Échec de la fusion TF1-M6 : le président de l’Autorité de la concurrence s’explique au Sénat

Échec de la fusion TF1-M6 : le président de l’Autorité de la concurrence s’explique au Sénat

Face aux sénateurs de la commission de la culture, Benoît Cœuré est revenu sur les arguments qui ont conduit le collège de l’Autorité de la concurrence à mettre le holà au projet du groupe Bouygues, propriétaire de TF1, d’acquérir M6.
Guillaume Jacquot

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Le projet de fusion entre TF1 et M6 aurait été à coup sûr l’un des évènements les plus marquants de l’histoire récente des médias en France. L’opération, annoncée en mai 2021 dans l’espoir aboutir à la naissance d’un acteur capable de mieux rivaliser face à l’émergence des plateformes américaines, s’est arrêtée le 16 septembre par un communiqué des deux groupes. Bouygues, propriétaire de TF1, et RTL Group, le propriétaire du groupe M6, ont estimé que les conditions proposées par l’Autorité de la concurrence étaient trop importantes, et vidaient le projet de sa substance. Benoît Cœuré, président de cette autorité indépendante, a été auditionné ce 27 septembre avec la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat, pour expliquer son approche.

« Il s’agissait d’une opération de concentration de grande ampleur qui aurait fait émerger un acteur ultra-dominant sur le marché de la publicité et de la distribution en France, avec sur le marché de la publicité plus de 70 % de parts de marché », a résumé l’économiste, à la tête du collège de cette autorité indépendante. « La conséquence inévitable aurait été une hausse des tarifs de la publicité et une hausse des redevances versées par les distributeurs et peut-être une perte de diversité des programmes qui auraient pu circuler dans un ensemble plus grand », a-t-il ajouté.

La perspective d’un « problème de pouvoir de marché » sur la publicité a été le principal écueil du projet de mariage, selon le gendarme anticoncurrentiel. Les engagements proposés par le groupe Bouygues (le propriétaire de TF1), comme la séparation des régies publicitaires dans l’entité fusionnée n’y auraient rien changé. « Elles auraient été in fine possédées par le même actionnariat, contrôlées par le même groupe », a observé Benoît Cœuré. Face aux risques concurrentiels, l’autorité ne voyait qu’une solution : la cession de la chaîne TF1 ou M6. Ce qui revenait indirectement à se prononcer contre le projet de fusion.

« Pourquoi avoir fait durer autant les choses ? » demande le sénateur Jean-Raymond Hugonet

Dans ce dossier qualifié de « très complexe » par le président de l’Autorité, la question de la définition du marché publicitaire a été déterminante. TF1 a tenté d’acquérir M6 à un moment où Netflix et Disney + s’apprêtent à introduire de la publicité sur leurs plateformes. Malgré l’accélération des usages depuis un précédent rapport datant de 2019, l’Autorité de la concurrence note, à l’issue de plusieurs entretiens avec des acteurs du secteur, que la publicité télévisée et la publicité en ligne ne sont « pas suffisamment substituables ». « Ce que nous ont dit les annonceurs, c’est que les usages sont complémentaires et pas substituables », a insisté Benoît Cœuré.

Le sénateur LR Jean-Raymond Hugonet, rapporteur des crédits pour l’audiovisuel dans le budget de l’État, s’est demandé si cet épilogue n’aurait pas pu survenir plus tôt, au regard du temps et des moyens engagés par les deux groupes. « Depuis le début il était acquis que les marchés pertinents de la publicité linéaire et délinéarisée n’étaient pas complètement substituables. Pourquoi avoir fait durer autant les choses ? »

Pour Benoît Cœuré, il ne faut aucun doute que les acteurs ont été mis en garde très tôt sur la difficulté du projet. « Il a été clair très vite que la faisabilité de cette opération reposait sur un acte de foi qui était la capacité pour l’Autorité de la concurrence d’élargir la définition du marché. Je crois que Bouygues et Bertelsmann [le propriétaire de M6, ndlr] en étaient conscients dès le début », a affirmé Benoît Cœuré. Notifiée formellement en février 2022 du projet d’acquisition, l’Autorité a remis un rapport d’analyse de marchés de ses services d’instruction auprès de Bouygues. En clair, la messe était dite bien avant la mi-septembre. « Ils auraient pu retirer le dossier en juillet. Ils ont choisi d’aller au terme, et de pouvoir se défendre devant le collègue », a relevé Benoît Cœuré.

L’argumentaire de l’Autorité de la concurrence n’a pas toujours été bien accueilli depuis l’été. Son président a souhaité réagir aux critiques qui ont pu s’exprimer. « Je ne crois pas que l’Autorité de la concurrence puisse être suspectée de myopie ou complaisance face aux grandes plateformes américaines ni d’ignorer les évolutions technologiques », s’est défendu Benoît Cœuré, citant notamment les amendes adressées au géant Google.

M6 : si un nouvel acheteur ne se manifeste pas avant fin octobre, « cela va être très difficile », avertit le gendarme de la concurrence

Pour l’actionnaire allemand de M6, le groupe Bertelsmann, le temps presse s’il souhaite toujours vendre M6. L’autorisation d’émettre de la Six, auprès de l’Arcom (l’Autorité publique française de régulation de la communication audiovisuelle), court jusqu’en mai 2023. Après le renouvellement, il ne sera plus possible de faire entrer de nouvel actionnaire pendant une durée de 5 ans. Interrogé par le président de la commission sénatoriale, Laurent Lafon (Union centriste) sur la taille de la fenêtre de tir, Benoît Cœuré s’est montré pressant pour les acquéreurs potentiels, évoquant un « calendrier tendu ».

« Si l’opération ne nous est pas notifiée avant la fin octobre, cela va être très difficile. » Vincent Bolloré (Vivendi), Xavier Niel, le Tchèque Daniel Kretinsky, ou encore Mediaset (détenu par l’Italien Silvio Berlusconi) et Altice (de Patrick Drahi) font partie des repreneurs potentiels qui circulent dans la presse. Au vu de ces hypothèses, et donc des niveaux de chiffres d’affaires qu’ils impliquent, le président de l’Autorité de la concurrence estime que le dossier pourrait être plutôt examiné par la Commission européenne.

« Netflix n’est pas né de la fusion de deux chaînes de télévision »

Face aux législateurs désireux d’entendre ses préconisations sur l’évolution du cadre réglementaire, Benoît Cœuré a plaidé pour des modifications qui « permettent de rétablir un terrain de jeu égal entre les chaînes actuelles et les grands acteurs numériques ». À ce titre, l’économiste a estimé que l’une des propositions de la commission d’enquête sur la concentration des médias allait « dans la bonne direction ». Parmi leurs trentaines de recommandations, les sénateurs de la commission préconisaient, d’aborder le volet de la concentration, non pas avec les outils datés de la loi de 1986, mais avec la notion de « part d’attention », à savoir le temps consacré par un individu à une source médiatique, une façon de mieux intégrer la révolution numérique dans le dispositif.

En fin d’audition, Benoît Cœuré s’est permis un commentaire plus personnel sur la manière pour les chaînes d’aborder les transformations des usages et la montée en puissance des plateformes. « Je ne pense pas que l’opération en elle-même, qui était la fusion de TF1 et M6, changeait fondamentalement la donne. Cela aurait dégagé des ressources, créé des synergies […] mais ces ressources ne sont pas du même ordre de grandeur que les ressources dont disposent Netflix, Disney ou Amazon. » Et de rappeler un précédent : « Netflix n’est pas né de la fusion de deux chaînes de télévision. »

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