Des airs de faux départ pour le coup d’envoi de l’examen du budget au Sénat

Des airs de faux départ pour le coup d’envoi de l’examen du budget au Sénat

L’examen du budget 2022 a débuté ce jeudi au Sénat et les débats ont été poussifs. Les tensions entre les sénateurs et Bruno Le Maire, ainsi que la décision du groupe LR d’écourter l’examen du budget, ont rendu la discussion sur le fond difficile. Retour sur l’examen d’un budget mort-né.
Louis Mollier-Sabet

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Tout est dans ces premiers pas qui séparent Bruno Le Maire de la tribune, au moment de lancer l’examen du budget 2022 au Sénat, que le locataire de Bercy avale d’une démarche assurée, avant d’être interrompu par Laurence Rossignol : « Monsieur le ministre, je vous invite à vous rasseoir. » Le ministre en question s’arrête net, et il n’y a malheureusement pas qu’en sprint que le faux départ ne pardonne pas : c’est souvent le cas pour le marathon budgétaire également. Le sénateur communiste, Éric Bocquet, a en effet demandé un rappel au règlement, qui sonne comme un rappel à l’ordre adressé au ministre de l’Economie et des Finances : « Dans votre livre, vous suggérez de limiter les compétences du Sénat en matière budgétaire à de simples observations et une approbation finale et non plus une lecture complète. » Bruno Le Maire n’était déjà pas en odeur de sainteté à la haute assemblée, qui lui reproche une assiduité plus que mesurée sur les bancs du Sénat. Le ministre de l’Economie a en effet écrit plus de livres pendant le quinquennat (4) qu’il n’a participé à des questions d’actualité au gouvernement au Palais du Luxembourg (3) et une telle proposition risque fort de ne pas améliorer sa popularité dans l’hémicycle.

>> Lire aussi : Des ministres peu présents lors de l’examen des textes, les sénateurs grincent des dents

C’est d’ailleurs un de ces fameux ouvrages qui constitue la dernière pomme de discorde entre les sénateurs et Bruno Le Maire, puisque ce dernier a publié – une semaine avant le début de l’examen du PLF au Sénat – un ouvrage où il défend une réforme des institutions qui revient largement sur le bicamérisme et les prérogatives législatives de la haute assemblée, en mettant fin, notamment, au double examen des lois par l’Assemblée nationale et le Sénat. Depuis, dès que les sénateurs arrivent à mettre la main sur le ministre de l’Economie, ils ne se privent pas de le renvoyer à cette « attaque du bicamérisme. » C’est ce qu’avait déjà fait Sophie Primas, la présidente de la commission des Affaires économiques, dès son propos introductif lors de l’audition de Bruno Le Maire ce mercredi, en le remerciant « de consacrer du temps au Sénat qui vous voit si peu. » Et dire qu’il y a cinq ans, le locataire actuel de Bercy se présentait aux primaires du parti de l’actuelle majorité sénatoriale.

« ‘Ayez confiance !’ nous dit le gouvernement, ça me rappelle le Livre de la Jungle »

Mais depuis, le torchon brûle entre Bruno Le Maire et les sénateurs de tous bords, et le début de l’examen du PLF 2022 n’a pas fait exception ce jeudi. Face aux récriminations d’Éric Bocquet, Bruno Le Maire assume, mais tente de calmer le jeu : « Je suis gaulliste et sur le sujet de la place du Sénat et du fonctionnement de nos institutions j’ai des convictions. Mais il ne me paraît pas utile de les rappeler lors de la discussion de la loi de finances. » Circulez, en somme, il n’y a rien à voir. Le ministre embraye en défendant ce dernier budget du quinquennat d’Emmanuel Macron et détaille les prévisions de croissance – réévaluées à 6,8% – et de déficit, anticipe les futures variations des taux d’intérêt, rassure sur l’inflation, en se cantonnant finalement à la douce musique des finances publiques : discuter des crédits et des missions sera peut-être moins conflictuel. Oui, sauf que, comme l’ont rappelé tous les orateurs du jour, le budget 2022 est le dernier budget du quinquennat, et son examen est par conséquent marqué par la campagne présidentielle.

Du côté de la majorité sénatoriale, on dénonce depuis des semaines un budget à la fois incomplet et électoraliste, comme le rappelle encore le rapporteur général du budget, Jean-François Husson, lors de sa prise de parole du jour : « C’est un budget livré en kit que nous nous apprêtons à discuter. Au fil des jours et des déplacements, de nouvelles annonces se font jour, se concrétisant dans le PLF au fil de l’examen à l’Assemblée nationale. D’un budget incomplet nous sommes passés à un budget de campagne, il y en a pour tout le monde ou presque. » Du côté de l’opposition sénatoriale aussi, on rit jaune face aux ajouts de dernière minute du gouvernement dans le budget. Claude Raynal, le président socialiste de la commission des Finances, ironise par exemple à propos de l’histoire du fameux amendement le plus cher de la Vème République, adopté lors de l’examen du budget à l’Assemblée nationale, qui ouvre 34 milliards de crédits pour le plan France 2030, « sans étude d’impact et avec une idée très schématique de comment cet argent sera dépensé » : « ‘Ayez confiance !’ nous dit le gouvernement, ça me rappelle le livre de la jungle. Le gouvernement demande de la confiance, tout en considérant qu’il n’appartient pas aux parlementaires d’examiner l’opportunité de ces dépenses. » Rémi Féraud, sénateur PS de Paris, embraye : « Ce budget n’est pas respectueux des droits du Parlement, la période de pré-campagne n’y est pas pour rien. »

« Un budget de campagne »

Mais si l’examen de ce PLF au Sénat a eu du mal à démarrer sur le fond des équilibres budgétaires, ce n’est pas seulement à cause du phagocytage de la discussion par le conflit entre Bruno Le Maire et les sénateurs, même si le ministre de l’Economie n’a pas arrangé les choses en quittant l’hémicycle sitôt son discours introductif terminé. Cette impression de faux départ vient aussi d’un sentiment qui plane sur une grande partie des interventions : ce PLF est un budget mort-né.  À la suite de toutes les critiques formulées par la majorité sénatoriale sur ce budget 2022, cela fait en effet quelques semaines que le groupe LR envisage de ne pas examiner le budget en votant une « question préalable », qui aurait pour effet de rejeter le texte avant même son examen. Ce n’est finalement pas l’option qui semble avoir été retenue : le Sénat devrait examiner la première partie du budget sur les recettes et les équilibres généraux, mais rejeter l’article d’équilibre qui conclut cette partie, et ainsi arrêter l’examen du budget 2022 mardi prochain, sans aborder les dépenses des différentes « missions » de l’Etat. 

>> Plus d’explications sur l’examen écourté du PLF au Sénat : Le Sénat devrait rejeter le budget 2022 avant même la fin de l’examen du texte

Or, si tous les groupes politiques, ou presque, sont d’accord pour dire que sur la forme, cet examen budgétaire n’a pas été des plus orthodoxes, beaucoup regrettent cet examen écourté. Emmanuel Capus, sénateur du groupe Les Indépendants, proche de la majorité présidentielle, convient par exemple bien volontiers que l’Assemblée nationale « n’a pas eu la chance de débattre d’un texte complet », mais réaffirme que « la principale prérogative du Parlement est de voter le budget », regrettant ainsi ce qui est un véritable secret de polichinelle : le Sénat n’ira pas au bout de l’examen du PLF. Pourtant, même au sein de la majorité sénatoriale, les centristes semblent plutôt vouloir amender le budget que de le rejeter en bloc, et lance même un appel au groupe socialiste : « L’Union centriste souhaite débattre du budget de la France, ce sont les grandes orientations de demain. Rémi Féraud [sénateur PS de Paris] nous dit qu’il veut examiner les recettes et les dépenses, je lui dis chiche ! »

On sent finalement que le probable futur rejet du texte dans quelques jours pèse sur tous les bancs de l’hémicycle. Au moment où le groupe communiste a déposé une de ces fameuses « questions préalables », les explications de vote semblaient d’ailleurs plus répondre au futur vote de mardi qui décidera de l’arrêt de l’examen du texte. Le président du groupe RDSE, Jean-Claude Requier, pourtant hostile « par principe » aux questions préalables car « favorable au débat » met d’ailleurs les pieds dans le plat pour dénoncer l’absurdité de cette situation : « Je serais presque tenté de voter la question préalable, parce que si l’on doit finir mardi, autant finir ce soir, on sera libre. » La décision du groupe LR d’écourter l’examen vampirise les débats et le gouvernement ne manque pas une occasion de le faire remarquer. « Je vois dans toutes vos interventions des risques d’injonctions contradictoires. Les mêmes qui reprochent de ne pas redresser suffisamment vite les finances publiques sont les mêmes qui, dans la deuxième partie, à l’occasion de l’examen des dépenses, nous reprocherons un manque de moyens. Peut-être que certains d’entre eux éviteront le risque de la contradiction » lance, presque amusé, Olivier Dussopt, ministre chargé des Comptes publics. « Budget de campagne » oblige, chacun essaye de tirer parti d’une situation pour le moins particulière, où le marathon budgétaire est presque fini avant d’avoir jamais commencé.

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