Des magnats des médias bientôt forcés de s’exprimer devant une commission d’enquête du Sénat ?
Le groupe socialiste du Sénat a voté. Il souhaite déclencher une commission d’enquête pour comprendre comment les médias se concentrent dans un nombre de plus en plus réduit de mains. Si la demande est jugée recevable, des auditions sous serment seront organisées dans les prochains mois.

Des magnats des médias bientôt forcés de s’exprimer devant une commission d’enquête du Sénat ?

Le groupe socialiste du Sénat a voté. Il souhaite déclencher une commission d’enquête pour comprendre comment les médias se concentrent dans un nombre de plus en plus réduit de mains. Si la demande est jugée recevable, des auditions sous serment seront organisées dans les prochains mois.
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Verra-t-on dans les prochaines semaines les auditions au Sénat de propriétaires de grands groupes médiatiques, tels Vincent Bolloré (Canal +, CNews) ou Patrick Draghi (BFMTV, L’Express, Libération) ? L’hypothèse prend chaque jour un peu plus forme. Le président du groupe socialiste, écologiste et républicain (SER) du Sénat, Patrick Kanner, avait vendu la mèche le 20 octobre dans notre émission « Sénat Stream », en confiant que plusieurs de ses collègues défendaient l’idée d’une commission d’enquête sur la « concentration des pouvoirs médiatiques ». Le projet est désormais sur les rails. Le groupe, qui avait le choix entre une demi-douzaine d’options, s’est accordé sur ce thème, lors de sa réunion hebdomadaire ce mardi 26, pour faire usage de son droit de tirage annuel. A chaque session parlementaire, tous les groupes peuvent en effet demander la création d’une mission d’information ou d’une commission d’enquête sur une actualité de leur choix.

La présidence du Sénat a réceptionné le lendemain leur proposition de résolution « tendant à créer une commission d’enquête afin de mettre en lumière les processus ayant permis ou pouvant aboutir à une concentration dans les médias en France et d’évaluer l’impact de cette concentration sur la démocratie ». La commission des lois du Sénat doit statuer le 2 novembre, selon nos informations, sur la recevabilité de cette proposition de résolution. Le lendemain, la conférence des présidents – l’instance où s’organise l’agenda parlementaire – pourrait entériner la proposition, si son périmètre était jugé conforme. Pour rappel, une commission d’enquête est formée « pour recueillir des éléments d’information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales, en vue de soumettre leurs conclusions à l’assemblée qui les a créées », selon l’ordonnance du 17 novembre 1958, qui en régit le fonctionnement.

« Une commission d’enquête qui a une dimension extrêmement politique »

Si cette commission d’enquête venait à voir le jour, elle s’inscrirait dans un contexte électoral très particulier. « C’est vraiment une commission d’enquête qui a une dimension extrêmement politique et extrêmement sociétale, au sens démocratique du terme », explique à Public Sénat la sénatrice Sylvie Robert, première signataire de la proposition de résolution avec David Assouline. Certes, le phénomène de concentration des journaux ou des médias audiovisuels n’est pas nouveau mais « s’est accentué », selon la sénatrice.

Le groupe évoque par exemple le projet de fusion des groupes TF1 et M6, qui « suscite des craintes en termes de diversité des médias et de pluralisme, et de positions économiquement dominantes sur le marché publicitaire ». Ou encore plus récemment, la volonté d’extension du groupe Bolloré dans le groupe Lagardère (Europe1, Paris Match, le Journal du Dimanche). La presse écrite n’est pas en reste, puisque le marché national se partage depuis de nombreuses années entre plusieurs oligopoles. « La presse quotidienne régionale est désormais aux seules mains de cinq ou six acteurs — dont deux groupes bancaires — qui ont cassé le système pluraliste issu de la libération », s’inquiètent les sénateurs PS.

« On veut savoir dans quelles conditions ont été affectées les récentes concentrations dans les médias », détaille la sénatrice d’Ille-et-Vilaine. En toile de fond de ces mouvements d’acquisitions de journaux et de chaînes de l’audiovisuel, s’ajoute l’influence toujours croissante des géants de l’Internet, les Gafam. « L’exigence d’indépendance, de liberté et de pluralisme des médias est absolument primordiale, en particulier dans le contexte actuel. Ces principes constitutionnels doivent continuer d’être des remparts à toute entrave à l’exercice de la démocratie », insistent les sénateurs socialistes dans l’exposé des motifs de leur demande de création de commission d’enquête. La commission d’enquête se penchera non seulement sur les mécanismes à l’œuvre, mais aussi sur ses conséquences. Les travaux d’enquête devraient aussi logiquement déboucher sur des préconisations pour défendre le pluralisme. « L’exigence d’indépendance, de liberté et de pluralisme des médias est absolument primordiale, en particulier dans le contexte actuel. Ces principes constitutionnels doivent continuer d’être des remparts à toute entrave à l’exercice de la démocratie », peut-on lire dans la proposition de résolution.

Lire aussi » Concentration des médias : Roselyne Bachelot plaide pour des « instruments de régulation puissants »

L’intérêt d’une telle commission d’enquête a déjà trouvé des soutiens au-delà du groupe socialiste. Sur notre antenne, le sénateur LR Stéphane Le Rudulier s’est dit « assez favorable » à l’initiative de ses collègues socialistes. « Incontestablement la question qui se pose c’est : est-ce que l’information est une marchandise comme une autre ? La réponse est bien évidemment non […] Si des grands groupes concentrent la majorité des médias, le risque est très clair : c’est d’avoir une ou deux idées dominantes en France, ce qui n’a jamais été le cas. »

« Toute personne dont une commission d’enquête a jugé l’audition utile est tenue de déférer à la convocation »

L’avantage d’une commission d’enquête sur une simple mission d’information réside dans les pouvoirs conférés à ses membres. Les auditions ont lieu sous serment et toute personne convoquée doit y répondre. « Toute personne dont une commission d’enquête a jugé l’audition utile est tenue de déférer à la convocation qui lui est délivrée, si besoin est, par un huissier ou un agent de la force publique, à la requête du président de la commission », dispose l’ordonnance de 1958.

Qui pourrait être entendu dans le cadre de cette commission d’enquête ? Les enjeux sont nombreux. Ils sont économiques, réglementaires, éditoriaux ou encore politiques. « Il y aura une liste d’acteurs primordiaux sur ce sujet, notamment ceux qui sont au premier rang de la question », imagine Sylvie Robert. Interpellé sur la plateforme Twitch, Patrick Kanner avait acquiescé sur l’éventualité d’une venue de Vincent Bolloré, premier actionnaire de Vivendi (Canal +, CNews, etc.) « Il serait convoqué naturellement. »

En 2015-2016, l’homme d’affaires avait été entendu par la commission de la culture du Sénat, après sa reprise en main du groupe Canal +. Après plusieurs rendez-vous déclinés, les sénateurs avaient attendu neuf fois avant de recevoir l’actionnaire breton.

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