En cas de majorité relative à l’Assemblée, Emmanuel Macron va-t-il devoir « ouvrir ses chakras » avec le Sénat ?

En cas de majorité relative à l’Assemblée, Emmanuel Macron va-t-il devoir « ouvrir ses chakras » avec le Sénat ?

Alors qu’Emmanuel Macron pourrait n’avoir qu’une majorité relative à l’Assemblée, il a rencontré discrètement Gérard Larcher lundi. Au sein du gouvernement, on prédit que le Palais du Luxembourg « sera la chambre apaisée », à côté du « bazar » de l’Assemblée. Les sénateurs sont prêts à jouer le jeu du « partenariat », sur certains textes. Mais ils attendent de voir en pratique.
François Vignal

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La rencontre n’était pas à l’agenda du chef de l’Etat. Le président LR du Sénat, Gérard Larcher, a rencontré Emmanuel Macron à l’Elysée lundi dernier, à la demande de ce dernier. La rencontre, révélée par Le Point et confirmée à publicsenat.fr par la présidence de la Haute assemblée, avait lieu au lendemain du premier tour des législatives, synonyme de succès en demi-teinte pour la majorité présidentielle. Emmanuel Macron pourrait en réalité n’avoir dimanche prochain qu’une majorité relative à l’Assemblée, même avec ses alliés du Modem et d’Horizons. Le scénario catastrophe, où l’exécutif devrait trouver des majorités de circonstances pour adopter ses réformes. Les macronistes pourraient être tentés, ou plutôt contraints, de se tourner vers LR, qui sont prêts à être « constructifs ».

« S’il y a une majorité relative, on devra travailler plus avec le Sénat » confie un ministre

Dans ces conditions, la rencontre entre le premier et le deuxième personnage de l’Etat prend une autre tournure. Dans l’entourage de Gérard Larcher, on explique qu’il ne s’agit que d’un échange « où il était question de la situation politique du pays, à l’aune des résultats du premier tour, et de ce qu’il va se passer dans les prochaines semaines ». Dans la lignée des derniers propos d’Emmanuel Macron, on évoque « quand même un péril qui est incarné par cette extrême gauche, qui menace la stabilité politique de notre pays ». Dans ces conditions, « l’opposition doit être responsable. L’intérêt du pays doit primer ». Dans un communiqué publié lundi, Gérard Larcher soulignait que les LR allaient être « une force d’alternance crédible à la majorité présidentielle » mais aussi « une opposition ouverte et responsable face à des extrêmes qui prônent le repli sur soi ou le sectarisme d’une idéologie du passé ». Il y a 5 ans, après l’élection d’Emmanuel Macron, le président de la Haute assemblée défendait déjà un positionnement « constructif ».

Après 5 années parfois tumultueuses entre l’exécutif et le Sénat, l’heure est-elle à un nouveau départ ? Au sein du gouvernement, certains, voyant l’Assemblée qui se dessine, imaginent presque le Sénat comme un havre de paix… « S’il y a une majorité relative, on devra travailler plus avec le Sénat. La Sénat sera la chambre apaisée. Avec 70 LFI ou plus à l’Assemblée, ce sera le bazar », confie un ministre en privé. Le même souligne que « les sénateurs ne veulent pas paralyser les discussions. C’est plus propice à la discussion ». Ce membre du gouvernement ajoute :

Ils ont voté 70 % des textes. Avec le Sénat, on peut travailler. (un ministre)

« Les LR pourraient être une force d’appui, ou plutôt de proposition »

Après l’affaire et la commission d’enquête Benalla, après l’échec de la réforme constitutionnelle, la commission d’enquête sur le covid-19 ou plus récemment celle sur les cabinets de conseil, qui l’eut cru ? A la Haute assemblée, les sénateurs sont prêts à jouer le jeu, selon les textes. « L’état d’esprit de mon groupe, c’est de travailler utilement pour le pays », confirme Hervé Marseille, président du groupe Union centriste, qui compte des sénateurs pro Macron. Faire quelques pas de deux, comme sur les retraites, n’aurait rien de surprenant souligne le centriste : « Le président du Sénat rappelle régulièrement qu’on a voté 70 % des textes ces dernières années. Contrairement à ce qu’on raconte, le Sénat a toujours été dans le partenariat ».

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« Il y aura peut-être un travail plus important à faire entre l’Assemblée et le Sénat », pense Sophie Primas, présidente LR de la commission des affaires économiques. « Si la situation de l’Assemblée est beaucoup plus volatile, par définition, il faudra davantage travailler avec le Sénat, ce qui est une bonne chose. Cette hypothèse peut renforcer le Sénat, à l’évidence », confirme Hervé Marseille, qui ajoute :

A chaque fois qu’il y a eu des troubles et de l’agitation à l’Assemblée, le Sénat apparaît comme un îlot de sagesse et de sérénité.

Dans une assemblée où Emmanuel Macron aurait besoin d’une partie des voix LR pour faire adopter certains textes – on imagine moins le PS ou EELV apporter leurs voix – le Sénat de droite aurait un rôle à jouer. « Les LR pourraient être une force d’appui, ou plutôt de proposition. Je préfère cette formule. La logique de proposition du groupe LR serait entendue », selon Sophie Primas. « Si le groupe LR est pivot à l’Assemblée, ça nécessitera qu’on travaille avec lui, et peut-être mieux qu’on ne l’a fait dans le précédent quinquennat », ajoute la sénatrice LR des Yvelines, qui y voit cependant une limite :

Bien sûr, c’est un cadeau empoisonné. Car cela peut nourrir le sentiment de confusion. C’est pour ça qu’il faudra être sélectif et probablement assez exigeant sur ce qu’on demande.

« C’est le rôle du Sénat de calmer, de permettre les raisonnements et pas juste les aboiements dont on aura droit à l’Assemblée »

La présidente de la commission des affaires économiques n’est pas surprise qu’un ministre voit le Sénat comme « une assemblée apaisée ». « C’est par nature l’assemblée apaisé. C’est comme ça qu’après la Terreur est né le bicamérisme en France. On le doit à Robespierre et ses excès. C’était pour apaiser les pulsions du peuple et les pouvoirs d’une seule assemblée », rappelle Sophie Primas. « Par construction, c’est le rôle du Sénat, de calmer, de permettre les raisonnements et pas juste les aboiements dont on aura droit à l’Assemblée, on l’imagine assez bien. On aura droit à beaucoup de tensions à l’Assemblée. Plus que jamais, le rôle du Sénat sera d’apaiser le débat, de le ramener sur le champ de la raison, du raisonnement, du travail. Pas toujours du consensus, car ce n’est pas toujours ça, mais de la confrontation des arguments et convictions », défend la sénatrice LR.

La présidente de la commission des affaires économiques s’est entretenue de son côté avec le nouveau ministre des Relations avec le Parlement, Olivier Véran, qui fait le tour des présidents de groupes et de commissions. « Il me demandait quelle était l’ambiance dans la commission. Je lui ai expliqué qu’on avait voté beaucoup de textes de manière consensuelle, que j’arrivais à mettre Marie-Noëlle Lienemann (ex-socialiste, membre du groupe communiste, ndlr), Valérie Létard (UDI) et Dominique Estrosi Sassone (LR) d’accord sur la question du logement. Je crois qu’il ne connaît pas hyper bien le Sénat – ce n’est pas un reproche – car il était étonné. Il a la culture de l’Assemblée », raconte Sophie Primas. Elle continue : « De façon un peu facétieuse, Olivier Véran m’a dit, "alors, vous faites du en même temps ?" Mais non, on est tous différents. On n’appartient pas au même groupe et à tout moment, on peut ne pas être d’accord ». « Ici, il y a un côté transpartisan qui est assez exceptionnel dans l’approche politique, du travail des textes. C’est une vraie valeur ajoutée. C’est une force tranquille », ajoute-t-on dans l’entourage de Gérard Larcher.

« S’inspirer du Sénat pourquoi pas, mais il faut surtout un dialogue avec lui, car on ne peut pas dire qu’il y en a eu beaucoup ces dernières années »

Emmanuel Macron, qui vante une nouvelle méthode faite de discussions, qu’il compte mettre en musique au sein du Conseil national de la refondation, pourrait peut-être s’inspirer un peu du fonctionnement du Sénat… « S’inspirer du Sénat pourquoi pas, mais il faut surtout un dialogue avec lui, car on ne peut pas dire qu’il y en a eu beaucoup ces dernières années », tempère le centriste Hervé Marseille. Lui aussi a rencontré Olivier Véran, il y a une quinzaine de jours. « Il m’a dit sa volonté de travailler avec le Sénat. On verra à l’usage », raconte le sénateur UDI des Hauts-de-Seine, qui attend des preuves :

Il faudrait que l’exécutif travaille davantage avec le Sénat plutôt que le contourner et chercher à l’esquiver.

Le président du groupe centriste se souvient de la réforme constitutionnelle ou plus généralement une tendance à contourner le Parlement, que les sénateurs ont souvent dénoncé ces dernières années. Un sénateur s’amuse de la situation : « Ils auront besoin du Modem, d’Horizons, du Sénat et peut-être du groupe LR. Ça va les obliger à ouvrir leurs chakras ! » On aura bientôt peut-être des méditations communes entre ministres, députés et sénateurs. Ça tombe bien, Olivier Véran est un amateur de l’appli « Petit bambou ».

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