EPR de Flamanville : l’Autorité de sûreté nucléaire évoque de nouveaux problèmes qui pourraient encore ralentir le chantier

EPR de Flamanville : l’Autorité de sûreté nucléaire évoque de nouveaux problèmes qui pourraient encore ralentir le chantier

Invité par le Parlement à présenter le rapport annuel de l’ASN, Bernard Doroszczuk, son président, s’est notamment inquiété de la gestion des déchets radioactifs, mais aussi de nouvelles anomalies détectées sur le chantier de l’EPR de Flamanville, pouvant entraîner un nouveau retard.
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Par Jules Fresard

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Bien, mais peut mieux faire. Voici, en substance, le bilan dressé par l’Autorité de sûreté du nucléaire, (ASN), et son président Bernard Doroszczuk devant les députés et sénateurs de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), réunis jeudi 27 mai pour la présentation du rapport annuel de l’autorité administrative.

L’occasion pour les parlementaires membres de l’OPECST de revenir sur la sécurité des installations françaises dans un contexte marqué par la pandémie de covid-19, mais aussi sur les questions inhérentes au secteur, comme la gestion des déchets ou la prolongation annoncée de 32 réacteurs au-delà de 40 ans d’exploitation, questionnant l’avenir de cette ressource, pilier du bouquet énergétique hexagonal.

Une pandémie qui n’a pas foncièrement affecté la sûreté du parc nucléaire français

Dans son propos liminaire, Bernard Doroszczuk a tenu à se montrer avant tout rassurant, concernant les potentiels effets négatifs qu’aurait pu engendrer la pandémie sur la sécurité des installations nucléaires françaises. « La crise liée au covid-19 a profondément marqué l’année 2020. Durant toute cette période, l’ASN estime que le niveau de sûreté est resté satisfaisant », a-t-il souligné, expliquant que « durant la période de confinement, les exploitations nucléaires ont su s’adapter ».

Avec même une marge de progression constatée dans la rigueur d’exploitation de la part d’EDF, « avec une meilleure surveillance en salle de commande, un pilotage plus rigoureux des installations et l’amélioration de la gestion des écarts entre les installations ». La pandémie a même permis « l’évolution des comportements », avec « une meilleure présence des managers sur le terrain et une plus grande attention à la réalisation des travaux ».

En conclusion, « l’ASN considère que la sûreté des installations demeure globalement satisfaisante dans un contexte d’activité moindre » a ainsi tenu à souligner le président de l’autorité administrative.

Même si des manquements restent présents

Ces bons éléments ne masquent cependant pas certains manquements, antérieurs ou qui se sont renforcés pendant la pandémie. Concernant d’abord la protection des personnels travaillant sur les installations. « L’ASN a constaté une régression dans la protection des travailleurs, ainsi que la persistance d’écart de conformité parmi des matériels qui auraient remis en cause la protection en cas d’incidents, comme les groupes électrogènes diesel ».

Dans le domaine du nucléaire médical également, employé dans la radiothérapie, où des rayonnements radioactifs sont utilisés pour détruire des tumeurs cancéreuses. « L’ASN relève encore des défaillances, peu nombreuses mais évitables, comme le mauvais paramétrage de logiciel, à l’origine d’accidents de type 2 ou 3 ayant des effets significatifs sur les patients », s’est ainsi alarmé Bernard Doroszczuk.

Mais le point qui inquiète le plus l’ASN concerne « la capacité industrielle d’EDF à faire face aux travaux annoncés avec le niveau de qualité attendu ». L’autorité administrative fait ici directement référence aux travaux de grand carénage, le terme consacré pour décrire l’immense chantier entrepris par EDF pour prolonger la durée de vie de certaines de ses centrales. « Les travaux connaîtront dès cette année une montée en puissance. [..] EDF estime que la charge de travail du génie civile sera multipliée par trois, celui de la mécanique par six, alors que ce segment a connu des difficultés ».

Un constat qui a poussé l’ASN, pour la première fois de son histoire, à demander à l’exploitant énergétique de rendre compte annuellement de la capacité des industriels à réaliser les travaux prescrits selon le calendrier défini. Une situation qui fait dire à Émilie Cariou, députée non inscrite de la Meuse, en charge avec le sénateur LR Bruno Sido d’une étude sur la gestion des déchets radioactifs, que les bilans de l’ASN sont « toujours en demi-teinte, avec d’une part des améliorations, mais en même temps, une inquiétude concernant l’année à venir. Cela fait quatre ans que vous alertez sur la nécessité d’avoir le personnel nécessaire, et là-dessus, on a toujours l’impression de naviguer à vue ».

Questionnement autour des cuves

Une navigation à vue d’autant plus inquiétante que, toujours selon Émilie Cariou, « nous avons auditionné récemment des personnes sur les niveaux de sûreté des cuves, qui nous ont alertés sur la situation de certains réacteurs qui aujourd’hui subissent un vieillissement accéléré des aciers, ce qui pourrait impacter la sûreté ». Les cuves sont un des éléments les plus fondamentaux des centrales, mais aussi les plus délicats, car renfermant le cœur du réacteur. Une situation qui pousse la députée de la Meuse à se demander « s’il est judicieux de prolonger l’intégralité des 32 réacteurs, si l’on souhaite garantir une certaine sûreté ».

Pour Bernard Doroszczuk, l’état actuel des cuves ne pose pas de danger immédiat, et leur prolongation à 50 ans de fonctionnement est réalisable. « EDF a fourni des justifications qui nous ont semblé probantes pour pouvoir accepter un prolongement de 40 à 50 ans. Certaines de ces cuves sont affectées de défauts d’origine, des microfissures suivies en permanence, qui non pas évoluées ». L’inquiétude résulte pour lui de la prolongation après 50 ans d’exploitation, avec un dossier transmis par EDF qui « montre que certains réacteurs ne disposent que de très peu de marge de manœuvre pour un fonctionnement au-delà de cette date ».

Le manque d’anticipation dans la gestion des déchets

Autre point d’inquiétude, l’avenir des déchets radioactifs, et le retard du gouvernement sur la question, déjà dénoncée par Bernard Doroszczuk lors de son audition au Sénat en avril dernier. « À un moment, il faut choisir, sinon, on va se retrouver face à une saturation des capacités de stockage », a d’ailleurs alerté Cédric Villani, président de l’OPECST.

D’autant que le Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs a deux ans de retard, une situation dénoncée par Émilie Cariou. « Effectivement, ce plan doit être produit tous les cinq ans par le gouvernement. Le problème, c’est qu’il devait être produit tous les 3 ans, et que le gouvernement n’a pas respecté la loi. Du coup, il a prolongé le délai de 2 ans. Il n’en demeure pas moins que cette loi n’étant pas rétroactive j’estime qu’aujourd’hui on est en violation de la loi ».

Bernard Doroszczuk a appelé le gouvernement à se mobiliser fortement sur la question. « Il nous reste à avancer pour la mise en œuvre des filières de traitement de déchets. L’ASN souligne notamment la situation des déchets faiblement radioactifs, dont les capacités de stockage seront saturées d’ici 2028 ou 2035. Aucune solution claire de gestion n’a été arrêtée à ce stade ».

Le cas de Flamanville

Le cas de l’EPR de Flamanville, sujet lancinant dans le débat autour du nucléaire français, a lui été évoqué par le sénateur de la Haute-Marne Bruno Sido, demandant de faire le point sur les EPR déjà en service en Finlande et en Chine afin d’obtenir un premier retour d’expérience.

Et les nouvelles ne sont pas des plus réjouissantes. « Concernant les retours d’expériences en Finlande et en Chine, des cas de corrosions ont été signalés sur les soupapes du service primaire, et en Chine, un certain nombre d’anomalies a été relevé sur la distribution de la puissance dans le cœur, appelant des investigations et donc une vigilance particulière de la part d’EDF ».

À Flamanville, des soudures défaillantes avaient déjà été découvertes, poussant l’ASN à autoriser en mars dernier des réparations opérées par des robots, une première. Et Bernard Doroszczuk a averti, « hormis les soudures, beaucoup de sujets sont encore ouverts, sur lesquels l’ASN ne dispose toujours pas d’éléments pour les instruire et les trancher. Il est urgent qu’EDF termine ses analyses et les transmette à l’ASN si elle souhaite ouvrir l’EPR fin 2022 ». D’autant que « plus récemment, nous avons été informés d’une nouvelle non-conformité sur le circuit primaire, concernant des piquages touchant l’eau sous pression, en contact avec le cœur du réacteur ».

Ces problèmes de « piquages », qui correspondent à une partie de la tuyauterie qui la raccorde à une autre, pourraient ainsi causer de nouveaux retards dans le projet. Pour l’instant, trois solutions sont envisagées par EDF, consolider le piquage avec des colliers de maintien, couper et remplacer les tronçons en question, ou enfin réparer les soudures, comme l’a détaillé Bernard Doroszczuk.

Seule la première option permettrait de respecter les délais de mise en service en 2022. « C’est cette option qui est privilégiée par EDF et nous prendrons position sur la faisabilité de cette option 1 durant l’été », a indiqué le président de l’ASN.

La prudence est donc toujours de mise pour ce chantier titanesque, entrepris en 2007, et qui connaît déjà une décennie de retard, retard qui s’est accompagné d’une multiplication des coûts par plus de trois. Atteignant aujourd’hui près de 11 milliards d’euros.

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