ressources humaines, la sénatrice Laurence Cohen s’interroge sur la possibilité d’une réintégration des soignants suspendus depuis plusieurs mois, pour ne pas avoir respecté l’obligation vaccinale contre le covid-19. « Le sujet n’est pas sur la table au sein de cette mission […] Je n’aurai pas d’avis particulier à donner là-dessus », répond le médecin.

Les anciens membres de la commission d’enquête ne se satisferont pas de simples rustines décidées en quelques semaines. « Vous ne pouvez pas apporter de réponses satisfaisantes qui ne soient en cohérence avec des mesures de moyen terme », objecte le sénateur Bernard Jomier, qui appelle à préparer un « plan d’ampleur ». « J’ai le sentiment qu’on traite le sujet par le petit bout de la lorgnette », s’inquiète également Philippe Mouiller (LR). « Ne faut-il pas globalement une loi de refondation ? »

Le traitement « palliatif » pour l’été, pour reprendre le terme d’Élisabeth Doineau (Union centriste), la rapporteure générale du budget de la Sécurité Sociale, n’empêchera pas « une action de fond », appelle Catherine Deroche. La présidente de commission estime qu’un y a un « vrai signal politique à donner ». Ce sera la tâche de la nouvelle ministre de la Santé, Brigitte Bourguignon. François Braun admet lui aussi que les réflexions devront se poursuivre au-delà de l’été. « Bien sûr derrière, il y a une réforme du système de santé qui doit être mise en place. »

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