Dissolution : pourquoi la « menace » d’Emmanuel Macron n’en est pas vraiment une

Dissolution : pourquoi la « menace » d’Emmanuel Macron n’en est pas vraiment une

Face à la possibilité d’être mis en minorité à l’Assemblée sur la question de la réforme des retraites, Emmanuel Macron agite la menace de la dissolution. Mais finalement pourrait-il faire autrement ? Pas vraiment, estime le constitutionnaliste Benjamin Morel, parce que si la Constitution n’impose pas au Président de dissoudre après une motion de censure, la logique politique et l’esprit des institutions imposeraient une dissolution.
Louis Mollier-Sabet

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Comme prévu, la teneur du dîner de la majorité qui s’est tenu mercredi soir à propos de la méthode à adopter sur la réforme des retraites n’a pas tardé à « fuiter » dans les médias. Coup de tonnerre, Emmanuel Macron serait prêt à dissoudre l’Assemblée nationale si les députés venaient à voter une motion de censure. Ce jeudi matin sur LCI, Olivier Dussopt a même assumé face caméra que le Président de la République n’excluait pas de dissoudre en cas de censure à la chambre basse. Les commentateurs y vont de leurs hypothèses : sur qui le chef de l’Etat met-il la « pression » en brandissant explicitement cette « menace » ultime, directement par la voix de son ministre du Travail ? Sur les LR, groupe pivot pour faire adopter la mesure au Parlement ? Sur sa propre majorité, assez réticente sur la méthode d’abord proposée par le chef de l’Etat de passer par un amendement dans le budget de la Sécu ? Peut-être certains parlementaires y verront-ils effectivement un message d’Emmanuel Macron, mais constitutionnellement, le chef de l’Etat ne fait que confirmer une évidence de la pratique des institutions de la Vème République. « Il s’adresse plus aux journalistes qu’à sa majorité ou à LR en jouant les matamores pour montrer que ça ne lui fait pas peur », analyse ainsi le constitutionnaliste Benjamin Morel. « Si demain un gouvernement venait à être renversé, il y aurait dissolution », ajoute le professeur de droit public à Paris-II Panthéon-Assas.

« Il y a deux bombes nucléaires dans la Constitution, la motion de censure et la dissolution »

Pour le comprendre, il faut revenir à la procédure de vote d’une motion de censure à l’Assemblée nationale. L’article 49, alinéa 2 de la Constitution, qui codifie la procédure de vote d’une motion de censure, prévoit qu’un dixième des députés au moins est nécessaire pour qu’une telle motion soit recevable, soit actuellement 58 députés. Ainsi, dans l’Assemblée actuelle, les groupes LFI, LR ou RN peuvent a priori déposer des motions de censure quand ils l’entendent, mais un député ne peut être signataire que de trois motions de censure pendant une session ordinaire. Si la motion de censure fait suite à l’utilisation du fameux « 49-3 » par le gouvernement, les députés ont 24h pour la déposer. La motion doit ensuite être votée sous 48h après son dépôt, et une majorité absolue de l’Assemblée nationale – soit 289 députés – doit impérativement la voter pour mettre en cause la responsabilité du gouvernement.

» Voir notre article : Motion de censure : mode d’emploi

Dans l’équilibre actuel des forces politiques à l’Assemblée nationale, l’approbation par une majorité absolue de députés d’une motion de censure paraît « peu probable », pour Benjamin Morel, « parce qu’il faudrait que LFI, le RN et LR se retrouvent sur le même texte. » Mais dans ce cas improbable, Emmanuel Macron semble donc – de l’avis général – agiter la menace d’une dissolution en guise de dissuasion. La question c’est peut-il faire autrement ? La seule contrainte constitutionnelle que pose l’adoption d’une motion de censure, c’est que le Premier ministre remette la démission au gouvernement au Président de la République. Mais l’histoire ne s’arrête pas là, explique le constitutionnaliste : « Il y a deux bombes nucléaires dans la Constitution : la motion de censure pour le législatif et la dissolution pour l’exécutif. Le principe de cet équilibre de la terreur, c’est que vous ne mettez pas la menace à exécution, et que si vous la mettez, vous êtes certains que l’autre va répliquer. »

« Se soumettre ou se démettre »

Théoriquement, « Emmanuel Macron pourrait donc reformer un gouvernement avec un nouveau Premier ministre, ou même renommer Élisabeth Borne », imagine Benjamin Morel. Le Président de la République pourrait donc légalement refuser de dissoudre, mais rentrerait dans un bras de fer avec l’Assemblée nationale où il ne dispose pas d’une majorité absolue : « Emmanuel Macron pourrait s’entêter à la Mac Mahon [pendant la crise du 16 mai 1877, ndlr], il est relativement libre de ses mouvements. Mais comme l’a dit Gambetta à l’époque, il devra ‘se soumettre ou se démettre’. Il ne peut pas imposer durablement un Premier ministre à une Assemblée coalisée contre lui qui voterait des motions de censure. Si les oppositions sont d’accord avec le principe de voter une motion de censure, le gouvernement ne peut pas tenir. » Le général Mac Mahon avait en effet refusé de nommer un chef de gouvernement de gauche alors que les républicains avaient remporté les élections législatives et étaient majoritaires, pour la première fois depuis la proclamation de la IIIème République.

Théoriquement, les lois constitutionnelles de 1875 laissaient toute latitude au Président de la République pour choisir son Premier ministre. Mais, en toute logique politique, les députés républicains menés par Léon Gambetta avaient mis quelques mois à faire craquer le président monarchiste, qui avait finalement nommé un Président du conseil de centre gauche. De même, d’après Benjamin Morel, Emmanuel Macron ne pourrait pas « tenir » sans dissoudre : « Actuellement, être désavoué par une motion de censure, cela veut dire que LFI, le RN et LR se sont mis d’accord pour vous faire tomber. C’est un taux de pression dans le pays qui est proche de l’explosion, aller chercher un autre Premier ministre ne calmera ni la rue, ni les oppositions qui n’ont aucun intérêt à rentrer dans cette galère. »

Dissolution : la menace fantôme

Si la Constitution n’oblige pas le Président à dissoudre en cas de vote d’une motion de censure, le fonctionnement et l’esprit des institutions de la Vème République le commandent en quelque sorte. Charles de Gaulle voyait la dissolution et / ou le référendum comme des débouchés naturels à la « rupture d’une extraordinaire gravité » qu’était le vote d’une motion de censure. « En ce cas extrême, le Président, qui a la charge d’assurer la continuité de l’État, a aussi les moyens de le faire, puisqu’il peut recourir à la nation pour la faire juge du litige par voie de nouvelles élections, ou par celle du référendum, ou par les deux. Ainsi, y a-t-il toujours une issue démocratique », déclarait-il le 31 janvier 1964. Le fondateur de la Vème République savait de quoi il parlait, puisque le gouvernement de Georges Pompidou était tombé à cause d’une motion de censure quelques mois auparavant, le 5 octobre 1962, après l’annonce par de Gaulle de l’élection du Président de la République au suffrage universel direct.

Le Président de la République de l’époque avait, comme le « menace » actuellement Emmanuel Macron, « immédiatement » dissous l’Assemblée nationale, organisé un référendum sur le sujet, et était finalement sorti largement renforcé sur les deux fronts. Le référendum avait été facilement remporté et le parti gaulliste avait évincé ses concurrents, mettant ainsi la mainmise sur la droite française. Si une motion de censure venait à être votée, Emmanuel Macron se retrouverait donc en toute logique à dissoudre l’Assemblée nationale. « Il le sait. Mélenchon, Panot, Marleix, Faure et Le Pen le savent », ajoute Benjamin Morel. « C’est une stratégie de communication, après cela marche bien au niveau médiatique. » L’avenir dira si la menace fantôme est une meilleure stratégie de communication que le préquel pour le moins controversé de George Lucas.

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