Egalim II : une proposition de loi qui fait chou blanc ?

Egalim II : une proposition de loi qui fait chou blanc ?

Le 15 septembre 2021, la commission des affaires économiques a modifié et adopté la proposition de loi dite « Egalim II », visant à protéger la rémunération des agriculteurs. Tour d’horizon des modifications apportées par le Sénat.
Public Sénat

Par Oriane Teixeira-Leveleux

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Cette proposition de loi fait office de correctif à la première loi Egalim, qui avait créé de vives espérances chez les agriculteurs. Le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, Julien Denormandie, disait en avril dernier au micro de Public Sénat, que « ce rapport permet de combler les lacunes de la loi Egalim et de faire les avancées qui sont aujourd’hui nécessaires ». Il décrivait alors les relations entre les distributeurs et les producteurs comme « Un jeu de dupes sur le dos de l’agriculteur. ». C’est bien l’agriculteur qui est désormais au cœur de la proposition de loi, qui est cependant loin de faire l’unanimité à la commission des affaires économiques. Le rapport commence d’emblée en affirmant que « sans ces apports du Sénat, il semble donc de plus en plus évident que le pays aura connu un quinquennat blanc en matière de soutien structurel au revenu des agriculteurs. »

 

« Il est désormais manifeste que les bénéficiaires de la loi Egalim ne sont pas les agriculteurs »

 

Le ton du rapport est sévère à l’encontre du texte adopté par l’Assemblée le 24 juin dernier, en première lecture. La situation dramatique dans laquelle se trouvent aujourd’hui les agriculteurs fait l’objet d’ « appels répétés du Sénat à traiter les différentes causes de cette situation », comme le rappelle le rapport. Il fait suite à des nombreux travaux menés par la commission, qui avait produit une étude d’impact sur la première loi Egalim, dressant un constat sans appel : « Il est désormais manifeste que les bénéficiaires de la loi Egalim ne sont pas les agriculteurs. »

Le rapport commence par un rappel des conditions de vie des agriculteurs, en affirmant notamment que, « dans aucun autre secteur ne peuvent être rencontrés des hommes et des femmes travaillant plus de douze heures par jour, dans des conditions souvent difficiles, sans dimanche et bien souvent sans vacances, et n’ayant pourtant aucune prise sur le prix qu’ils tirent de la vente de leur production. »

La loi Egalim II a vocation à rendre une dignité aux travailleurs agricoles, en introduisant par exemple une clause de révision automatique des prix. Cette clause aurait pour objectif de permettre à l’agriculteur de moduler le prix de vente de son produit en fonction d’une hausse éventuelle des coûts de production. A cette disposition s’ajoutent un certain nombre d’obligations pesant désormais sur le distributeur, du point de vue de la transparence, de la formation du contrat, désormais obligatoirement écrit, ou encore de sa négociation avec l’intervention d’un tiers médiateur. Si, selon la commission, ces dispositions vont dans le sens d’un rééquilibrage de la relation entre fournisseur et distributeur, elles sont cependant subordonnées à des délais désormais plus courts, rendant irréalisable la plupart des objectifs fixés par la loi.

 

« Si nous voulons que la rémunération des agriculteurs s’améliore, il faut […] s’assurer qu’ils ne soient pas les victimes collatérales des négociations »

 

La commission, si elle a exprimé son désarroi vis-à-vis de certaines dispositions, n’a cependant pas refusé d’adopter le texte. L’urgence de la situation agricole a mené les débats entre sénateurs et professionnels, pour aboutir à un compromis amendant la proposition initiale. Pour la sénatrice UC Anne‑Catherine Loisier, rapporteure, « le travail de la commission s’est articulé autour du triptyque simplifier/rééquilibrer/élargir. Si nous voulons que la rémunération des agriculteurs s’améliore, il faut certes leur redonner la main sur la construction de leur prix, mais également s’assurer qu’ils ne soient pas les victimes collatérales des négociations entre industriels et distributeurs. » Pour cela, la commission propose d’élargir le champ d’application de la loi, aujourd’hui circonscrit à quelques 15 % des revenus réels des agriculteurs. « La commission souhaite ainsi associer l’ensemble des produits alimentaires vendus en grandes et moyennes surfaces (GMS) à la recherche d’une plus juste rémunération de l’amont agricole, alors que 30 % d’entre eux y échappent aujourd’hui. »

Elle a également souhaité renforcer l’encadrement des pénalités logistiques. Désormais, les seules situations pouvant justifier l’application d’une pénalité logistique sont celles ayant entraîné une rupture de stocks. Le rapport ajoute que, « ces pénalités devront être proportionnées au préjudice subi. En outre, le distributeur devra apporter la preuve du manquement et tenir compte des circonstances indépendantes de la volonté du fournisseur […]. Enfin, il est prévu que, par souci de réciprocité, les fournisseurs puissent également infliger des pénalités logistiques au distributeur. » Ces dispositions visent à rééquilibrer les relations entre distributeurs et fournisseurs, puisqu’aujourd’hui ces derniers sont à la merci de la bonne volonté des premiers.

Concernant une disposition sur l’étiquetage de l’origine de certains aliments, la commission l’a jugée trompeuse et contraire au code de la consommation. A la place, elle a exigé un contrôle plus étroit en amont, avec une transparence du gouvernement sur la fréquence des contrôles, sur leur objet, les résultats obtenus, et l’identité des entreprises sanctionnées. « L’objectif de la commission est que se dégage progressivement un ensemble de lignes directrices permettant de clarifier ce qui relève d’une pratique trompeuse ou non. » Ensuite, elle a souhaité simplifier les procédures de transparence, à l’heure où les agriculteurs se plaignent plus que jamais d’une inutile complexification légale.

 

« Une illisibilité des dispositifs »

 

Le rapport de la commission pour la prévention des suicides dans le milieu agricole analysait déjà, en mars dernier, que « la profusion des aides économiques aux exploitations en difficulté a abouti à une illisibilité des dispositifs et à leur éloignement progressif des besoins des exploitants agricoles. Bien souvent, ces aides sont peu mobilisables par des exploitants en difficulté et ne sont donc pas du tout opérationnelles. ».

Cette proposition de loi repensée devrait donc aboutir à une revalorisation réelle des revenus des agriculteurs. Le rapport de la commission un an après l’adoption de la première loi Egalim indiquait « le malentendu était peut-être là : la loi Egalim, comme l’indique son nom, était avant tout une loi alimentaire, et non une grande loi agricole. ». Le vote au Sénat, le 21 septembre prochain, de la loi Egalim II, nous dira si les dispositions nouvelles parviennent à replacer l’agriculture au centre du projet.

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