Covid-19 et expulsions des étrangers : « C’est un droit à la santé détourné »

Covid-19 et expulsions des étrangers : « C’est un droit à la santé détourné »

Passé inaperçu dans le projet de loi sur le passe sanitaire, un amendement du gouvernement a instauré un nouveau délit. Désormais les étrangers qui refuseront le test PCR pour éviter d’être expulsés risqueront trois ans d’emprisonnement et jusqu’à dix ans d’interdiction du territoire.
Public Sénat

Par Héléna Berkaoui

Temps de lecture :

4 min

Publié le

Mis à jour le

« C’est un droit à la santé détourné pour procéder à des expulsions. On est à la veille d’une 4e vague et une des priorités du gouvernement c’est l’expulsion », s’étrangle Paul Chiron, chargé des actions juridiques à La Cimade. L’objet de son courroux est un amendement passé inaperçu dans le projet de loi sur le passe sanitaire. Introduit par le gouvernement au Sénat, cet amendement crée un délit spécial pour les étrangers qui font l’objet d’une décision d’éloignement et qui refuseraient de se soumettre à un test PCR. L’amendement prévoit une lourde sanction : trois ans d’emprisonnement et dix ans d’interdiction du territoire. Saisi, le Conseil constitutionnel a validé, en grande majorité le texte de loi sanitaire.

Sur cette question du test PCR pour les étrangers, le Conseil constitutionnel a émis une réserve d’interprétation. « L’obligation sanitaire est validée mais le Conseil constitutionnel a précisé le terme. Cela ne pourra concerner que les tests de dépistage et non le port du masque ou le respect des gestes barrière », souligne une source constitutionnelle.

Test PCR et prison

Cette obligation « s’inscrit dans la lutte contre la propagation de la covid-19 en France et à l’étranger, a tenté de défendre la ministre déléguée en charge de l’Autonomie, Brigitte Bourguignon, lors de l’examen du texte. [Elle] assure un suivi des personnes malades et permet de les traiter rapidement ». La ministre affirme que cette mesure s’inscrit « avant tout [dans un] objectif à valeur constitutionnelle de protection de la santé publique ».

L’amendement a soulevé quelques indignations au Sénat, avant d’être adopté. Le socialiste, Jean-Yves Leconte, s’est ému qu’une mesure de santé publique puisse conduire à une incarcération. « Il est étonnant de voir que vous vous réveillez seulement pour faciliter les mesures d’éloignement et envoyer en prison les gens qui refusent de se soumettre à un test PCR, et tout cela au nom de l’objectif à valeur constitutionnelle de protection de la santé publique », a lancé le sénateur socialiste.

Déjà des condamnations

Depuis la fin de l’année 2020, plusieurs condamnations ont déjà été prononcées contre des étrangers retenus dans des centres de détention administrative (CRA) pour refus de soumettre à un test. Paul Chiron évoque « un cercle d’enfermement impressionnant ». De son côté, la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, Dominique Simonnot « recommande de nouveau la fermeture provisoire des CRA ou a minima la réduction drastique de leur activité » au vu de l’évolution de la situation sanitaire. Une recommandation qu’elle motive par la hausse des tensions dans le CRA du Mesnil-Amelot. Les conditions de vie et d’enfermement y sont dénoncées depuis plusieurs années et encore plus depuis le début de la crise sanitaire.

A l’instar de la contrôleuse générale, Paul Chiron de La Cimade, pointe le flou juridique qui entoure les précédentes condamnations d’étrangers refusant cet acte médical. « Ces poursuites se basent sur l’article L 824-9 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile pour soustraction à une mesure d’éloignement mais il y a un débat juridique entre plusieurs cours d’appel », pointe Paul Chiron. Car depuis ces condamnations, plusieurs cours d’appel ont relaxé des prévenus poursuivis pour obstruction au motif que ces derniers pouvaient librement s’opposer à un acte médical.

Un flou juridique

« Avec cet amendement, on vient légaliser cette pratique, ce qui montre bien le flou juridique, mais aussi que les condamnations ultérieures sont complètement illégales », estime le chargé des actions juridiques de la Cimade.

Au Sénat, Jean-Yves Leconte avait par ailleurs soulevé les limites que pourrait comporter l’amendement porté par le gouvernement. « Se soumettre aux obligations sanitaires, comme le prévoit l’amendement, n’est pas la même chose qu’accepter un acte médical. Or il est bien là question d’un acte médical », pointait le sénateur. Le socialiste soulignait aussi le paradoxe entre l’objectif affiché de santé publique du gouvernement et l’incarcération d’une personne qui refuserait de se soumettre à un test PCR.

Le texte est désormais entre les mains du Conseil constitutionnel qui validera ou non cette mesure. Sa décision est attendue pour le 5 août.

MAJ 9 août 2021 : ajout de la décision du Conseil constitutionnel

Dans la même thématique

Deplacement du Premier Ministre a Viry-Chatillon
7min

Politique

Violence des mineurs : le détail des propositions de Gabriel Attal pour un « sursaut d’autorité »

En visite officielle à Viry-Châtillon ce jeudi 18 avril, le Premier ministre a énuméré plusieurs annonces pour « renouer avec les adolescents et juguler la violence ». Le chef du gouvernement a ainsi ouvert 8 semaines de « travail collectif » sur ces questions afin de réfléchir à des sanctions pour les parents, l’excuse de minorité ou l’addiction aux écrans.

Le

Turin – Marifiori Automotive Park 2003, Italy – 10 Apr 2024
6min

Politique

Au Sénat, la rémunération de 36,5 millions d’euros de Carlos Tavares fait grincer des dents. La gauche veut légiférer.

Les actionnaires de Stellantis ont validé mardi 16 avril une rémunération annuelle à hauteur de 36,5 millions d’euros pour le directeur général de l’entreprise Carlos Tavares. Si les sénateurs de tous bords s’émeuvent d’un montant démesuré, la gauche souhaite légiférer pour limiter les écarts de salaires dans l’entreprise.

Le