Etat d’urgence sanitaire : le Sénat persiste et réclame plus de contrôle du Parlement

Etat d’urgence sanitaire : le Sénat persiste et réclame plus de contrôle du Parlement

Les sénateurs ont rétabli en commission leur version du texte : fin de l’état d’urgence ramené au 31 janvier, vote du Parlement pour prolonger le confinement après le 8 décembre, limitation des ordonnances. Les divergences sont nombreuses avec l’exécutif, alors que sur le fond des mesures, tout le monde est d’accord.
Public Sénat

Temps de lecture :

7 min

Publié le

Mis à jour le

Marquer le coup. De retour au Sénat, le projet de loi sur l’état d’urgence sanitaire va en repartir comme la semaine dernière : modifié et plus encadré. Après l’imbroglio mêlé de tensions, qui a marqué l’examen du texte mardi à l’Assemblée nationale (lire ici), le texte continue son parcours législatif, après l’échec de la CMP (commission mixte paritaire). Les sénateurs examinent le texte ce soir en nouvelle lecture, avant une dernière lecture par les députés, qui ont le dernier mot.

L’échec de la CMP a été patent. Vendredi dernier, à la sortie, les sénateurs avaient clairement senti que les députés de la majorité présidentielle avaient pour mission de défendre la version gouvernementale du texte, point barre. Et pourtant, le paradoxe est que sur le fond, députés et sénateurs sont d’accord : le confinement et le régime d’état d’urgence sanitaire, demandé par le gouvernement, se justifient au regard de la situation sanitaire catastrophique. Les trois derniers jours, plus de 1.200 personnes sont mortes à l’hôpital des suites du Covid-19. Et le pic n’est pas encore atteint…

La place du Parlement questionnée

Mais le désaccord se situe ailleurs. Le confinement, quand bien même est-il fondé, n’en reste pas moins une privation de libertés publiques et individuelles comme on n’en avait pas connu dans une démocratie comme la France depuis des lustres. Au regard de ces mesures, exceptionnelles en tous points, les sénateurs, et l’opposition en général, demandent un contrôle régulier du Parlement, un débat devant la représentation nationale, au moment où ces mesures sont moins bien acceptées et respectées par la population. Mais face à une seconde vague partie pour durer encore quelques semaines, le gouvernement plaide lui pour un cadre suffisamment long pour agir.

Autrement dit, c’est aussi la place du Parlement qui est questionnée. Les sénateurs y voient clairement un manque de respect et une cause supplémentaire de son affaiblissement. Ce dont se défend l’exécutif. « Il faut que l'on arrête de dire que le gouvernement ne vient pas devant le Parlement. C'est un mauvais procès qui nous est fait » a estimé ce matin sur Public Sénat Marc Fesneau, ministre en charge des Relations avec le Parlement.

« Le Sénat n’est pas là pour empêcher le gouvernement de faire ce qu’il a à faire »

« Le Sénat n’est pas là pour empêcher le gouvernement de faire ce qu’il a à faire. Nous sommes tous bien convaincus de l’existence de cette crise et des moyens qu’il faut. Mais il n’empêche que le Parlement doit pouvoir contrôler régulièrement les choses afin que cela se passe dans un système démocratique parfaitement abouti » résume François-Noël Buffet, président LR de la commission des lois (voir la vidéo). Il ajoute :

On sent un profond agacement de la part des collègues sur la manière dont est traité le Sénat. On a l’impression que quoi que nous puissions dire, quel que soit l’argument que nous puissions avancer, celui-ci, avant même un débat de fond, est déjà rejeté.

Réunis en commission ce jeudi, en début d’après-midi, les sénateurs ont comme attendu rétabli l’ensemble des mesures que les députés ont supprimées. La majorité sénatoriale (LR-UDI), appuyée par le groupe PS, a ainsi de nouveau fixé la fin de l’état d’urgence sanitaire au 31 janvier, contre le 16 février dans la version gouvernementale. En cas de prolongation du confinement au-delà du 8 décembre, le Sénat veut aussi que l’exécutif repasse par la case Parlement, qui devra adopter toute nouvelle prolongation, qui semble aujourd’hui probable.

Le Sénat a également, comme en première lecture, supprimé l’article 2 qui intègre dans le texte la prolongation du régime de sortie d’état d’urgence sanitaire – il permet à peu près tout sauf le confinement – qui avait fait l’objet d’un texte à part entière après le premier confinement. Le gouvernement aimerait ainsi avoir les mains libres jusqu’au 1er avril, quand le Sénat lui demande un nouveau vote, là aussi.

Permettre aux petits commerces de rouvrir si la situation le permet

Sur la question des commerces, les sénateurs avaient été quasiment les premiers, la semaine dernière, à alerter sur leur situation. Ils avaient adopté à l’unanimité, contre l’avis du gouvernement, une mesure permettant aux préfets de rouvrir les petits commerces, si la situation sanitaire le permet localement. Les sénateurs ont rétabli de nouveau la mesure, que devrait refuser encore l’exécutif. « Ce n’est pas une décision contre (les commerces), c’est une décision pour la santé des Français » a répondu hier devant le Sénat le premier ministre Jean Castex.

Autre grief de taille pour les sénateurs : le large recours aux ordonnances, qui permet de légiférer en se passant, encore une fois, du Parlement (qui doit simplement voter une habilitation à légiférer par ordonnance). Le rapporteur du texte, Philippe Bas ne veut pas donner « de blanc-seing » au gouvernement en la matière. Il a ramené le nombre de ces habilitations de 70 à 30. Il a aussi inscrit en « dur » dans la loi certaines d’entre elles.

Point qui énerve pour le moins un ministre, quand on l’interroge : « Dire qu’habiliter par ordonnances, c’est priver les gens de liberté, mais on est où là ? On a une crise sanitaire sans précédent, le terrorisme, et on dit qu’on veut priver les gens de liberté…. Mais ils vivent où ces gens-là ? Il y a un moment, il faut relativiser tout ça » lâche ce ministre, qui renvoie la balle :

Regardez un peu comment ça se passait quand Philippe Bas était secrétaire général de l’Elysée (de 2002 à 2005, ndlr) et le nombre d’ordonnances publiées. Il y a un moment, il faut arrêter la plaisanterie quoi. (un ministre)

Selon un décompte réalisé par Le Monde, le nombre d’ordonnances était en effet important sous Jacques Chirac. Il en détient même le record, mais un quart sont imputables à Lionel Jospin, pendant la cohabitation. Quand Jean-Pierre Raffarin était à Matignon, de 2002 à 2005, il a eu recours à 95 ordonnances, selon notre décompte sur le site Légifrance. Mais rapporté au nombre de mois au pouvoir, Emmanuel Macron est pour le moment largement devant Jacques Chirac (mais derrière François Hollande) pour le recours aux ordonnances.

Autre amendement rétabli en commission : pour sécuriser l’organisation des élections régionales et départementales, prévues pour le moment en mars 2021 mais qui pourraient être repoussées à cause de l’épidémie, le rapporteur veut faciliter le vote par procuration, augmenter le nombre de bureaux de vote et autoriser le vote par correspondance « papier ». A noter que l’un des rares apports du Sénat conservé par les députés est la publication immédiate des avis du Comité scientifique, que l’exécutif a plusieurs fois retardé, surtout en début de crise.

Last but not least : les sénateurs ont rétabli une mesure, défendue à l’origine par les socialistes, visant à exonérer de tous frais bancaires, pendant la durée de l’état d’urgence, les personnes touchant le RSA, ainsi que les personnes en situation de fragilité financière. Mais le gouvernement s’y oppose.

Débats en séance à suivre ce soir, à partir de 19 heures sur Public Sénat, jusque 20 heures, et sur publicsenat.fr.

Dans la même thématique

Deplacement du Premier Ministre a Viry-Chatillon
7min

Politique

Violence des mineurs : le détail des propositions de Gabriel Attal pour un « sursaut d’autorité »

En visite officielle à Viry-Châtillon ce jeudi 18 avril, le Premier ministre a énuméré plusieurs annonces pour « renouer avec les adolescents et juguler la violence ». Le chef du gouvernement a ainsi ouvert 8 semaines de « travail collectif » sur ces questions afin de réfléchir à des sanctions pour les parents, l’excuse de minorité ou l’addiction aux écrans.

Le

Turin – Marifiori Automotive Park 2003, Italy – 10 Apr 2024
6min

Politique

Au Sénat, la rémunération de 36,5 millions d’euros de Carlos Tavares fait grincer des dents. La gauche veut légiférer.

Les actionnaires de Stellantis ont validé mardi 16 avril une rémunération annuelle à hauteur de 36,5 millions d’euros pour le directeur général de l’entreprise Carlos Tavares. Si les sénateurs de tous bords s’émeuvent d’un montant démesuré, la gauche souhaite légiférer pour limiter les écarts de salaires dans l’entreprise.

Le