Épidémie de Covid-19 : « Les Agences régionales de santé n’étaient pas faites pour gérer une crise »

Épidémie de Covid-19 : « Les Agences régionales de santé n’étaient pas faites pour gérer une crise »

Les difficultés des Agences régionales de santé à « gérer l’urgence », durant la crise du Covid-19, ont été soulignées, lors d’une table ronde au Sénat. Certains départements se sont retrouvés à devoir faire la logistique pour les masques, face à « l’incapacité » des ARS. La solution passerait par plus de local et une place renforcée des élus.
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Au moment où l’épidémie de Covid-19 s’atténue, la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales a cherché à tirer un premier bilan de la coordination, au moment de la crise, entre les collectivités et les Agences régionales de santé (ARS). Il n’est « pas question de faire le procès des ARS », la « commission d’enquête du Sénat fera le point », a cadré le président de la délégation, Jean-Marie Bockel. Mais cela y ressemble tout de même un peu.

Les intervenants – parmi lesquels les ARS n’étaient pas représentées – n’ont pas caché leurs critiques. « Au plus fort de l’épidémie, nous avons eu des interrogations sur la coordination des ARS avec les territoires » dit de manière polie le sénateur UDI du Haut-Rhin, zone particulièrement touchée par le Covid-19.

« Nous avions une déléguée départementale de la santé qui était perdue »

Les invités ont eu moins de pudeur. « Les ARS étaient peu adaptées à la gestion de l’urgence. Au moment de la crise des masques, elles ont été dans l’incapacité à gérer les flux logistiques. Nous avions une déléguée départementale de la santé qui était perdue, incapable de gérer des livraisons, des stocks, une logistique, et c’est nous qui avons dû nous substituer pour amener les masques aux pharmaciens » lâche Jean-Louis Thiériot, député LR de Seine-et-Marne. Regardez :

Jean-Louis Thiériot, député LR, dénonce l’« incapacité des ARS à gérer les flux logistiques »
01:43

« Difficulté à faire remonter les informations » aussi, alors que « des drames se déroulaient dans les Ehpad. (…) Il a fallu que ce soit le département de Seine-et-Marne qui fasse remonter les informations à l’État sur les Ephad », ajoute l’ancien président du département. Pour résumer, « l’ARS est une structure qui n’est pas organisée pour gérer l’urgence ». Il y ajoute le « doux bruissement des parapluies qui s’ouvrent », quand il s’est agi de se protéger, dans un « juridisme permanent ».

« Beaucoup de préfets se sont plaints auprès des maires de difficultés avec les ARS »

Propos que « partage » Dominique Dhumeaux, vice-président de l’Association des maires ruraux. Il a ressenti « un sentiment d’opacité dans les décisions des ARS, qui rendaient encore plus difficile le rôle des maires ». « On a beaucoup de préfets qui se sont plaints auprès des maires, dans plusieurs départements, de difficultés avec les ARS » raconte-t-il…

Le maire de Fercé-sur-Sarthe regrette que « le gouvernement ait fait le choix de s’appuyer sur les ARS pour cette crise, alors que depuis 2008, l’État finance des zones de défense et de sécurité, mises en place pour gérer ce genre de crise ». Pour Dominique Dhumeaux, c’est clair : « Les ARS n’étaient pas faites pour gérer une crise. C’est le ministère de la Santé qui s’est emparé du sujet immédiatement, et s’est appuyé sur les ARS, car il ne connaissait que ça » (voir la première vidéo).

Frédéric Pierru, sociologue et chargé de recherche au CNRS, à l’université de Lille, pointe, lui, la « mauvaise naissance des ARS », créées en 2009. « Ce sont des colosses entravés » par des conflits avec les préfets, souligne le chercheur qui a travaillé sur l’organisation du système de santé. « Cette crise du Covid a révélé les malfaçons originelles des ARS. Donc il serait fort dommage d’en faire des boucs émissaires, de les rendre responsables de choses pour lesquelles elles n’ont pas été faites » tempère cependant le chercheur.

« Incapacité à franchir le dernier kilomètre »

Frédéric Bierry, président LR du conseil départemental du Bas-Rhin, « a bu du petit-lait en écoutant les premiers intervenants ».  Mais il n’entend « pas mettre en cause les personnes, les salariés des ARS, qui s’investissent à fond dans cette crise. Mais ils déplorent eux-mêmes l’organisation des ARS ». Si « ça ne fonctionne pas », c’est à cause « du périmètre des grandes régions, aujourd’hui inadapté. C’est trop grand pour être agile ».

Reste qu’il confirme que dans son territoire aussi, c’est le département qui a joué le rôle de force motrice.  Sur les masques, « ce n’est pas seulement les Ehpad que nous avons livrés, mais aussi les hôpitaux. (…) Sinon, il y aurait eu des morts en plus » soutient Frédéric Bierry. Avec les ARS, il décrit « un système coûteux, construit sur du contrôle administratif », dans l’« incapacité à franchir le dernier kilomètre ».

« Donner un chef de file aux départements »

Pour répondre à ces difficultés structurelles, tous appellent à plus de local. « Quel niveau de décentralisation est souhaitable ? J’inclinerais plutôt pour le département » avance Jean-Louis Thiériot. Il ajoute :

Faire de la dentelle dans l’Aube depuis Strasbourg, je n’ai rien contre mais ça me semble compliqué…

Idée évidemment partagée par Frédéric Bierry. « Il faut donner un chef de file aux départements » et « le préfet doit reprendre la main sur l’ARS », selon le président du Bas-Rhin.

« Il faut coller aux territoires, s’adapter à la réalité locale et avoir un État qui fonctionne » corrobore Jean de Kervasdoué, économiste de la santé et professeur émérite au CNAMM. Pour cet ancien directeur général des hôpitaux, « coller aux territoires, ça veut dire pouvoir recruter, innover, contracter et pouvoir payer. On en est très loin. On ne peut pas recruter en dehors du statut » de la fonction publique regrette-t-il, appelant à embaucher avec des contrats de droit privé.

« La déconcentration est plus souhaitable »

Frédéric Pierru tempère un peu les envies de décentralisation. Il rappelle qu’« à la fin des années 80, les élus locaux n’ont pas voulu d’une décentralisation de la santé. Ils ont préféré être des influenceurs du préfet plutôt que d’avoir la responsabilité ». À l’époque, il y avait l’idée que « décentraliser la santé, c’était décentraliser les emmerdes… »

Aujourd’hui, « aller vers l’option d’une balkanisation décentralisatrice me semble assez compliqué » met en garde le chercheur, alors que « l’Espagne, qui a décentralisé, en a fait une expérience amère ». Pour Frédéric Pierru, « la déconcentration est plus souhaitable » avec un échelon de proximité, comme « les départements » et en associant les élus. De quoi nourrir les débats pour le futur projet de loi « 3D » sur la décentralisation, la différentiation et la déconcentration.

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