Épargne : un rapport sénatorial dénonce des frais de gestion « pénalisants »

Épargne : un rapport sénatorial dénonce des frais de gestion « pénalisants »

Les sénateurs Jean-François Husson et Albéric de Montgolfier ont présenté ce jeudi un rapport sur la « protection des épargnants. » Ils mettent en évidence une prépondérance des frais de gestion en France qui « pénalise » le rendement de l’épargne des Français, pourtant extrêmement importante actuellement. Ils proposent donc de les encadrer pour augmenter le pouvoir d’achat des Français, en tout cas des Français disposant d’une épargne suffisante.
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Par Louis Sabet-Mollier

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« Payer moins et gagner plus. » Voilà qui devrait, a priori, en contenter plus d’un. C’est ce que veulent en tout cas croire Albéric de Montgolfier et Jean-François Husson, respectivement ancien et actuel rapporteur général du budget, qui rendent aujourd’hui un rapport sur la protection des épargnants. Pourtant, Jean-François Husson, ancien agent d’assurances, le sait, ces recommandations vont faire du bruit dans le milieu de l’assurance. « Vous allez voir arriver les vierges effarouchées » prévient le sénateur LR de Meurthe-et-Moselle.

La moitié du rendement de l’épargne captée par les frais de gestion sur 40 ans

Après une année 2020 record pour l’épargne française, c’est au faible rendement de cette épargne à laquelle s’attaquent les sénateurs Husson et Montgolfier. Pour eux, le modèle français de rémunération des intermédiaires qui gèrent l’épargne « alourdit les frais de gestion. » En effet, les intermédiaires financiers ou assurantiels ne sont pas rémunérés par des honoraires horaires, comme un avocat par exemple, mais par des « rétrocessions de commission. » En clair, un courtier d’assurance qui gère votre épargne ne sera en général pas payé à l’heure de conseil qu’il vous prodigue, mais par des commissions sur les transactions qu’il effectuera. On pourrait penser que ce mode de rémunération avantagerait les épargnants en indexant les frais de gestion sur le rendement de l’épargne, mais d’après les sénateurs Husson et de Montgolfier ce serait plutôt l’inverse.

Baisser de 0,3 point de pourcentage les frais de gestion d’un tel portefeuille, reviendrait à faire gagner 20 000 euros à un ménage sur 40 ans

Pour eux, ce système « pénalise la performance » des produits d’épargne français par rapport aux systèmes en vigueur dans les pays anglo-saxons ou aux Pays-Bas : « Il y a trop de couches qui se superposent dans la rémunération des intermédiaires. Les gens n’y comprennent plus rien et cela nuit à la performance réelle du produit. » Ce diagnostic s’appuie sur un travail d’un an et demi interrompu par la crise sanitaire, mais qui rend des conclusions sans appel. Le rapport propose effectivement de se baser sur un exemple concret : un ménage effectuerait un premier dépôt de 5 000 euros puis alimenterait cette épargne de 100 euros par mois. La « performance » de cette épargne, c’est-à-dire le rendement net que l’épargnant peut dégager est actuellement « captée » à 17 % par les frais de gestion sur 10 ans et à 47 % sur 40 ans. Sur 40 ans, c’est donc près de la moitié du rendement de l’épargne qui passe en fait en frais de gestion. En outre, d’après le rapport, baisser de 0,3 point de pourcentage les frais de gestion d’un tel portefeuille reviendrait à faire gagner 20 000 euros à un ménage sur 40 ans.

Encadrer les frais de gestion d’un portefeuille d’épargne

Forts de ce constat, les sénateurs Husson et Montgolfier formulent des propositions pour « encadrer » ces frais de gestion et donc améliorer le rendement net de l’épargne des Français. Albéric de Montgolfier évoque notamment l’interdiction des « commissions de mouvement », qui rémunèrent un intermédiaire quand celui-ci transfère des fonds d’un placement à un autre. « Cela incite à faire tourner un portefeuille sans intérêt économique pour l’épargnant », précise l’ancien rapporteur général du budget.

De même, le Sénat propose d’encadrer les « commissions de surperformance » qui rémunèrent les intermédiaires quand un produit d’épargne a eu un rendement particulièrement élevé par rapport à l’année précédente. Le problème est que si l’année précédente était exceptionnellement mauvaise, ces commissions pouvaient rémunérer une mauvaise gestion de moyen terme. Les sénateurs proposent donc que la commission de surperformance « ne soit exigible que si la sous-performance est compensée sur le long terme », c’est-à-dire si le placement effectué par l’intermédiaire a véritablement augmenté la rémunération de l’épargnant sur plusieurs années.

L’épargne : « Une garantie future de pouvoir d’achat », mais pour qui ?

Sans surprise, cet encadrement des frais de gestion passe mal dans les milieux de l’assurance. « L’ensemble des acteurs du monde de l’assurance se sont attachés à nous démontrer que nos données étaient fausses, que l’on comprenait mal les chiffres, qui étaient pourtant de notre point de vue, incontestables » explique Jean-François Husson. C’est en connaissance de cause que les sénateurs Husson et Montgolfier ont formulé ces propositions : « On avait déjà eu ce débat dans le cadre de la loi PACTE, ça ne nous a pas surpris. » Le sénateur de Meurthe-et-Moselle, membre du groupe LR, se permet même d’ironiser sur le conflit qu’il a conscience d’ouvrir avec les assureurs : « Nous avons eu des auditions surréalistes, ils nous ont pris pour des dangereux révolutionnaires, mais à un moment il y a ce qui est bon pour le pays et le financement de l’économie. C’est un enjeu de souveraineté. »

Le rapporteur général du budget va même plus loin, en faisant de la protection de l’épargne un enjeu social. « On parle en ce moment de pouvoir d’achat », explique-t-il en faisant des mesures de ce rapport une façon de « responsabiliser » les épargnants qui pourraient se « projeter » sur une « garantie future » de gains de pouvoir d’achat plus importants par l’épargne qu’actuellement. À cet égard, c’est bien le financement des retraites qui se trouve dans le viseur de Jean-François Husson, qui voit dans le plan épargne retraite « une garantie future sur les retraites que le régime général ne donne pas » et veut ainsi en améliorer l’attractivité. Rappelons que si le volume total de l’épargne a bien explosé avec la crise sanitaire, ce surplus est très inégalement réparti. Pour Camille Landais, membre du Conseil d’analyse économique (CAE) et cité par Les Echos, « les 20 % des ménages les plus modestes n’ont pas épargné et ont même dû s’endetter pour consommer puisque leurs dépenses se concentrent sur les biens essentiels. » Pas sûr, donc, qu’augmenter le rendement de l’épargne puisse résoudre les difficultés actuelles de pouvoir d’achat ou augmenter les futures petites retraites, qui sont par définition celles des actifs les plus pauvres. Pour les classes moyennes, en revanche, c’est un manque à gagner substantiel.

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