Loi 3DS : le Sénat autorise les communes à négocier les quotas de logements sociaux

Loi 3DS : le Sénat autorise les communes à négocier les quotas de logements sociaux

A l’occasion de l’examen au Sénat du projet de loi « 3DS », les sénateurs ont aménagé la loi SRU qui fixait un objectif de 25% de logements sociaux jusqu’en 2025. Ils ont notamment voté la mise en place d’un « contrat de mixité sociale » entre les communes et le préfet, qui permet « d’adapter » le rythme de rattrapage de la construction de logements sociaux. Si une commune atteint les objectifs fixés dans ce contrat, elle ne sera pas sanctionnée, même si ces objectifs sont inférieurs aux quotas de la loi SRU. En contrepartie, les sanctions financières en cas de non-respect du contrat de mixité sociale ont été alourdies.
Louis Mollier-Sabet

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A l’occasion de l’examen au Sénat du projet de loi « 3DS », les sénateurs ont aménagé la loi SRU qui fixait un objectif de 25% de logements sociaux jusqu’en 2025. Ils ont notamment voté la mise en place d’un « contrat de mixité sociale » entre les communes et le préfet, qui permet « d’adapter » le rythme de rattrapage de la construction de logements sociaux. Si une commune atteint les objectifs fixés dans ce contrat, elle ne sera pas sanctionnée, même si ces objectifs sont inférieurs aux quotas de la loi SRU. En contrepartie, les sanctions financières en cas de non-respect du contrat de mixité sociale ont été alourdies.

« On ne dénature pas l’esprit et l’objectif général de la loi SRU »

D’emblée la gauche semble à la fois se féliciter de la prolongation de la loi SRU et rester méfiante quant aux aménagements concoctés par la majorité sénatoriale. Pierre Laurent, sénateur communiste de Paris, ne semble par exemple pas exactement concevoir la « prolongation de la loi SRU » de la même façon que la droite sénatoriale : « Nous nous félicitons de la prolongation de la loi SRU, d’autant plus que seulement 767 sur 2000 communes concernées par la loi SRU sont dans les clous. Nous devons poursuivre ces efforts. […] La souplesse apportée par ce nouveau dispositif ne doit pas être perçue comme un affaiblissement des objectifs de la loi. » Sophie Taillé-Polian, sénatrice écologiste, partage les craintes de son camarade des bancs de l’opposition : « Le dispositif tel qu’il est aujourd’hui est un affaiblissement de la portée de cette loi. […] La volonté de certaines communes de ne pas accueillir de logements sociaux, je la regrette profondément. »

La rapporteure Dominique Estrosi-Sassone, sénatrice LR, tente de convaincre et rassurer les sénatrices et sénateurs de gauche : « En aucune manière il me semble que ce qu’a proposé le gouvernement et la commission ne dénaturent l’esprit et l’objectif général de la loi SRU. » Le but ne serait « pas de déroger aux objectifs » poursuit-elle, mais simplement de « fixer aux maires des rendez-vous réalistes pour ne pas provoquer une fatigue de la loi SRU. »

Pour ce faire, la commission propose donc un « contrat de mixité sociale » conclu entre le préfet et les communes, qui fixera des objectifs contractuels de rattrapage dans la construction de logements sociaux. Le point important est que ces objectifs pourront être inférieurs aux objectifs légaux aujourd’hui en vigueur au niveau national, même s’il est déjà possible d’en être exemptés dans certaines conditions, qui ont d’ailleurs été élargies vendredi par le Sénat. En contrepartie, les sanctions financières en cas de non-respect des objectifs négociés avec le préfet ont été renforcées. Face aux protestations à gauche, Dominique Estrosi-Sassone et Emmanuelle Wargon, ministre du logement, tentent donc de convaincre la gauche que ces aménagements permettront une meilleure application de la loi SRU, et pas un « affaiblissement » du dispositif. Mais à force de vouloir contenter tout le monde, on finit par ne convaincre personne.

Quotas de logements sociaux : « On est dans des objectifs qui s’apparenteraient à ceux du Gosplan »

Un moment de flottement a en effet parcouru l’hémicycle, quand le sénateur (LREM) du Val d’Oise Alain Richard a proposé un amendement limitant la croissance du nombre de logements total que l’on prend en compte dans le calcul des quotas SRU. En clair, certaines villes connaissent une croissance urbaine rapide et le rythme de construction de logements sociaux ne pourrait pas suivre. Emmanuelle Wargon, comme Dominique Estrosi-Sassone trouvent artificiel de limiter arbitrairement la croissance urbaine à 2 % dans le calcul des quotas SRU, mais les discussions autour de cet amendement finissent par largement dépasser son objet premier.

Plusieurs sénateurs de la majorité sénatoriale finissent par « s’engouffrer » – selon les mots de Dominique Estrosi-Sassone – dans cette discussion pour faire part de leur mécontentement plus global à l’encontre de la loi SRU, qui ne prendrait pas en compte les contraintes qui pèsent parfois sur les communes. Roger Karoutchi, sénateur LR des Hauts-de-Seine et vice-président du Sénat, s’en « excuse » même auprès de la rapporteure, mais il votera l’amendement d’Alain Richard contre l’avis de la commission : « Nous sommes parfois dans des secteurs très urbanisés où la difficulté de trouver des terrains de construction est une réalité. Vous débloquez la date, mais pas le chiffrage de l’objectif. Je vois des communes qui ne construisent pas [de nouveaux logements sociaux], mais qui réhabilitent juste des logements pour les compter dans les objectifs de la loi SRU. Faire des efforts, très bien, encore faut-il avoir du terrain disponible. »

Max Brisson, sénateur LR des Pyrénées-Atlantiques, ne prend pas de gants, même avec la position de la commission : « On est bien dans des objectifs qui s’apparenteraient à ceux du Gosplan : ils sont irréels, fictifs. Il y a des communes où vous pouvez repousser la date de plusieurs siècles, on n’y arrivera jamais. Un jour il faudra que l’on sorte du piédestal sur lequel on a mis la loi SRU. Il faut produire des logements sociaux partout, mais en prenant en compte la réalité des territoires. »

Alain Milon, un autre sénateur LR et ancien président de la commission des Affaires sociales, fait lui aussi part de ses doutes sur la prise en compte des contraintes qui pèsent sur les communes : « Dans le Vaucluse, j’ai été maire d’une commune de 20 000 habitants plutôt ouvrière, où l’on était à peu près à 15 % de logements sociaux. Au même moment, on nous a mis des PPRI [plans de prévention des risques] pour les incendies, les inondations, ou les sites Seveso. Quand je me retourne pour faire du logement social, il ne reste plus que des hectares sur des vignes de Châteauneuf-du-Pape, vous imaginez le prix de l’hectare ? »

« Plutôt une volonté de différenciation politique que de différenciation territoriale »

De l’autre côté de l’hémicycle, on grince aussi des dents, mais pour les raisons inverses. « Cet article va dans le sens d’une réduction des sanctions possibles, mais il faut garder au préfet et à l’Etat leur capacité d’agir » avertit par exemple Sophie Taillé-Polian. Au vu des débats internes à la majorité sénatoriale, les élus de gauche ne se font pas d’illusion sur le sens dans lequel iront les dispositions adoptées par la chambre haute sur la loi SRU. C’est peut-être pour ça qu’ils tiennent à rappeler « les choix politiques » qui sont faits dans cette « prolongation » de la loi SRU.

« Paris a des arrondissements dans lesquels on a théorisé qu’il serait impossible d’y construire des logements sociaux. On commence à voir émerger dans le XVIè et le VIIè arrondissement des logements sociaux là où c’était paraît-il totalement impossible d’en construire » rétorque notamment Pierre Laurent à la majorité sénatoriale. Le sénateur socialiste des Landes, Éric Kerrouche, est encore plus direct et ironise sur le titre du projet de loi : « Quand on entend certaines assertions, on se dit qu’on est plutôt dans une volonté de différenciation politique que de différenciation territoriale. »

Accusée de dogmatisme, Sophie Taillé-Polian appelle les sénateurs de la majorité sénatoriale à reconnaître « les choix politiques » qui ont été faits : « Ne soyez pas dans un angélisme qui relève aussi du dogmatisme. Il y a, notamment en Île-de-France, une ségrégation socio-spatiale qui se poursuit et qui est liée à des choix politiques. […] Il y a de la mauvaise volonté. » La sénatrice écologiste du Val-de-Marne tente même de calmer les débats : « C’est pour cela qu’il faut continuer le travail et jusqu’ici le ton n’était pas polémique. »

« Ce n’est pas une question politique, c’est une question de réalisme »

Mais à la droite de l’hémicycle, la rupture semble consommée, et même Dominique Estrosi-Sassone semble avoir abandonné le registre de conciliation qu’elle avait adopté en début de séance : « Vous êtes encore dans des positions très dogmatiques. Quand j’entends parler de maires mauvais élèves, récalcitrants, c’est faire preuve de dogmatisme et d’un sectarisme. On ne rencontre plus de maires qui disent ouvertement qu’ils ne veulent plus faire de logement social. J’ai vu les progrès réalisés depuis 20 ans, même dans la région de Nice, où des maires pouvaient dire avant qu’ils ne feraient pas de logements sociaux. Ils ont tous évolué. »

La droite sénatoriale semble avoir pris l’accusation personnellement, malgré les précautions rhétoriques prises en début de séance. Laurent Burgoa, sénateur LR du Gard, interpelle Éric Kerrouche : « Ce n’est pas une question politique, c’est une question de réalisme. Dans le Gard il y a des maires plus proches de vos idées que des miennes qui n’ont pas de terrain pour produire des logements sociaux, par rapport à des zones Natura 2000 ou des plans de prévention des risques d’incendie ou d’inondation. Et je ne les blâme pas, quand vous n’avez pas de terrain, comment vous faites ? Et bien vous ne pouvez pas construire. »

Valérie Létard sénatrice LR, qui a beaucoup travaillé sur le dispositif avec Dominique Estrosi-Sassone, enjoint aussi ses collègues « à ne pas tomber » dans une logique où il y aurait « ceux qui sont dogmatiques et qui veulent éviter les quotas SRU » et « ceux qui sont dans une logique vertueuse d’application de la loi ». Elle en veut pour preuve le fait que de nombreuses communes « pauvres » qui n’arrivent pas à construire des logements sociaux « dans les conditions telles qu’elles sont imposées par les services de l’Etat ». « Il n’y a pas que les quartiers riches qui ont ce problème » martèle-t-elle à la tribune.

« Il faut le faire et l’adapter » conclut-elle sur le dispositif de la commission finalement adopté en séance. Reste à savoir si la majorité présidentielle sera de cet avis à l’Assemblée nationale, étant donné que le gouvernement n’a pas semblé totalement convaincu par l’ampleur donnée par la majorité sénatoriale au « contrat de mixité sociale ».

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