Déserts médicaux : le Sénat adopte la mise en place de la 4e année d’internat en médecine générale

Déserts médicaux : le Sénat adopte la mise en place de la 4e année d’internat en médecine générale

Votée par la droite et une partie du centre, la proposition de loi présentée par le LR Bruno Retailleau vise à la fois à renforcer la professionnalisation des jeunes médecins et à lutter contre les déserts médicaux. L’avenir de ce texte semble toutefois compromis dans la mesure où le gouvernement propose une réforme similaire, intégrée au budget 2023 de la Sécurité sociale, dont l’examen démarre ce mercredi à l’Assemblée nationale.
Romain David

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Les sénateurs ont voté ce mardi en faveur de l’instauration d’une quatrième année d’internat aux études de médecine générale, portant leur durée totale à dix ans. Les élus examinaient la proposition de loi sur « la consolidation de la formation des internes en médecine générale afin de lutter contre les déserts médicaux », et qui vise à faire de cette quatrième année, une année de professionnalisation à effectuer en priorité dans une zone sous-dotée en offre de soins. Ce texte, déposé par Bruno Retailleau, le chef de file des sénateurs LR, a été inscrit à l’agenda de la Chambre haute avant que le gouvernement n’annonce vouloir présenter une mesure similaire via le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2023 (PLFSS).

Selon Bruno Retailleau, cette quatrième année permettra « d’installer provisoirement 3 500 à 4 000 jeunes médecins sur l’ensemble du territoire, de les rémunérer de façon attractive, de faciliter leur installation future, ce à quoi la formation actuelle ne les prédispose pas. » Actuellement, quelque 6 millions de Français n’ont pas de médecin traitant. « Ce chiffre est un scandale quand on le rapporte à la dépense engagée pour la santé dans notre pays, et qu’on la compare à celle des autres pays de l’OCDE », a pointé le Vendéen.

« Les étudiants ont craint que la formation puisse être instrumentalisée pour remédier aux difficultés d’accès aux soins. Je tiens à lever toute ambiguïté : ce texte ne sacrifie pas l’encadrement et la qualité de la formation », a voulu déminer la rapporteure Corinne Imbert, en référence à la levée de boucliers soulevée par la mesure du côté des syndicats d’étudiants. Entre 1000 et 5000 internes, selon les sources, ont d’ailleurs manifesté vendredi dernier à Paris. « Il n’est pas possible d’ignorer les besoins de nos territoires dans l’affectation des médecins en stage », a toutefois plaidé la sénatrice. « L’accès à un médecin généraliste constitue un enjeu majeur pour nos concitoyens, or la démographie de la profession est particulièrement sinistrée. La France a perdu en 10 ans environ 5 000 généralistes. »

La gauche alerte sur les efforts déjà demandés aux internes en médecine

L'unique article de cette proposition de loi a été adoptée par 232 voix pour, et 96 contre, grâce notamment aux votes des Républicains et d’une large partie de leurs alliés centristes, qui forment ensemble la majorité sénatoriale. En revanche, socialistes et communistes s’y sont opposés, reprochant notamment au dispositif d’alourdir inutilement, et sans concertation, le cursus universitaire des jeunes médecins.

« Cette proposition de loi ne résoudra rien mais va démotiver et précariser les internes. L’ajout d’une dixième année d’études, sans ouvrir de négociation, revient à mettre la charrue avant les bœufs. Une réforme de la formation nécessiterait de discuter du contenu pédagogique et du rythme des études, de prendre en compte l’épuisement professionnel qui touche les deux-tiers des internes », s’est agacée la communiste Laurence Cohen, vice-présidente de la commission des affaires sociales, rappelant qu’un interne a « trois fois plus de chances de se suicider qu’un jeune du même âge. » Son collègue Pierre Ouzoulias a appuyé cette démonstration en insistant sur les efforts déjà demandés aux futurs médecins pour combler les fragilités du système hospitalier. « Les internes de médecine gagnent 6 euros de l’heure, 70 % dépassent le plafond hebdomadaire légal de 48 heures. Coût de leur formation : 104 000 euros. Chiffrage du travail qu’ils apportent : 121 000 euros. Ils sont les seuls étudiants en France à rapporter de l’argent à l’Etat. Il faut le répéter parce qu’ils le vivent comme une profonde injustice », a-t-il martelé.

De leur côté, les socialistes ont choisi de s’opposer au texte après le rejet d’un amendement déposé par Bernard Jomier, et visant à soumettre à négociation avec les parties prenantes les modalités de cette quatrième année. « Les étudiants ont raison de refuser cette quatrième année. C’est un dispositif qui ne les reconnaît pas pleinement, un statut sous-rémunéré, qui fait croire qu’il ne s’agit que de formation et qui n’en explicite même pas les vrais objectifs. C’est une décision prise sans eux », a voulu dénoncer ce médecin de profession.

Doublon législatif

Le ministre de la Santé, François Braun, a indiqué « partager avec les auteurs du texte le fond de ce qui est proposé » et a souhaité la mise en œuvre de cette quatrième année d’internat pour les généralistes. Mais dans la mesure où l’exécutif entend défendre sa propre version de la réforme avant la fin de l’année, via un article intégré au budget 2023 de la Sécurité sociale, il a choisi de se contenter d’un simple « avis de sagesse bienveillante ».

En septembre dernier, dans la foulée des annonces du ministre, Bruno Retailleau s’était agacé sur Twitter d’une « méthode ni respectueuse du Parlement, ni efficace ». Ce mardi, l’élu a de nouveau reproché au gouvernement sa manière de faire : « Nous avons vu que vous avez repris cette réforme dans le PLFSS, je pense que vous l’avez fait de façon précipitée, sans beaucoup de concertation et sans en définir les modalités, ce qui a pu raidir un certain nombre de syndicats, notamment d’internes », a-t-il accusé. « Je pense aussi que la façon dont elle a été rédigée vous fait courir le risque d’une disposition anticonstitutionnelle dans la mesure où elle n’impacte pas vraiment les finances de la Sécurité sociale. En quelque sort, cette proposition de loi est une séance de rattrapage. »

Le parcours législatif du texte semble néanmoins en suspens. Si la balle est désormais du côté de la chambre basse, rappelons que l’examen en séance du projet de loi de financement de la Sécurité sociale, qui porte donc une disposition similaire, débutera dès mercredi au Palais Bourbon. Si la mesure est considérée comme un cavalier législatif au texte budgétaire, et donc rejetée comme l’a laissé entendre Bruno Retailleau, la majorité présidentielle pourra toujours se ressaisir du sujet en inscrivant le texte du Sénat à l’agenda de l’Assemblée nationale.

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