Electricité : pas de black-out mais des « coupures ciblées » possibles, selon le gouvernement

Electricité : pas de black-out mais des « coupures ciblées » possibles, selon le gouvernement

Le Sénat a interpellé le gouvernement sur les difficultés d’approvisionnement électrique et la stratégie énergétique, au cours d’un débat à l’initiative du groupe LR. La secrétaire d’Etat Bérangère Abba a exclu tout risque de coupure généralisée et a estimé que la diversification des énergies, au détriment du nucléaire, améliorera la sécurité du réseau.
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Par Guillaume Jacquot et François Vignal

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Ça va couper. L’hiver, son froid, sa neige… et ses coupures d’électricité. C’est du risque de black-out, ou plutôt, « en Français, de coupure généralisée en approvisionnement d’électricité sur tout ou partie d’un territoire » a traduit la sénatrice LREM Nadège Havet, dont les sénateurs ont débattu ce mardi. Un débat organisé à l’initiative du groupe LR et du sénateur des Vosges, Daniel Gremillet, qui tombe à point nommé. Vendredi dernier, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité en France (RTE) a appelé les Français à réduire leur consommation d’électricité chez eux pour éviter tout risque de coupure, face à la vague de froid qui a traversé le pays.

« Pourquoi avez-vous décidé de fermer Fessenheim, quoi qu’il en coûte ? »

Ce « signal rouge » tiré par RTE « témoigne de notre situation très vulnérable pour cet hiver » met en garde Daniel Gremillet. Et le sénateur LR craint de nouvelles tensions sur le réseau « d’ici fin mars ». « Depuis un an, le secteur énergétique est entré dans une véritable zone de turbulence » souligne le sénateur des Vosges. La faute à la crise du covid-19 qui a bouleversé le planning de maintenance des centrales nucléaires françaises. Auditionnée en avril dernier par le Sénat, l’Autorité de sûreté nucléaire craignait un « effet domino » avec un « enjeu fort de sûreté et de sécurité en alimentation électrique ».

« Sur 58 réacteurs nucléaires, 9 seront à l’arrêt en février et 5 en mars », illustre aujourd’hui Daniel Gremillet. L’élu des Vosges pointe aussi du doigt la « fermeture de la centrale de Fessenheim pour des considérations politiques ». Les élus du groupe LR se sont succédé au micro pour défendre l’intérêt du nucléaire. Les défenseurs de la filière sont nombreux au sein de la majorité sénatoriale. De nombreux sénateurs n’hésitent pas à faire le lobby d’une « énergie décarbonée » qui assure l’approvisionnement du pays en électricité.

« Pourquoi avez-vous décidé de fermer Fessenheim, notamment la seconde tranche, quoi qu’il en coûte ? » interroge ainsi la sénatrice LR des Hauts-de-Seine, Christine Lavarde. « Quand la décision a été prise de fermer la centrale, l’EPR de Flamanville (le réacteur nouvel génération qui cumule les retards et explose les coûts, ndlr) devait être mis en service » ajoute-t-elle. On en est loin. La centrale ne sera mise en service qu’ « après mi-2023 », a affirmé Bérangère Abba, secrétaire d’Etat auprès de la ministre de la Transition écologique, chargée de… la Biodiversité. Malgré les difficultés, « cette situation ne conduira pas à un complet black-out » a reconnu Daniel Gremillet. Mais le risque de « baisses de tension sur le réseau » est bien réel.

« Nous ne risquons pas de black-out »

Pour y remédier, l’exécutif et RTE ont tout prévu, assure la secrétaire d’Etat. « Je ne crois pas que nous risquions un black-out » (r) assure Bérangère Abba. Elle ne pense pas non plus que la fermeture de Fessenheim change quoi que ce soit. Elle continue :

Si nous faisons face à une situation de vigilance particulière, nous sommes prêts à faire face au pic de consommation que nous connaissons.

EDF a d’abord révisé le calendrier de maintenance des centrales. « Malgré ces décalages, nous avons demandé à RTE de faire des analyses prévisionnelles ». Ouf de soulagement : « La situation est plus rassurante que nous escomptions au printemps », grâce à une consommation plus faible du fait de la crise du covid-19. « Nous ne risquons pas de black-out » insiste la secrétaire d’Etat. En cas de froid prolongé, « un point de vigilance subsisterait » cependant. Dans ce cas, le gouvernement a plusieurs réponses sous le coude, comme « l’effacement », c’est-à-dire la réduction voire l’arrêt de la consommation de certaines entreprises, contre dédommagement ; la baisse temporaire de 5 % de la tension sur le réseau ; l’augmentation ponctuelle de nos importations et, au pire, « une opération de délestage temporaire du réseau en coupant l’alimentation électrique pour un nombre limité de foyers pour protéger l’ensemble du réseau, pour une durée limitée de deux heures ».

La campagne #MetsTonPull

Pas de black-out donc, mais quand même des « délestages ciblés », soit des coupures localisées et « tournantes » géographiquement… Sans oublier l’appel à « des gestes citoyens » par la réduction de sa consommation. Pour inciter à baisser le chauffage, EDF a ainsi lancé sur les réseaux #MetsTonPull, « discours paternaliste et infantilisant » dénonce le communiste Fabien Gay. « C’est sur la base de cet effort volontaire de réduction de la consommation, des échos gestes et de ces différentes mesures que nous nous garantissons une absence de black-out » soutient Bérangère Abba.

Face aux critiques portant sur les orientations de la PPE (programmation pluriannuelle de l’énergie), de hisser les énergies renouvelables à 40 % du mix électrique à l’horizon 2030, Bérangère Abba a assuré que le recul du nucléaire permettrait une « production plus diversifiée donc plus résiliente ». L’argument n’a pas été entendu par la majorité sénatoriale, qui redoute des « sources intermittentes et non pilotables ».

Voiture électrique, 5G : des nouveaux usages qui consomment…

Dans ce débat où les notions de sobriété énergétique, d’anticipation et d’investissements ont rythmé les interventions, l’évolution de la demande en électricité à moyen terme était au centre des préoccupations. Le sénateur (Les Indépendants) Pierre Médevielle s’interroge, pour sa part, sur l’essor de la voiture électrique. Il a rappelé que la Commission de régulation de l’énergie anticipait, à l’horizon 2035, le chiffre de 15 millions de véhicules électriques sur les routes du pays, soit 7 % de la consommation nationale électrique.

Pour le sénateur écologiste, Thomas Dossus, c’est le développement du réseau téléphonique de nouvelle génération, la 5G, qui pose question dans ce contexte d’alerte énergétique. « On ne comprend pas bien quand on parle de sobriété, à quoi ça sert d’un côté de faire des économies d’énergie fortes comme vous le préconisez, et de l’autre côté, de laisser se développer les nouveaux usages. Je rappelle : la 5G, c’est une augmentation de 5 à 13 % de la consommation finale d’électricité du résidentiel et du tertiaire actuel », a-t-il soulevé. Le 19 décembre, le Haut conseil pour le climat avait publié un rapport sur les conséquences environnementales de la 5G, à la demande du Sénat (relire notre article).

A droite également, certains comme le sénateur LR Didier Mandelli estiment que la politique énergétique n’anticipe pas suffisamment les nouveaux usages appelés à se développer. « Je ne suis pas sûr qu’on ait pris la mesure des nouvelles demandes […] Je pense qu’on n’est pas prêts, véritablement », s’est-il inquiété. Le sénateur de la Vendée entend d’ailleurs saisir la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, voire des affaires économiques, pour auditionner RTE, sur les différents scénarios envisagés.

De son côté, le gouvernement est aussi en attente de nouvelles analyses techniques de la part du gestionnaire du transport de l’électricité sur les perspectives à long terme, en matière de sécurisation de l’approvisionnement électrique. Plusieurs modèles devraient être sur la table à la mi-2021. « L’étude devra nous éclairer sur les investissements que nous devons envisager au-delà de 2035 », a promis Bérangère Abba.

Peu de réponses sur le projet Hercule, la primeur laissée à un autre débat organisé le 13 janvier

En dehors des questions sur le profil du mix énergétique et les nouvelles technologies consommatrices d’électricité, les réformes du marché de l’énergie ont constitué l’un des autres points saillants du débat. Le sénateur communiste Fabien Gay a alerté sur le danger de céder au privé les barrages hydroélectriques, qui assurent 12 % environ de la production d’électricité nationale. L’élu de Seine-Saint-Denis est convaincu que la libéralisation du secteur de l’énergie « est à l’origine » des risques de coupures. Ces menaces risquent d’être « structurelles », avec le projet Hercule, selon lui. Ce projet d’éclatement d’EDF en plusieurs branches interroge aussi au groupe socialiste. « En quoi va-t-il améliorer la prévention de black-out ? », s’est demandé le sénateur PS Franck Montaugé. S’agissant des barrages, la ministre a indiqué que les exploitants avaient tout intérêt à produire de l’électricité en cas de pic de la demande, une « rationalité économique ». Pour Bérangère Abba, un scénario à la californienne, c’est-à-dire les pénuries causées par des manipulations de marché au début des années 2000 (scandale Enron), « n’est pas à craindre » en France. La ministre n’a pas développé sa réponse sur les craintes face au projet Hercule, rappelant qu’un débat sur le sujet était organisé à l’initiative des communistes. « Vous avez rendez-vous demain au Sénat », a-t-elle promis, en guise de bande-annonce.

Le discours optimiste du gouvernement n’a pas convaincu la majorité de l’hémicycle. « Je regrette l’absence de réponses concrètes de votre part » a déploré en conclusion Stéphane Piednoir (LR).

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