Energies renouvelables : le Sénat s’interroge sur « l’acceptabilité » sociale de l’accélération voulue par l’exécutif

Energies renouvelables : le Sénat s’interroge sur « l’acceptabilité » sociale de l’accélération voulue par l’exécutif

Agnès Pannier-Runacher, la ministre de la Transition énergétique, était auditionnée mercredi 19 octobre par le Sénat, autour du projet de loi visant à faire monter en puissance la France sur les énergies renouvelables. Un texte sur lequel la Chambre haute a eu la primeur de l’examen parlementaire.
Romain David

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Les inquiétudes des sénateurs s’accumulent autour du projet de loi « relatif à l’accélération de la production des énergies renouvelables », actuellement examiné par la Chambre haute, avant une discussion en séance publique prévue début novembre. Ce texte entend faire tomber certains verrous à la mise en place de nouvelles infrastructures d’énergie renouvelable, un domaine dans lequel la France fait figure de mauvais élève par rapport au reste de l’Union européenne. Retard d’autant plus dommageable que les difficultés rencontrées par le parc nucléaire interrogent la souveraineté énergétique du pays à l’heure de la guerre en Ukraine. « La France est le seul pays de l’UE à ne pas avoir atteint son objectif national de développement des énergies durables. Cela va nous coûter 500 millions d’euros cette année [montant de l’amende infligée par la Commission européenne, ndlr], je pense que c’est une raison supplémentaire d’agir. À l’heure actuelle, il nous faut en moyenne deux fois plus de temps pour construire un parc éolien ou photovoltaïque par rapport à nos voisins européens », a plaidé Agnès Pannier-Runacher, la ministre de la Transition énergétique ce mercredi, devant les commissions sénatoriales des affaires économiques et de l’aménagement du territoire et du développement durable.

Pendant plus de deux heures et demie, la ministre a répondu aux questions des élus sur le projet de loi, et tenté de les rassurer, car si l’objectif affiché d’une accélération est plutôt partagé par les sénateurs, la méthode déployée, celle d’un choc de simplification, inquiète, car jugée trop brusque. Deux types de préoccupations en particulier se sont fait entendre : d’une part un risque d’atteinte au pouvoir d’urbanisme des collectivités territoriales, avec la menace d’une reprise en main de l’Etat pour faire passer certains projets. D’autre part, l’épineuse question de l’acceptabilité sociale. « Cette problématique est survolée par le projet de loi », a ainsi observé le sénateur centriste du Doubs Jean-François Longeot. « La proposition d’un rabais sur la facture des riverains semble un peu courte pour répondre à un problème qui s’avère profond. Acceptabilité et accélération doivent aller de pair, sinon les contentieux continueront de fleurir et les projets peineront à sortir de terre. »

« Un dispositif qui consiste à acheter l’acceptation tacite des populations »

L’article 18 du projet de loi prévoit en effet d’utiliser la facture d’électricité de certains usagers comme une forme de levier d’acceptation. Il dispose que les fournisseurs « déduisent le versement d’un montant forfaitaire annuel » de la facture de leurs clients « dont la résidence est située dans le périmètre d’installations de production d’énergies renouvelables ». Une formulation trop vague pour certains : « On ne connaît ni le périmètre concerné, ni le coût global de la mesure, ni la façon dont elle sera financée », a fait remarquer la sénatrice LR Sophie Primas.

« On en est à ristourner les riverains. Je vous avoue que je m’interroge sur ce type de dispositif qui consiste à acheter l’acceptation tacite des populations concernées, sans leur permettre de devenir des acteurs à part entière d’un projet qui s’impose sur leur territoire », s’est agacée la sénatrice socialiste Martine Filleul. « N’est-ce pas une manière de contourner le débat public ? », a-t-elle interrogé.  « L’une des conditions facilitant l’acceptabilité passe par une concertation systématique. Le plus en amont possible et en continue tout au long des procédures, sous l’égide de garants, de commissaires-enquêteurs ou de médiateurs », a voulu faire remarquer son collègue Jean-Michel Houllegatte, citant un rapport du Conseil général de l’Environnement et du Développement durable, organe du ministère de l’Ecologie, ainsi qu’un avis du Conseil économique, social et environnemental.

» Lire aussi : Energies renouvelables - les éoliennes pourraient venir perturber le débat au Sénat

« Il faut dire la vérité et mesurer la réalité des impacts »

« Nous sommes face à un sujet où il faut conjuguer pragmatisme et écoute du terrain, le curseur n’est pas facile à placer, on l’entend sur le sujet de l’acceptabilité des habitants », a concédé Agnès Pannier-Runacher. « La proposition que l’on fait est une mise de jeu », a ajouté la ministre en appelant le Sénat, première chambre du parlement à se pencher sur le texte, à enrichir par amendements ce dispositif. Elle a toutefois tenu à rappeler que dans le cadre des objectifs de réduction des gaz à effet de serre, et face à l’urgence climatique, la France ne pouvait pas se permettre de faire l’impasse sur certains projets d’envergure, même susceptibles d’impacter les paysages et le quotidien des riverains.

« À Saint-Nazaire [où Emmanuel Macron a inauguré le 22 septembre le premier parc éolien en mer français], les élus locaux nous ont dit : l’image n’est pas vraiment celle qu’on nous avait vendue’. Je l’entends. Je me suis plongée avec intérêt dans la décision de la collectivité locale qui s’était engagée dans ce projet pour constater qu’il y avait des écarts avec ce qui était attendu. Je pense qu’il faut dire la vérité et mesurer la réalité des impacts », a concédé la ministre. « Mais il faut être conscient que les projets les plus gros sont aussi les plus efficaces Il faut se demander où l’on place la ligne d’acceptabilité en ayant en tête que pour avoir l’indépendance énergétique, il va falloir trouver une certaine quantité de gigawatts, ce qui représente plusieurs dizaines de projets de ce type. »

Soucieux de faire avancer le débat sur cette question, le sénateur écologiste Ronan Dantec a évoqué la possibilité pour les collectivités de passer par des appels à manifestations d’intérêt (AMI). En clair, les élus locaux prêts à accueillir sur leur territoire des infrastructures d’énergies renouvelables pourraient procéder à une sélection de candidats, afin de conserver le projet qu’ils estiment le plus adapté. « C’est une très bonne idée », a salué Agnès Pannier-Runacher.

Il y a fort à parier que ce projet de loi, qui doit être débattu en commission le 26 octobre, soit largement remanié par le Sénat. Également dans le viseur des élus, une série « d’angles morts » concernant certaines énergies vertes non mentionnées par le texte, telles que l’hydroélectricité, les biogaz, les biocarburants, l’hydrogène ou encore l’agrovoltaïsme, sur lequel pourtant Emmanuel Macron a indiqué vouloir accélérer.

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