Eau : un rapport sénatorial plaide pour la construction de nouvelles bassines et fait de « la sobriété une priorité »

Eau : un rapport sénatorial plaide pour la construction de nouvelles bassines et fait de « la sobriété une priorité »

Un rapport sénatorial alerte sur « la nécessité de la prise de conscience » d’une diminution de nos « facilités d’accès » à l’eau dans les années qui viennent. Les sénateurs envisagent la création de « retenues d’eau », les fameuses « bassines », mais font aussi de la « sobriété » dans l’usage de l’eau une « priorité. »
Louis Mollier-Sabet

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Les sécheresses de cet été et les conflits à la rentrée autour de la construction de « méga bassines » ont permis d’avoir un aperçu des tensions que le réchauffement climatique produit et continuera de produire sur le système hydraulique en France. Après un rapport de 2016 des sénateurs Henri Tandonnet et Jean-Jacques Lozach intitulé « Eau : urgence déclarée », la délégation sénatoriale à la prospective continue à s’intéresser à « un sujet majeur », qui va prendre une importance croissante à l’avenir.

« Notre pays ne va pas se transformer en désert en quelques années », tempèrent les rapporteurs, Catherine Belrhiti (LR), Cécile Cukierman (PCF), Alain Richard (Renaissance) et Jean Sol (LR). Malgré cela, « la prise de conscience d’une baisse rapide et très prononcée de nos facilités d’accès à la ressource en eau durant l’été est nécessaire. » Cécile Cukierman explique que la délégation à la prospective ne voulait « pas dresser un tableau apocalyptique, sans faire la politique de l’autruche », parce que « ce serait nier le réel que de dire que nous n’avons pas de problème. »

Le rapport évoque « des pénuries prolongées, comme nous avons déjà pu le vivre ponctuellement durant l’été 2022 »

« La hausse de la température moyenne de la planète, en modifiant le régime des précipitations et en asséchant l’air, va immanquablement perturber le cycle de l’eau sur l’ensemble du territoire hexagonal », poursuit ainsi le rapport. Le travail des sénateurs met en évidence un « un stress hydrique accru », auquel « aucune partie du territoire ne pourra totalement échapper », mais dont les conséquences locales seront « très différenciées », avec une inquiétude particulière pour les zones les plus septentrionales du pays.

Les rapporteurs évoquent ainsi « des pénuries prolongées, comme nous avons déjà pu le vivre ponctuellement durant l’été 2022 », avec plus de 100 communes qui se sont retrouvées sans eau potable durant le mois d’août et ont dû s’approvisionner par camion-citerne. En raison des très grands nombres de paramètres en jeu, une modélisation précise est difficile à construire, mais face à un déséquilibre inévitable entre « une moindre disponibilité de l’eau durant l’été et une hausse de la demande, notamment dans les zones touristiques », les rapporteurs ont suivi deux pistes complémentaires : économiser de l’eau ou davantage mobiliser la ressource.

La sobriété dans l’usage de l’eau : « Une priorité », mais « difficile à activer »

Les Assises de l’eau, tenues entre 2018 et 2019, ont fixé un objectif de baisse de la consommation d’eau de 10 % sur 5 ans, et de 25 % en 15 ans, qui correspond approximativement à la réduction des précipitations anticipées à cause du réchauffement climatique, explique le rapport. Mais pour tenir ces objectifs, les rapporteurs estiment que les leviers disponibles restent « difficiles à activer. »

À titre d’exemple, 20 % de l’eau potable en circulation est perdue à cause de fuites, et les réseaux de distribution moins denses, notamment en zones rurales, pourraient voir leurs performances améliorées avec un investissement public rehaussé de 2 milliards par an (6 milliards actuellement). Mais la France fait déjà partie des bons élèves sur le sujet, et de tels investissements « ne feraient pas économiser plus de quelques centaines de milliers de m3 sur l’ensemble du territoire », d’après le rapport.

Du côté de l’irrigation agricole, les rapporteurs citent une étude du ministère de l’Agriculture estimant à 30 % « les économies d’eau pouvant être réalisées dans les bassins-versants en combinant les différentes techniques d’optimisation de l’irrigation et de diversification des cultures. » La difficulté de ce « levier » se situe plus dans les conséquences économiques et sociales d’une baisse de la consommation en eau qui entraînerait une baisse de la production agricole. Dans les huit préconisations du rapport figure ainsi un accompagnement de cette « adaptation des pratiques agricoles » par la Politique agricole commune (PAC) et les Chambres d’Agriculture.

« Disqualifier globalement le stockage d’eau ne paraît pas fondé scientifiquement »

Si « la priorité est donnée à la sobriété » dans ce rapport, la délégation à la prospective insiste bien sur le fait que la politique de l’eau ne peut pas reposer que sur la sobriété seule. Le rapport appelle à « déployer un panel de solutions variées pour mieux mobiliser la ressource en eau », en adoptant notamment une « approche pragmatique » sur le « sujet sensible » des retenues d’eau.

Le rapport évoque bien les craintes des associations environnementales, notamment sur les retenues d’eau en plaine, communément appelées « bassines », qui procèdent aussi à du pompage dans les nappes phréatiques, et sur le « faux sentiment de sécurité » que cela pourrait créer chez les agriculteurs qui se montreraient moins économes en consommation d’eau. Toutefois, les rapporteurs estiment que la réglementation actuelle est déjà assez exigeante et « interdit le stockage de confort », que la France stocke assez peu d’eau par rapport à ses voisins (4,7 % du flux annuel) et qu’ainsi « disqualifier globalement le stockage d’eau ne paraît pas fondé scientifiquement. »

Les rapporteurs plaident donc pour la construction de nouvelles retenues d’eau, « multi-usages », et pas seulement réservées aux agriculteurs, « lorsque le service environnemental rendu est positif. » Cécile Cukierman insiste ainsi sur le fait « que la question n’est pas de faire des absurdités environnementales », mais simplement « d’avoir des retenues d’eau qui peuvent servir à de multiples usages », comme la gestion des feux de forêts par exemple. Par ailleurs, d’autres techniques, comme les transferts entre bassins, du Rhône à l’Hérault et l’Aude avec l’Aqua Domitia par exemple, ou la recharge artificielle des nappes sont aussi évoquées. Mais c’est la réutilisation des eaux usées traitées qui a le plus convaincu les sénateurs, qui appellent à encourager la recherche sur le sujet.

« Repolitiser la gouvernance de l’eau »

Enfin, les sénateurs se sont intéressés au financement et à la gouvernance de la gestion de la ressource en eau, en appelant d’une part à augmenter les moyens financiers des Agences de l’eau. Le sénateur LR Jean Sol tient à rappeler la « performance » de cet « outillage technique ancien », qui « marche bien », alors que le sénateur de la majorité présidentielle Alain Richard vante un « modèle » français de gestion de l’eau qui fait référence à l’international.

Pour pérenniser le financement de ce modèle, les sénateurs proposent soit l’affectation d’une fraction de la taxe d’aménagement, soit une baisse du taux de TVA sur l’assainissement de l’eau de 10 % à 5,5 %. À cet égard, les rapporteurs attirent l’attention sur l’inefficacité d’une augmentation du financement qui mettrait les usagers à contribution, ce qui entraînerait une « pénalisation des utilisateurs, sans forcément avoir beaucoup d’impact sur les volumes mobilisés. »

Face à une gestion de l’eau de plus en plus technique avec la délégation aux intercommunalités de la compétence « eau et assainissement », la chambre des territoires recommande aussi de « repolitiser les instances de gouvernance de l’eau. » Celle-ci repose notamment sur une décentralisation de la décision publique sur la question et une accélération et une généralisation de la mise en place des Projets de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE), véritable « instrument d’une sobriété concertée » entre les acteurs locaux.

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