Etat d’urgence sanitaire : les sénateurs pointent un régime de sortie en trompe-l’œil

Etat d’urgence sanitaire : les sénateurs pointent un régime de sortie en trompe-l’œil

Les sénateurs ont entamé ce 18 mai l’examen du projet de loi dit « de sortie de crise sanitaire ». Beaucoup ont regretté que le régime de sortie ne soit qu’un état d’urgence sanitaire qui ne dit pas son nom. Une majorité de sénateurs veut également apporter des garanties supplémentaires au système de pass sanitaire.
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Un « discours de vérité », de nouvelles précisions juridiques et des garanties sur les points sensibles du texte. C’est ainsi que le Sénat, dominé par la droite et le centre, veut retravailler le projet de loi dit de « gestion de la sortie de l’état d’urgence sanitaire », débattu en séance ces 18 et 19 mai. Le texte, voté par l’Assemblée nationale après quelques secousses politiques, aborde le cadre juridique de l’après 1er juin, lorsque l’état d’urgence sanitaire prendra fin. La nature de cet entre-deux a vu s’opposer deux approches au Sénat. Pour le gouvernement, le dispositif proposé « installe de manière progressive les conditions d’un déconfinement sûr et efficace ».

A ce stade de la navette parlementaire, le texte s’appliquerait jusqu’au 30 septembre, les députés ayant raboté d’un mois son terme. Les sénateurs voudraient réduire encore la marge, au 15 septembre. Olivier Véran, le ministre des Solidarités et de la Santé, estime qu’avec ce texte l’exécutif ne confond pas « vitesse et précipitation ». Pas de sortie « sèche » de l’état d’urgence sanitaire, en raison de la persistance du virus. « S’il crée un régime de sortie, c’est pour que le retour à la vie normale ne soit pas un slogan, mais un projet sérieux, raisonnable et réaliste », a insisté le ministre.

Un discours « d’espoir » qui pourrait se muer en discours de « l’illusion », selon Philippe Bas

S’il reconnaît la nécessité de disposer encore de « moyens d’action exceptionnels », le rapporteur du texte, Philippe Bas (LR), n’a pas eu la même approche. Le régime de sortie proposé reste, selon lui, trop proche de l’état d’urgence sanitaire, seule la possibilité de restreindre les sorties du domicile séparant les deux. Regrettant un « régime inutile » sur le plan juridique, le sénateur de la Manche s’est aussi inquiété du signal envoyé aux Français. Le discours « d’espoir » du gouvernement pourrait « être aussi celui de l’illusion », « celui qui donne le signal à un relâchement ».

L’ancien président de la commission des lois a dénoncé la « grande improvisation » du gouvernement, qui a déposé un amendement pour rendre possible l’instauration du couvre-feu en juin, en dehors de l’état d’urgence. « Voilà comment, le dos au mur, le gouvernement remet de l’état d’urgence sanitaire dans la sortie, brouillant la distance élaborée entre les deux régimes », s’est exclamé le sénateur. Pour rappel, jusqu’au 31 décembre 2021, la loi offre au gouvernement la possibilité de déclencher l’état d’urgence sanitaire.

La frontière ténue entre l’état d’urgence et le régime de sortie n’a pas manqué de faire réagir dans plusieurs groupes, au cours de la discussion générale sur le texte. « Soit nous gardons les mesures de l’état d’urgence, comme le propose le gouvernement, et ça s’appelle l’état d’urgence. Soit on sort de l’état d’urgence mais on écarte les mesures que l’on veut nous proposer », a demandé le centriste Philippe Bonnecarrère. « Ce texte est, en fait, un trompe-l’œil […] Ce n’est pas vraiment une sortie de l’état d’urgence », a résumé la sénatrice socialiste Marie-Pierre de la Gontrie. Pour faire preuve de clarté face à la persistance du couvre-feu, Philippe Bas a fait adopter lors de l’examen en commission une prolongation de l’état d’urgence jusqu’au 30 juin (relire notre article). « La commission des lois, qui est bonne fille », a voulu « remettre un peu d’ordre », selon les mots du rapporteur.

La position est incompréhensible pour la sénatrice communiste Laurence Cohen. « La majorité sénatoriale dénonce cet énième tour de passe-passe du gouvernement, qui maintient sans le dire un nouvel état d’exception […] mais ce constat apparaît plus comme de l’affichage puisque vous prolongez d’un mois l’état d’urgence. » Les reproches les plus marqués sont d’ailleurs de son groupe, qui défendait une motion pour abréger les débats. « D’un projet de sortie de crise, ce texte n’en a que le nom », a dénoncé sa présidente Éliane Assassi, estimant que l’heure était venue de « déconfiner » les libertés publiques. « Nous demandons que tout ce régime exorbitant du droit commun cesse au 30 juin », a-t-elle demandé.

Les conditions d’utilisation du pass sanitaire devront être plus précises, demandent des sénateurs

La base légale dans le projet de loi du passe sanitaire, preuve d’une immunité ou d’une contamination au virus, pour circuler en dehors de la France métropolitaine, ou accéder à certains grands évènements publics, a aussi constitué un moment fort de la discussion générale. « Ce dispositif ne sera évidemment pas étendu aux activités du quotidien », a promis Olivier Véran. Plusieurs orateurs ont demandé de le limiter « le temps d’un été ». « Nous demandons un encadrement législatif vigoureux », a fait savoir la socialiste Sylvie Robert, qui siège à la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) et qui entend appliquer les recommandations de cette dernière. Paraphrasant une formule de Winston Churchill, la sénatrice, qui entend pousser pour de nouvelles garanties dans la loi, a expliqué : « La fin ne justifie pas les moyens, surtout eu égard à son caractère inédit et attentatoire aux libertés publiques. »

Des précisions sont notamment demandées sur le seuil à partir duquel son utilisation se déclencherait. « Qu’entendons-nous par grand rassemblement », questionne ainsi Maryse Carrère, sénatrice du groupe Rassemblement Démocratique et Social Européen. Pour le centriste Philippe Bonnecarrère, la « question redoutable » du pass sanitaire pose le « problème de la conservation des données de santé » sur une longue période. Le groupe communiste, par la voix de Laurence Cohen, a exprimé sa crainte de voir naître un « précédent dangereux », qui pourrait être élargi dans le futur à d’autres usages.

Au reproche, plusieurs fois exprimé, selon lequel le Conseil d’Etat n’a pu donner son appréciation du passe sanitaire, le secrétaire d’Etat chargé du Numérique Cédric O, a assuré que le gouvernement disposait déjà d’une base. « Le Conseil d’Etat avait, à la mi-décembre, validé un article d’un projet de ce gouvernement, qui a été retiré, qui était plus beaucoup large », a-t-il expliqué. Peu favorable à l’idée d’inscrire dans la loi la jauge de public qui requerrait l’emploi d’un pass sanitaire, le ministre a vanté l’avantage d’un tel document pour l’assouplissement des mesures. « Il va permettre de rouvrir plus tôt, ou avec des jauges relâchées, des événements qui, sans le passe, rouvriraient plus tard ou avec des jauges diminuées. »

Sur la proposition de la commission des lois de prolonger l’état d’urgence jusqu’à la fin juin, Olivier Véran a considéré que le Sénat et l’Assemblée nationale n’étaient « pas très loin d’arriver aux mêmes conclusions ». Il veut « attendre les débats, pour pouvoir nous faire chacun une idée sur la bonne façon d’écrire ce point du texte ». En revanche, le ministre de la Santé tiendra à conserver la possibilité de réinstaurer un état d’urgence sanitaire localisé en cas de résurgence de l’épidémie, pour une durée d’un mois renouvelable. Les sénateurs, en commission, ont considéré que le gouvernement devait passer devant le Parlement au-delà d’une durée d’un mois (relire notre article). « Ça peut passer, mais ça peut ne pas passer », a mis en garde Olivier Véran, contre une convocation du Parlement en urgence en plein été. « On se met peut-être dans une situation un peu périlleuse au cours de l’été vis-à-vis de nos amis ultramarins, à limiter les mesures à un mois. »

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