Élisabeth Borne : les contrats liant État et sociétés d’autoroutes sont « des monstres »

Élisabeth Borne : les contrats liant État et sociétés d’autoroutes sont « des monstres »

La ministre des Transports et de la Transition énergétique, Élisabeth Borne, était auditionnée, ce mardi, par la commission d’enquête du Sénat sur les concessions autoroutières. Un échange, parfois tendu, au cours duquel l’ancienne directrice de cabinet de Ségolène Royal a dû expliquer les circonstances de la signature du protocole de 2015, visant à rééquilibrer la relation entre les concessionnaires et l’État. 
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Par Hugo Lemonier

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« Le bilan du protocole est sans conteste positif », a résumé Élisabeth Borne, interrogée sur l’accord conclu entre l’État et les concessionnaires d’autoroutes en 2015. Devant les sénateurs, la ministre des Transports et de la Transition énergétique a été invitée à de nombreuses reprises à revenir sur cette année clé.

 « Nous étions dans une situation de relation très tendue avec les sociétés concessionnaires », raconte-elle. L’actuelle ministre des Transports et de la Transition énergétique dirige alors le cabinet de Ségolène Royal. Elle participe ainsi aux négociations de cet accord, dont les détails sont longtemps restés inconnus du grand public.

Les pouvoirs publics avaient à l’époque choisi d’augmenter la redevance domaniale versée par les concessionnaires à l’État. Cette décision avait immédiatement suscité une vive contestation des sociétés d’autoroutes, qui réclamaient des compensations. D’autant que – dans le même temps – le Président Hollande avait, en outre, imposé au secteur un plan de relance de plusieurs milliards d’euros à la seule charge des concessionnaires.

Gel des tarifs : « A la fin, l’usager n’est pas gagnant »

Pour ne rien arranger, c’est à la même époque que paraît un avis de l’Autorité de la concurrence, dénonçant la « rente autoroutière ».  Et ce n’étaient pas les seuls motifs de griefs. En 2015, Ségolène Royal s’était lancée dans un bras de fer avec les sociétés d’autoroutes et leur avait imposé un gel des tarifs autoroutiers. « Vous savez, on est régulièrement agacé de devoir faire des hausses de tarifs et, régulièrement, on est tenté de s’affranchir des contrats. C’est ce que la ministre a décidé de faire », affirme l’ex-directrice de cabinet de Ségolène Royal.

« Sauf que l’on est dans un État de droit et quand on a des contrats, à un moment donné on est rattrapé par le fait que les contrats s’appliquent », résume, lapidaire, Élisabeth Borne. « Cela a eu un effet boomerang et in fine, l’usager l’a repayé par des augmentations. »

La remarque, livrée au début de l’audition, fait dresser l’oreille des sénateurs en commission. « Ségolène Royal a pris la décision toute seule de geler les tarifs ? », s’étonne le rapporteur, Vincent Delahaye. « Il n’y a pas eu d’accord du Premier ministre, pas une discussion ministérielle ? »

Parfois, résume Élisabeth Borne, « un ministre considère que c’est à lui d’annoncer une décision et ensuite, voilà, le reste du gouvernement en prend acte. C’est ce qui s’est passé à l’époque ». Ce non-respect des clauses des contrats de concession a conduit à un surcoût de 500 millions d’euros, au détriment des usagers.

La privatisation : une « erreur majeure de M. De Villepin »

« Avec le recul, la privatisation est-elle une bonne affaire ? », demande donc le sénateur communiste du Nord, Éric Bocquet. « Je pense que cela n’a pas été une bonne idée », conclut Élisabeth Borne. « Cela a nui à l’acceptabilité du péage. Je pense que les automobilistes seraient plus convaincus de [son] intérêt si, comme c’était le cas à l’époque, ce péage servait à financer des investissements dans le secteur ferroviaire. »

Privatisation des autoroutes : "Je pense que cela n'a pas été une bonne idée" Elisabeth Borne
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Le sénateur de la Vienne (Les Indépendants), Alain Fouché, acquiesce : « C’est une erreur majeure de M. De Villepin, qui a été faite pour recevoir des rentrées d’argent. Mais, d’abord on vend les bijoux de famille et on ne voit qu’ensuite les conséquences. »

« Le péage de Dourdan est un racket »

Tout en conservant un modèle concessif, afin de « préserver la qualité de notre réseau », la ministre plaide alors pour une révision des contrats de concession quand ils arriveront à échéance en 2031. L’un des principaux points à renégocier, selon elle, consisterait à ne plus rémunérer le « risque trafic », inventé à la création de ces concessions dans les années 1960 : « Aujourd’hui, on a un réseau mature et donc cela devrait plus ressembler à un contrat de partenariat », estime Élisabeth Borne.

Les contrats liant l’État aux sociétés d’autoroutes sont devenus « des monstres », selon Élisabeth Borne : « Ces contrats [ont été] avenantés je ne sais combien de fois » depuis leur création dans les années 1960. « Il y a eu une erreur de ne pas changer les contrats avant de changer les actionnaires des sociétés concessionnaires. »

Concessions autoroutières : "Ces contrats ont été négociés dans les années 1960 [...] il faut les solder et passer à autre chose." Elisabeth Borne
01:16

Mais l’argument n’a pas suffi à convaincre certains élus : « La puissance publique n’a pas la capacité du contrôle », s’est exclamé Olivier Jacquin, sénateur socialiste de la Meurthe-et-Moselle. Une problématique a particulièrement retenu l’attention : les péages utilisés quotidiennement par les locaux. Le sénateur Républicain Jean Raymond Hugonet ne peut alors s’empêcher de citer un exemple devenu emblématique dans son département de l’Essonne : « Le péage de Dourdan est un racket », estime-t-il, avant de demander de quelles marges de manœuvre dispose la ministre.

Élisabeth Borne le reconnaît : « Les barrières de péage ont été placées à une époque où les modes de vie et de déplacements n'étaient pas les mêmes ». Elle raconte néanmoins s’être saisie du phénomène. Les sociétés d’autoroutes ont ainsi consenti à une réduction de 30% sur les abonnements des personnes effectuant plus de 10 allers-retours dans le mois. « C’est une façon d’atténuer le désagrément », avance la ministre des Transports.

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