Environnement dans la Constitution : ça chauffe entre l’exécutif et la droite sénatoriale

Environnement dans la Constitution : ça chauffe entre l’exécutif et la droite sénatoriale

En laissant entendre au JDD que le référendum sur l’article Premier de la Constitution, promesse d’Emmanuel Macron, pourrait être abandonné, l’exécutif a allumé une mèche parmi les sénateurs de droite, échauffés de se voir accusés de « torpiller » le projet de loi. L’examen du texte débute ce lundi après-midi au Sénat.
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Par Pierre Maurer avec AFP

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« L’homme est aujourd’hui en mesure de détruire la nature. En la détruisant, il se détruit lui-même, car il est la nature. » Prononcés par François Mitterrand au siècle dernier, ces mots ont été partagés par la sénatrice socialiste Marie-Pierre de la Gontrie pour marquer l’arrivée au Sénat du projet de loi Climat ce lundi à 17h30. Les débats s’annoncent houleux tant le week-end a été marqué par l’affrontement, via journaux interposés, entre la droite sénatoriale et l’exécutif qui accuse les sénateurs de « torpiller » le projet de loi.

« Préserver » plutôt que « garantir »

La mèche est venue d’un article du JDD : le référendum sur l’article premier de la Constitution promis par Emmanuel Macron à la Convention citoyenne pour le Climat pourrait être enterré. L’Elysée a immédiatement démenti cette information avant que le président lui-même n’insiste sur sa volonté que le texte « vive sa vie parlementaire ». En substance, il s’agit pour l’exécutif de graver à l’article 1er de la Loi fondamentale que la France « garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique ». Le projet de révision constitutionnelle a ainsi été approuvé, dans ces termes, en première lecture par les députés le 16 mars.

Mais le Sénat ne l’entend pas de cette oreille et souhaite y aller de sa modification sémantique. De longue date, les sénateurs de droite, majoritaires au Palais du Luxembourg, veulent remplacer le terme « garantit » par « préserve », jugé moins contraignant juridiquement. La commission des Lois du Sénat a ainsi adopté un amendement de son président François-Noël Buffet (LR), selon lequel la France « préserve l’environnement ainsi que la diversité biologique et agit contre le dérèglement climatique, dans les conditions prévues par la Charte de l’environnement », adoptée en 2005 sous l’égide de Jacques Chirac. Les sénateurs se fondent notamment sur un avis rendu par le conseil d’Etat, soulignant que le terme « garantit », qui pourrait ouvrir la porte à une multiplication des recours en instituant une « quasi-obligation de résultat ». Cette bataille sémantique est à l’origine d’un potentiel échec du référendum : faute d’accord entre l’Assemblée nationale et le Sénat sur un même texte, dans des termes identiques, il ne peut y avoir de réforme constitutionnelle.

Au Sénat, on a très tôt parlé de « coup politique ». La droite sénatoriale est en effet face à un dilemme, à un an de la présidentielle de 2022 : offrir un succès à Emmanuel Macron ou bien s’opposer à une consultation des Français sur une thématique qui a le vent en poupe.

En réponse à l’exécutif, le président LR du Sénat, Gérard Larcher, réitère sa position dans le Figaro ce lundi : « Le climat et l’environnement sont des sujets trop sérieux pour faire l’objet de manœuvres. Le Sénat n’a pas à sortir le président du mauvais pas dans lequel il s’est mis avec la Convention citoyenne. » Ton encore plus ferme du côté du patron des sénateurs de droite, Bruno Retailleau. « Il a voulu donner des gages aux conventionnels, mais il n’a jamais été question pour lui d’aller au référendum. Il mettait des cierges tous les soirs pour que le Sénat bloque le processus… », lâche le sénateur de Vendée à Politico.

« On est totalement à la traîne »

Pour l’heure, la majorité sénatoriale n’entend pas bouger d’un iota. Pour François-Noël Buffet, « sans produire d’effets juridiques nouveaux, la rédaction proposée par notre amendement aurait le double mérite, sur le plan symbolique, de réaffirmer l’attachement du peuple français à la préservation de l’environnement et d’y inclure expressément la lutte contre le dérèglement climatique, que la Charte ne mentionne pas ». Des amendements identiques seront portés par Bruno Retailleau et par la commission de l’Aménagement du territoire. Pour son président centriste Jean-François Longeot, « la protection de l’environnement mérite mieux que des manœuvres politiciennes ou des phrases creuses ».

A gauche, le socialiste Éric Kerrouche juge « difficile de voter » la proposition de la droite sénatoriale « qui revient de fait à condamner le texte ». Dans la matinale de Public Sénat, « Bonjour Chez vous », le député et porte-parole du PS Boris Vallaud a plaidé pour aller « à référendum sur la version du texte la plus ambitieuse possible », notant au passage que « la version de la commission sénatoriale est en retrait ». « Je crois que la cause est importante pour que tout soit mis en œuvre afin de construire le compromis républicain qui transcende les familles politiques et qui a comme objet la préservation de l’environnement », a-t-il martelé. Les socialistes avaient voté en faveur du texte à l’Assemblée.

Boris Vallaud : "Il faut aller à référendum sur la version la plus ambitieuse possible"
02:10

Sans surprise, les écologistes tapent sur la droite sénatoriale. « La révision de la Constitution en faveur du Climat caractérise la droite du Sénat : faire de l’écologie, sans que cela embête trop. Si on avait le terme « garantir », ce serait une obligation de résultat. C’est justement ce que l’on souhaite », a affirmé lui aussi dans la matinale de Public Sénat le président des écologistes au Sénat, Guillaume Gontard. « Le gouvernement dépose un texte qui ne répond pas à la commande présidentielle. On est totalement à la traîne. On a un texte qui ne répond pas aux accords de Paris », a-t-il par ailleurs fustigé ajoutant que son groupe « jouera la carte du référendum et fera des propositions ».

Mais si le référendum a du plomb dans l’aile, une autre voie d’adoption serait sur la table. Selon un élu de la Chambre Haute, Emmanuel Macron aurait évoqué une alternative lors d’un déjeuner avec Gérard Larcher : réunir le Parlement en congrès pour faire adopter le projet de loi par un vote aux trois cinquièmes. Les deux chambres devraient tout de même se mettre d’accord sur le texte. Pour le moment la droite veut « préserver » sa position.

 

Un compromis impossible ?

La perspective d’un Congrès reste dépendante d’une voix commune sur le texte, comme le soulignent certains ténors du Palais du Luxembourg. A l’image du vice-président LR du Sénat, Roger Karoutchi. « Il y a trois semaines, on a compris que l’Elysée, finalement, accepterait le passage par la voie du Congrès. Mais sur quels termes ? Quand on a des contacts avec l’Elysée, on ne les sent pas braqués. On a l’impression que l’Elysée accepterait le mot ‘préserve’, mais l’Assemblée visiblement pas. Chacun essaie de tirer les marrons du feu. Ou bien tout le monde veut un accord, et il faut se mettre d’accord sur ‘préserve’, le Sénat et l’Assemblée votent le même texte, le Congrès vote le texte et c’est intégré à la Constitution. Ou sinon chacun joue une partition politique plus que constitutionnelle et cela n’aboutira pas », prévient ce proche de Valérie Pécresse. Autrement dit : un compromis oui, mais en faveur du Sénat.

Comme Roger Karoutchi, le patron des sénateurs centristes, Hervé Marseille, met la pression sur la majorité présidentielle. « La Constitution c’est quelque chose d’important, on ne peut pas soumettre les évolutions constitutionnelles à des coups politiques, à de l’intérêt politicien. Le Constituant de 1958 a fait en sorte que les procédures pour toucher à la Constitution soient très contraignantes. C’est pour qu’on ne puisse pas écrire n’importe quoi. Aujourd’hui il y a une volonté de toucher à la Constitution, si on veut le faire sérieusement il faut qu’il y ait un dialogue entre la majorité de l’Assemblée et le Sénat. On peut trouver une solution pour peu que la majorité le veuille », assure le giscardien.

Un poids lourd socialiste pousse, lui, pour un Congrès. « Ce serait logique », estime-t-il, histoire de redonner sa place au Parlement. Le même regarde le référendum d’un œil sourcilleux, à rebours des députés socialistes : « Je suis très réservé. C’est dangereux. On pose une question à laquelle les Français répondent à côté… » Et de prédire un destin funeste, comme la plupart de ses collègues, à la réforme constitutionnelle : « Cela va vite s’arrêter sur le thème : ‘les sénateurs sont des réacs’… »

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