Crise des sous-marins : Florence Parly se défend de toute « naïveté »

Crise des sous-marins : Florence Parly se défend de toute « naïveté »

La ministre des Armées a été auditionnée au Sénat ce 12 octobre sur la rupture brutale du contrat d’achat de douze sous-marins d’attaque par l’Australie. Elle a affirmé que le gouvernement français avait toujours répondu aux attentes de leur partenaire. Le Sénat doit à présent décider de la suite à donner à cette dernière audition.
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Près d’un mois après la spectaculaire « trahison » de l’Australie, qui a rompu le « contrat du siècle » de douze sous-marins d’attaque, conçus par le français Naval Group, les parlementaires cherchent toujours à comprendre et à élucider les zones d’ombre. La France a-t-elle vu venir le changement de stratégie opéré par l’Australie, reposant sur un nouveau partenariat avec les Etats-Unis et le Royaume-Uni ? Si oui, aurait-elle pu l’empêcher ? « Les interrogations sont multiples », a résumé ce 12 octobre Christian Cambon (LR), président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat. Les sénateurs se sont entretenus, face caméra, avec la ministre des Armées.

Depuis les premières interpellations à la Haute assemblée, lors des questions d’actualité du 12 octobre, la tension est nettement redescendue. Plus apaisés, les échanges dans la salle René-Monory du Palais du Luxembourg ont permis, de part et d’autre, d’aborder le dossier avec plus de sérénité et de détails. Florence Parly est longuement revenue sur la chronologie des faits et sur les vicissitudes de ce contrat avec l’Australie, devenu concret en 2016 par la signature d’un accord intergouvernemental.

La presse australienne et les journaux français n’ont pas manqué de nourrir de questions les sénateurs. Il y a quatre jours, le quotidien Le Monde se penchait sur les 18 mois qui ont précédé le « coup de poignard dans le dos », selon les mots de Jean-Yves Le Drian. « La valse du partenariat stratégique franco-australien souffrait d’arythmie depuis longtemps. Les Français ne l’ignoraient pas, mais, comme dans toute relation fragile, ils évitaient d’en parler. »

Florence Parly a refusé cette lecture, démentant toute « naïveté » dans ce dossier ou forme de « légèreté ». « Non seulement nous n’avons pas été dans l’évitement, mais nous avons été dans l’action […] Je défie quiconque d’avoir été capable de déceler a priori ce qui était en train de se tramer. » D’après elle, les « efforts d’accompagnement consentis par la France », pour satisfaire les demandes australiennes, ont été d’une « ampleur exceptionnelle ». Elle relève 35 entretiens bilatéraux avec les quatre ministres australiens de la Défense qui se sont succédé depuis 2017. « Avec l’alternance de mes homologues, cela n’a pas été une sinécure. »

Les bruits autour d’un plan B en juin 2021

Ainsi, de la fin de l’année 2019 au mois de mars 2021, la France accède aux demandes de l’Australie, pour accroître la future place de l’industrie australienne dans le chantier. « Nous avons toujours fait le nécessaire pour trouver des solutions », a-t-elle insisté. Au début du mois de juin 2021, le numéro 2 de la Défense australienne confie lors d’une audition parlementaire : « Nous sommes très engagés pour conduire à son terme le programme Attack, mais il est approprié de regarder des alternatives, dans les cas où nous ne serions pas en mesure d’avancer. » La presse australienne s’en fait abondamment le relais.

La ministre des Armées française a assuré que la France est restée « proactive », à toutes les étapes depuis 2016. La première hésitation « de nature stratégique » se produit « à partir du début de l’été 2021 », moins de trois mois avant la rupture du contrat, selon la ministre. En pleine montée des peurs face aux démonstrations de force de la Chine. « Cette hésitation nous surprend, mais nous ne sommes pas inactifs […] En substance, ils se demandent si, au regard de la montée en puissance des capacités militaires chinoises, le programme répond à leurs besoins ». S’en suit une multiplication d’échanges, « à tous les niveaux », pour répondre aux inquiétudes australiennes. « À aucun moment, ils ne nous disent avoir pris une décision d’abandon du programme […] ni a fortiori l’envie de basculer vers le développement d’une sous-marinade à propulsion nucléaire. À aucun moment », martèle la ministre. Le gouvernement français dépêche même sur place, à la fin août, un spécialiste : l’amiral Morio de l’Isle. Ses conclusions sont « sans appel ». « Le sous-marin de classe Attack sera encore très performant à l’horizon 2050 contre la menace chinoise. ». Bref, « tous les échanges politiques, qui sont intervenus, ont permis de constater que la partie australienne n’adressait aucun reproche sur le plan technique au projet industriel », a-t-elle résumé.

« J’espère que vous avez bien conscience que l’Australie a joué double. »

La ministre a répété une fois de plus que la lettre du gouvernement australien adressée au constructeur, en date du 15 septembre, ne laissait présager aucune remise en cause du contrat. « Elle indiquait que tous les feux étaient au vert pour passer à la phase suivante », a-t-elle rappelé. « C’est donc bien un satisfecit qui est donné à Naval group, seulement quelques heures avant la dénonciation du contrat. »

Le même jour, l’Australie annonçait brutalement la conclusion d’un nouveau partenariat avec les Etats-Unis et le Royaume-Uni (AUKUS), pour la construction de sous-marins. Cette fois, avec une propulsion nucléaire, ce à quoi l’Australie s’opposait depuis au moins 2009. « Jamais ce paramètre n’a été remis en question », s’est remémorée la ministre française. Et d'ajouter : « Nous avons abordé chaque difficulté soulevée par les Australiens avec méthode et sérieux […] J’espère que vous avez bien conscience que l’Australie a joué double jeu. »

« Ne pas espionner ses alliés n’a pas de sens lorsqu’on est dans le domaine économique. »

Au terme d’un exposé synthétique d’une demi-heure, le président de la commission des affaires étrangères, Christian Cambon (LR) n’a relevé aucune contradiction avec les précédentes auditions sur le sujet. Ce dernier a affirmé que le récit de la ministre « corroborait le séquentiel » donné à la fois par le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian et le PDG de Naval Group.

Les services français pouvaient-ils se douter de ce partenariat « négocié dans le plus grand secret » ? « Entre très proches partenaires, les rapports doivent être fondés à priori sur la confiance et non sur la mise en doute de la parole donnée. Ce n’est pas de la naïveté », a estimé la ministre.

Néanmoins, cette vision n’a pas semblé convaincre les sénateurs. « Ne pas espionner ses alliés n’a pas de sens lorsqu’on est dans le domaine économique et dans le domaine de la défense », est intervenu Joël Guerriau (Les Indépendants). Le socialiste Rachid Temal, qui a fait l’expérience d’un échange musclé avec la ministre en hémicycle, s’est, une fois encore, demandé comment la France avait pu être aveugle. « Ça ne peut qu’inquiéter la représentation nationale. »

La ministre a simplement indiqué que les services de renseignement français n’étaient « ni naïfs, ni inactifs ». Elle n’a pas développé davantage ses propos, le caractère public de l’audition l’empêchant d’évoquer ce périmètre évidemment sensible.

Interrogée sur l’avenir des ambitions françaises dans cette vaste région du monde, et à l’heure où des inquiétudes montent au Sénat sur l’issue du troisième référendum sur l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie, la ministre s’est voulue rassurante. « L’annulation de ce contrat n’invalide pas notre stratégie indopacifique. »

La commission des affaires étrangères va à présent prendre une décision sur la constitution ou non d’une commission d’enquête

Avec la fin de l’audition de Florence Parly, c’est un cycle de quatre auditions sur la crise des sous-marins, débuté le 29 septembre, qui s’achève à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Les sénateurs ont auditionné successivement le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, le PDG de Naval Group et le directeur général de la DGSE, le service de Renseignement extérieur. Ces deux derniers échanges se sont déroulés à huis-clos et n’ont pas fait l’objet de comptes-rendus. Le bureau de la commission va désormais se réunir pour décider des suites à donner. Le 22 septembre, les parlementaires avaient indiqué que ces quatre auditions devraient être un préalable avant d’éventuellement doter leur commission des prérogatives de celle d’une commission d’enquête.

 

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