Encadrement de l’intérim médical : Olivier Véran « fait une marche arrière parce qu’il était obligé de la faire »
Le gouvernement freine des quatre fers sur l’encadrement des rémunérations des « mercenaires de l’intérim médical ». Face aux craintes de pénuries de praticiens, Olivier Véran a dû reporter l’entrée en vigueur de la réforme. Le sénateur Alain Milon regrette une nouvelle fois que le Ségur n’ait pas traité en profondeur les problèmes de l’hôpital.

Encadrement de l’intérim médical : Olivier Véran « fait une marche arrière parce qu’il était obligé de la faire »

Le gouvernement freine des quatre fers sur l’encadrement des rémunérations des « mercenaires de l’intérim médical ». Face aux craintes de pénuries de praticiens, Olivier Véran a dû reporter l’entrée en vigueur de la réforme. Le sénateur Alain Milon regrette une nouvelle fois que le Ségur n’ait pas traité en profondeur les problèmes de l’hôpital.
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L’un des engagements du Ségur de la Santé souffre de retard à l’allumage. En juillet 2020, le ministre Olivier Véran s’était engagé à mettre fin au « mercenariat de l’intérim médical », en encadrant pour de bon les rémunérations versées par les établissements de santé. La promesse avait été traduite dans la loi Rist, promulguée en avril 2021. Elle oblige le comptable public à rejeter les paiements au-delà du plafond fixé par décret. La rémunération de l’intérim médical est limitée à 1 170 euros par tranche de 24 heures depuis 2017, une limite qui était difficilement respectée par les hôpitaux, en tension permanente. La loi devait aussi obliger les directeurs généraux des agences régionales de santé à déférer devant la justice administrative les contrats qui seraient en dehors des clous.

La loi n’entrera pas en vigueur le 27 octobre, contrairement à ce que le Parlement avait voté. Après avoir réuni des organisations professionnelles et des syndicats, le ministre de la Santé a décidé de reporter sa mise en œuvre. La mesure sera appliquée « dès que possible en 2022 ». D’ici là, la rue de Ségur veut poursuivre les travaux préparatoires et organiser les « modalités d’accompagnement » des différents d’acteurs.

« Il était obligé de faire marche arrière, pour maintenir la survie des services »

Olivier Véran n’ignore rien de la dure réalité de l’intérim médical. Lorsqu’il était député, en 2013, il avait réalisé un rapport sur le phénomène et estimé le surcoût pour les hôpitaux à 500 millions d’euros. Outre les craintes des professionnels, les derniers mois de mobilisation intense à l’hôpital contre le covid-19 ont aussi pesé dans sa décision de reporter l’encadrement strict prévu par la loi Rist.

Plus l’échéance approchait, plus les inquiétudes montaient. L’ancien rapporteur du texte au Sénat, Alain Milon (LR), n’est guère surpris par la décision du gouvernement. « Le ministre fait une marche arrière parce qu’il était obligé de la faire, pour maintenir la survie des services. » Lui-même est monté au créneau début octobre, en sa qualité de président de la Fédération hospitalière de France de la région Paca. « J’ai écrit au ministère pour signaler que la mise en application de la loi allait entraîner des problèmes majeurs dans le recrutement d’intérimaires, et que si le ministre ne faisait pas quelque chose rapidement, des services allaient fermer », relate-t-il. Parmi eux : un service de néonatalogie.

Il y a huit mois, de nombreux doutes ont pourtant été exprimés lors des débats au Sénat. L’article en question avait même fait partie des pierres d’achoppement au moment de la commission mixte paritaire avec les députés, qui s’était soldée par un échec. « On partageait l’objectif d’avoir une meilleure régulation. Mais on doutait du caractère opérationnel du dispositif », se remémore Catherine Deroche (LR), la présidente de la commission des affaires sociales du Sénat. « Le calendrier en vigueur était inadapté. Collectivement, on gagne à le reporter. »

« Ce sont les intérimaires qui ont encore gagné ! »

À gauche, les parlementaires constatent avec amertume que la pénurie de praticiens hospitaliers poursuit ses effets délétères. Il y a quelques jours, Annie Le Houérou, sénatrice PS des Côtes-d’Armor, a pris connaissance d’un devis adressé à un établissement de santé de sa région pour le recrutement d’un pédiatre. Avec ce tarif de 10 000 euros, pour 24 heures. « Je regrette que le gouvernement n’ait pas trouvé une solution de négociations avec ces intérimaires qui sont, la plupart du temps, des mercenaires. Qui va en payer le prix ? Le contribuable et la santé des patients. C’est un scandale », s’exclame la sénatrice, très en colère. « Ce sont les intérimaires qui ont encore gagné ! »

Comme le rapporteur Milon, la sénatrice communiste Laurence Cohen a vu la volte-face sur le calendrier arriver. « Depuis septembre, je suis alertée par des services d’urgence qui ont un mal fou à fonctionner. » À la lumière de la décision du gouvernement, cette parlementaire estime que ses premiers doutes se sont avérés exacts. « À partir du moment où ça ne s’appliquait qu’aux hôpitaux publics, les intérimaires s’en moquaient complètement. Pour que cette mesure soit un tant soit peu efficace, il faut qu’elle s’applique dans le public et dans le privé. Sinon, c’est une fausse bonne idée. »

Voilà des semaines que les professionnels du secteur donnaient de la voix, à mesure que l’échéance approchait. « Une fois de plus, le gouvernement et la représentation nationale ont préféré contraindre plutôt que de rendre attractif l’exercice médical hospitalier et se prennent les pieds dans leur propre tapis », expliquaient le 13 octobre dans un communiqué commun la Confédération des Praticiens des Hôpitaux et Jeunes Médecins. Lesquels demandaient de meilleurs rattrapages de salaire, après la « perte de pouvoir d’achat de 30 % de ces quinze dernières années par le blocage des grilles salariales ». Le Ségur est loin d’avoir suffi à combler le fossé entre les praticiens titulaires et leurs collègues intérimaires, pour qui une plus haute rémunération doit compenser une mobilité et une flexibilité professionnelles.

Des effectifs encore plus sous tensions à l’hôpital en cet automne 2021

Cette semaine, la Fédération hospitalière de France (FHF) demandait une phase transitoire dans l’application de la réforme, et davantage de temps pour que les directions d’établissement trouvent des solutions avec les ARS. Si la FHF répète son adhésion à une régulation des tarifs intérimaires, elle demande surtout une meilleure attractivité pour les praticiens en poste. D’autant que cet automne 2021 est encore « plus tendu que d’habitude » sur le plan des ressources humaines. La FHF estime l’absentéisme dans les hôpitaux à 10 % et évalue le nombre de postes vacants à 5 %. Dans ce contexte de tensions en personnel, déjà mis à rude épreuve avec la crise sanitaire, l’encadrement des rémunérations des praticiens intérimaires aurait fragilisé un peu plus l’organisation des hôpitaux.

Pour le sénateur Alain Milon, cette loi Rist, qui fait tant débat, ne traite pas les causes à la racine, à savoir l’attractivité de l’hôpital public pour les praticiens. « Le Ségur, ce sont des mesures d’urgence, prises dans l’urgence, sans qu’il y ait eu de réflexion profonde sur le sujet. Tant qu’on n’aura rien réfléchi sur le métier de médecin, la façon dont on organise les hôpitaux, le financement de la Sécurité sociale, on n’aura rien réglé. »

La socialiste Annie Le Houérou reproche surtout au gouvernement de ne pas avoir anticipé ces difficultés. « Le gouvernement aurait dû prendre des dispositions […] La loi a une date d’application, on doit l’appliquer. Une fois de plus, c’est faire fi du Parlement ». La loi en question avait été portée par des députés de la majorité. Et contrairement à un projet de loi, déposé par le gouvernement, le texte n’a pas fait l’objet d’étude d’impact. Beaucoup de sénateurs avaient formulé cette critique.

Avec la campagne électorale qui se profile au printemps, Laurence Cohen n’imagine pas une solution arriver au cours de l’hiver. « Le fait qu’Olivier Véran dise qu’il va examiner la situation, c’est pour gagner du temps. C’est pour revoir les choses après l’élection présidentielle ». En attendant, l’hôpital pourrait toujours être à la merci de prétentions salariales bien au-dessus des plafonds légaux. Alain Milon redoute une surenchère. « Dans l’immédiat, il faut laisser les directeurs d’hôpitaux et les intérimaires discuter des tarifs. S’ils ne deviennent pas raisonnables, il faudra peut-être en arriver à des réquisitions. »

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