Décentralisation : le Sénat veut redonner « du souffle » au projet de loi 3DS

Décentralisation : le Sénat veut redonner « du souffle » au projet de loi 3DS

L’examen du projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et à la simplification (3DS) s’est achevé en commission au Sénat. Les sénateurs estiment avoir amélioré le texte du mieux qu’ils ont pu, dans les limites du droit d’amendement. Les déceptions subsistent.
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Ce sera le dernier texte lourd à l’agenda du Sénat avant la coupure estivale. Pendant de longs mois, le doute a plané sur son inscription à l’ordre du jour du Parlement. Le voici désormais entre les mains du Sénat, la première chambre systématiquement saisie dès qu’il est question des collectivités locales. Ne parlez plus de loi « 3D » ou même « 4D », mais dites loi « 3DS ».

Le texte entend améliorer la décentralisation – l’attribution de compétences au niveau local – la déconcentration de l’Etat dans les territoires, mais aussi aller plus loin dans la différenciation, c’est-à-dire l’adaptation des lois et décrets suivant les réalités locales. Le quatrième D, qui répondait au nom peu élégant de « décomplexification » est devenu « simplification ». Ce dernier volet est d’ailleurs anecdotique, de l’avis d’un des rapporteurs du texte au Sénat, Mathieu Darnaud (LR). « La plupart des mesures de simplification n’apportent rien. Une grande partie est même de nature à complexifier les choses. »

De la « déception » au Sénat

C’est peu dire que le texte 3DS n’est pas à la hauteur des espérances des sénateurs, sur des sujets qu’ils ont maintes fois abordés. Il y a quasiment un an jour pour jour, le Sénat formulait 50 propositions pour « le plein exercice des libertés locales ». Le document, élaboré de façon transpartisane, devait servir de fil conducteur à la Haute assemblée dans l’examen du projet de loi 3DS. Une partie de leurs recommandations s’y retrouvent, certaines non. Après plusieurs lois territoriales durant la dernière décennie, souvent mal vécues par les élus locaux, les sénateurs ne s’attendaient pas à un grand chamboulement. Néanmoins ils espéraient autre chose du texte. « Nous le prenons avec de la déception », résume le président (LR) de la commission des lois, François-Noël Buffet, ce jeudi 1er juillet. La présidente de la délégation aux collectivités locales regrette un « inventaire à la Prévert » et un « excès de timidité remarquable » sur le volet décentralisation du texte.

Signe de la grande variété de domaines abordés par le texte, quatre commissions du Sénat ont travaillé sur le projet de loi pour l’enrichir, dans les contraintes du droit d’initiative des parlementaires, limité. « Nous nous sommes attachés à donner un peu de souffle à ce texte », a expliqué Françoise Gatel, avant l’examen en séance publique à partir du 7 juillet.

Compétences « à la carte »

Il n’y aura pas de « grand soir » de la décentralisation, ni de grands mouvements dans la répartition des compétences locales, mais des corrections ou des apports, déjà défendus par le Sénat dans d’autres textes. Un amendement propose ainsi un « transfert à la carte » des compétences dans les intercommunalités. Une autre modification importante a consisté à confier aux régions la compétence du service public de l’emploi : là aussi, ce n’est pas la première fois que le Sénat formule cette demande. Les régions s’occupent déjà du développement économique et gèrent les formations professionnelles.

Certains amendements redonnent de la souplesse aux institutions locales, et davantage de marges de manœuvre au niveau local. En commission, le Sénat a étendu le pouvoir réglementaire des collectivités locales dans plusieurs domaines. La commission des lois a également redonné un peu de corps à l’article 1, qui aborde la différenciation territoriale. « Elle doit être prise en compte dans tous les textes législatifs », a demandé Françoise Gatel. Dans les articles relatifs au logement et notamment à l’avenir de la loi SRU sur les obligations en logements sociaux, le texte du Sénat a intégré les préconisations du récent rapport de Dominique Estrosi Sassone (LR) et Valérie Létard (Union centriste), qui allaient dans le sens de plus de souplesse et de prise en compte des difficultés locales.

Une plus grande place pour les élus locaux dans les ARS

Après trois vagues épidémiques de covid-19 qui ont déferlé sur la France, le texte réécrit en commission porte également les stigmates de la crise sanitaire. Les sénateurs sont allés plus loin dans la modification de la gouvernance des agences régionales de santé (ARS), bientôt chapeautées par un conseil d’administration prévu à l’article 31 du projet de loi. Ils ont introduit le principe d’une coprésidence par le préfet de région et le président du conseil régional. Un autre amendement a renforcé le poids des voix des représentants des collectivités locales qui siègent au conseil d’administration.

Quant au projet régional de santé, ce document devra être soumis à une validation du conseil, et non à un simple avis de consultation. La commission des affaires sociales s’est aussi montrée vigilante sur l’article 32, qui ouvre à l’ensemble des collectivités la possibilité d’apporter un soutien aux investissements destinés aux établissements de santé. Elle a précisé que les départements devaient s’engager sur les établissements de proximité, et les régions sur les établissements de plus grande envergure. Et surtout, la commission a souhaité rappeler que ces appoints territoriaux n’avaient pas vocation à se substituer aux financements de l’Etat ou de la Sécurité sociale. « Nous avons considéré que cet article était dangereux », a fait savoir Alain Milon (LR).

La commission des affaires sociales a également frappé un grand coup en supprimant l’article 35, qui prévoyait, à titre expérimental, de renationaliser le versement du RSA. Pour le sénateur LR Alain Milon, même si cette demande était portée par la Seine-Saint-Denis, le Parlement est toujours en attente de l’expérimentation menée depuis 2019 à Mayotte, en Guadeloupe et à La Réunion. Le Sénat préfère en outre donner de véritables moyens aux départements pour assurer ce rôle.

« On peut se demander s’il y a un pilote dans l’avion »

Sur d’autres aspects, le Sénat se montre aussi particulièrement mécontent du flou sur certains dispositifs du projet de loi, en particulier le transfert des routes nationales aux départements, métropoles ou régions volontaires. « On peut se demander s’il y a un pilote dans l’avion », s’est exclamé Mathieu Darnaud. Le rapporteur s’étonne de deux sons de cloches différents au gouvernement : la ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités locales, Jacqueline Gourault, s’était engagée à fournir la carte des routes pouvant être concédées, quand le ministre chargé des Transports Jean-Baptiste Djebbari a temporisé, en renvoyant à l’adoption du texte et la prise du décret. Sur ce chapitre des routes concédées, les sénateurs ont rallongé la durée de l’expérimentation de cinq à huit ans, et ont imposé la transmission préalable d’informations aux collectivités, pour éviter les cadeaux empoisonnés.

Sur le renforcement des pouvoirs de dérogation accordés aux préfets, le sénateur Mathieu Darnaud s’en prend là aussi à « l’incohérence » gouvernementale, regrettant que les annonces soient repoussées à un futur comité interministériel. « Il n’y a pas mieux pour tuer un texte que d’annoncer que l’essentiel de la déconcentration se passe en dehors », a-t-il reproché. « Il faut un chef d’orchestre désigné », demande la sénatrice Françoise Gatel, constatant que le texte fait intervenir un nombre important de ministres. « On espère qu’il y aura une révolution culturelle au gouvernement d’ici mercredi. »

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