Décentralisation : le Sénat adopte la possibilité aux départements de restreindre l’accès au RSA

Décentralisation : le Sénat adopte la possibilité aux départements de restreindre l’accès au RSA

Le projet de loi « 3DS » prévoit dans son article 2 sur la différenciation, l’augmentation du pouvoir réglementaire des élus locaux. Dans ce cadre, la commission des lois du Sénat a ajouté à cet article la possibilité pour les conseils départementaux de restreindre l’accès au RSA, à partir d’un certain niveau d’épargne des bénéficiaires notamment. Le gouvernement et la gauche s’y sont opposés, mais la disposition a été votée par la majorité sénatoriale.
Louis Mollier-Sabet

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Les convergences de la discussion générale entre la droite et la gauche face au projet de loi « 3DS » proposé par le gouvernement n’ont pas tenu longtemps. Quelques heures après le début de l’examen du texte, les esprits se sont quelque peu échauffés dans l’hémicycle lors de la discussion de l’article 2 qui prévoit un « élargissement du pouvoir réglementaire des élus locaux ». Ce n’est a priori pas un thème qui déchaîne les passions et les anathèmes, pourtant l’ajout par la commission des lois d’une disposition « tendant à assouplir les marges de manœuvre dont disposent les conseils départementaux dans le cadre du versement [du RSA] » a fait entrer le débat dans une dimension bien plus conflictuelle que les considérations juridiques sur le droit des collectivités locales à la différenciation. La mesure prévoit notamment que « le règlement départemental d’aide sociale puisse imposer une condition de patrimoine pour le bénéfice du RSA », c’est-à-dire qu’un citoyen disposant d’un certain niveau d’épargne ou de patrimoine ne soit pas éligible au RSA à partir d’un seuil fixé par le conseil départemental.

« Nous franchissons un pas vers la fragmentation de la solidarité nationale »

Le problème pour la gauche du Sénat, ce n’est pas vraiment le principe juridique de différenciation, qui prévoit de confier des compétences différentes à des collectivités de même niveau. « Si des collectivités de même niveau ont à traiter des situations différentes, c’est une très bonne chose », assure par exemple le sénateur socialiste Éric Kerrouche. C’est l’application de cette différenciation à des politiques de solidarité financées au niveau départemental, mais mises en œuvre au niveau national qui inquiète à gauche de l’hémicycle.

Pour la sénatrice communiste Laurence Cohen : « Si chaque département établit son règlement pour le versement des aides sociales, nous franchissons un pas vers la fragmentation de la solidarité nationale. […] Le RSA est financé par les départements, mais distribué par les caisses d’allocations familiales (CAF), selon des règles fixées nationalement afin de garantir une égalité d’accès au droit sur l’ensemble du territoire. » Sur les bancs des écologistes, Guy Benarroche abonde : « Nous sommes loin de l’universalité de notre système de protection sociale. »

Une fois n’est pas coutume, la majorité présidentielle proteste aux côtés de la gauche. Alain Richard, sénateur RDPI (LREM) est formel : « La disposition de la commission est inconstitutionnelle. » Il s’explique : « Autant il peut y avoir dans un certain nombre de services publics des méthodes différentes, mais en ce qui concerne le calcul d’une prestation sociale fondée sur le revenu, confier à des collectivités le pouvoir d’appliquer des critères différents est contraire au principe d’égalité tel qu’appliqué par le Conseil constitutionnel. Le Sénat peut adopter ces dispositions, mais elles ne seront jamais dans la loi. » Un avertissement qui en vaut implicitement un autre de la part du parlementaire de la majorité présidentielle. Après avoir été voté par le Sénat, le texte sera discuté à l’Assemblée nationale à majorité LREM, qui aurait le dernier mot en commission mixte paritaire en cas de désaccord persistant sur cette mesure.

Éric Kerrouche, sénateur socialiste, est quand même inquiet pour la mauvaise publicité que cette mesure pourrait faire à la différenciation : « Si l’on voulait décrédibiliser l’idée de différenciation territoriale, on ne s’y prendrait pas mieux […] Cette mesure idéologique vient déconstruire ce que nous essayons de construire patiemment dans ce texte. »

« On cherche à traquer les quelques économies qu’une personne aurait pu faire dans sa vie »

Et effectivement, c’est bien un désaccord idéologique qui s’est introduit dans des débats a priori techniques autour du pouvoir réglementaire des élus locaux. Laurence Cohen, Éric Kerrouche ou encore Didier Marie rappellent tour à tour à la majorité sénatoriale, que la fraude aux prestations sociales et en particulier au RSA (environ 800 millions d’euros annuels) est négligeable d’abord par rapport aux pertes liées à l’évasion fiscale (des dizaines de milliards d’euros) et ensuite par rapport au taux de non-recours à cette même prestation sociale. Environ 1/3 des personnes ayant droit au RSA n’en font pas la demande et ne le perçoivent donc pas, pour un montant de 3,6 milliards d’euros. Bref, pour Didier Marie : « On cherche à traquer les quelques économies qu’une personne aurait pu faire dans sa vie avant de tomber dans la précarité plutôt que de l’accompagner. »

Le critère du patrimoine arrêté par la commission des Lois pose en effet problème à la gauche sénatoriale. Le sénateur Guy Benarroche explique : « Le patrimoine est constitué de biens qui ne peuvent pas constituer des ressources. Par exemple, un agriculteur possédant des parcelles agricoles pourrait se voir refuser le RSA par un département ou accepté par un autre, et ce même si ses parcelles ne lui confèrent pas un revenu suffisant. »

« Toutes les discussions que j’entends me paraissent surréalistes parce qu’il me semble que c’est une mesure de justice sociale »

Philippe Bas, ancien président de la commission des Lois et rédacteur de la disposition en question s’oppose frontalement à la lecture des sénateurs et sénatrices de gauche sur ce point : « Il s’agit simplement, quand des demandeurs du RSA ont une épargne importante, de leur dire qu’avant de recourir à la solidarité nationale, ils doivent recourir à leurs propres moyens. Il ne s’agit nullement de viser des personnes en situation de précarité, mais des personnes qui ont des ressources. » Le sénateur LR de la Manche ne s’arrête pas en si bon chemin et revendique une disposition de « justice sociale » : « Toutes les discussions que j’entends me paraissent presque surréalistes, parce qu’il me semble que c’est simplement une mesure de justice sociale vis-à-vis des travailleurs qui ont un faible revenu et pas du tout d’épargne, que de demander à ceux qui ont une épargne d’y recourir avant de recourir à la solidarité nationale. »

La rapporteure centriste du texte, Françoise Gatel, apporte bien sûr le soutien de la commission des Lois à cette mesure, mais sur des arguments plus juridiques : « Nous avons octroyé un droit à la différenciation des collectivités et rejeter cette possibilité c’est interdire les départements à un droit à la différenciation, puisque les départements ont essentiellement des compétences à caractère social. Ce genre de mesures seraient discutées au sein de l’assemblée délibérante de la collectivité. C’est un exercice de sa compétence et de sa responsabilité vis-à-vis de ses électeurs. »

Du côté du gouvernement, Jacqueline Gourault a simplement rappelé que « le gouvernement est favorable au pouvoir réglementaire local », tout en s’opposant aux dispositions de la commission des Lois concernant la restriction départementale du RSA à des conditions de patrimoine. « Il faut savoir sur quoi s’applique ce pouvoir réglementaire local » a-t-elle précisé. Apparemment pas au RSA, puisque le gouvernement a donné un avis favorable aux amendements de suppression de la gauche. Mais au Sénat, c’est généralement l’avis de la commission, et non du gouvernement, qui l’emporte et les amendements de suppression n’ont pas été adoptés.

La possibilité pour un conseil départemental « d’imposer une condition de patrimoine pour le bénéfice du RSA » a donc bien été validée par l’examen du texte au Sénat. Il faudra maintenant que cette disposition ne soit pas supprimée par l’Assemblée nationale, ce qui paraît peu probable au vu des avis donnés par le gouvernement et les sénateurs RDPI dans ce débat.

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