Face à « une stratégie agressive de la Chine », le Sénat veut protéger l’enseignement supérieur français

Face à « une stratégie agressive de la Chine », le Sénat veut protéger l’enseignement supérieur français

La mission d’information sur « les influences étrangères extra-européennes à l’université » présidée par le sénateur LR Étienne Blanc rendait ses conclusions ce mardi au Sénat. André Gattolin, rapporteur RDPI (LREM) de la mission a insisté sur la « zone grise » des dispositifs actuels qui oublient souvent les ingérences dans les sciences humaines et sociales, qui viennent notamment d’une politique d’influence chinoise de plus en plus « agressive. »
Louis Mollier-Sabet

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C’est une véritable « vulnérabilité française » qu’a identifiée la mission d’information sénatoriale sur les influences étrangères extra-européenne dans les universités. Celle-ci est d’abord liée aux rémunérations faibles ainsi qu’aux conditions de travail difficiles dans l’enseignement supérieur français. Ensuite, l’autonomie administrative d’établissements d’enseignement supérieur et une culture d’ouverture sur l’international rend l’enseignement supérieur français particulièrement sujet à une « menace bien réelle » pour le rapporteur RDPI (LREM) de la mission d’information, André Gattolin.

« Une stratégie structurée pour imposer un narratif d’État »

Face à cette vulnérabilité, le rapport pointe clairement la Chine comme la puissance étrangère mettant actuellement en place une « influence systémique » menaçante pour les libertés académiques françaises. La République populaire de Chine déploie en effet une « stratégie particulièrement structurée » – « de la séduction jusqu’à la pression » – pour imposer un « narratif » d’État qui correspond à l’image que veut promouvoir le régime chinois. En témoigne l’attitude de l’ambassadeur de Chine à l’égard d’Antoine Bondaz (lire notre article), qui avait traité le chercheur de « petite frappe » quand celui-ci avait soutenu le voyage à Taïwan d’une délégation sénatoriale.

« C’est probablement parce que nous avons tenu un jugement parfois sévère sur ces régimes, qu’ils cherchent à amoindrir ce jugement en déployant cette influence », précise Étienne Blanc, président LR de la mission d’information. Quoi qu’il en soit, André Gattolin précise bien que la Chine est un partenaire, « un pays avec lequel nous devons répondre à des enjeux du XXIè siècle » et que son influence n’est donc pas un problème en soi. En revanche, « force est de constater que le déploiement de cette influence et de captations illicites, inquiète » et que l’on est en droit de craindre que la stratégie chinoise fasse des émules. « Les méthodes employées pourraient faire écho à d’autres puissances comme la Russie, la Turquie ou des États du golfe Persique » explicite le rapporteur RDPI (LREM) de la mission d’information.

Combler les « trous dans la raquette » dans les sciences humaines et sociales

Des dispositifs existent pour protéger le « patrimoine scientifique et technique de la Nation » (PPST), en mettant en place notamment un réseau de fonctionnaires sécurité défense (FSD) animé par un haut fonctionnaire de défense et de sécurité (HFSD). Ainsi le dispositif de « zone à régime restrictif » (ZRR) permet à un laboratoire de sécuriser et restreindre l’accès à ses données. Mais ce genre de dispositifs est centré sur les sciences dites « dures » et à fort intérêt stratégique, économique ou militaire. Pour les sciences humaines et sociales, la protection de l’intégrité scientifique est une « zone grise » qui autorise des interférences et des ingérences de puissances étrangères qui mettent « des moyens humains, matériels et financiers considérables. »

Pour combler ce « trou dans la raquette », la mission d’information propose de renforcer les liens entre les dispositifs existants, et les « référents » ainsi que le « collège de déontologie », créés récemment, pour consacrer le rôle de formation sur ces sujets du réseau de fonctionnaires sécurité défense. Le rapport propose également d’accroître la transparence sur les financements extra-européens de colloques, de contrats doctoraux ou de chaires. « Nous ne souhaitons pas interdire ces financements, simplement les rendre transparents pour savoir d’où l’on parle » précise André Gattolin, rapporteur RDPI (LREM) de la mission d’information.

« Les injonctions contradictoires » produites par l’internationalisation de l’enseignement supérieur français

Le but est en effet d’agir tant au niveau des établissements de l’enseignement supérieur que des chercheurs et même d’agir au niveau national, notamment en mettant en place des moyens juridiques « pénaux le cas échéant » pour « sanctionner les interférences portant atteinte aux libertés académiques. » De même le rapport propose de développer avec l’Union européenne un classement des universités par rapport au respect des libertés académiques pour « concurrencer sans le dire » le sacro-saint classement de Shanghai.

Les évolutions récentes de l’enseignement supérieur français, et notamment son internationalisation dans la concurrence interuniversitaire symbolisée par le fameux classement de Shanghai, produisent ainsi des « injonctions contradictoires » mises en évidence dans ce rapport. D’un côté les universités françaises doivent internationaliser leur recrutement, développer des partenariats avec des universités étrangères et harmoniser leur enseignement et de l’autre elles doivent réussir à maintenir les influences étrangères au stade de « soft power » et d’influence culturelle « normale » dans les relations internationales.

« Un rapport vigie pour en finir avec la cécité »

Face à « l’augmentation récente des moyens mis en place par la Chine et l’efficacité croissante de sa politique », Étienne Blanc en appelle à une prise de conscience collective. André Gattolin a, lui aussi, détaillé les programmes de plus en plus offensifs mis en place par la Chine pour « approcher » des chercheurs français, comme le « programme 1000 talents » depuis officiellement supprimé, ou le programme « Route de la soie » beaucoup plus orienté vers la construction de liens profonds avec les « écosystèmes économiques locaux. »

C’est par exemple souvent le cas à proximité des ports industriels ou militaires comme à Brest et Rouen en France, où la Chine semble déployer des moyens particulièrement importants pour nouer des liens avec le tissu militaro-industriel local. On sent bien que l’ampleur du phénomène est difficile à quantifier et les sénateurs l’admettent : leur rapport « n’a rien d’exhaustif. » Il se veut plutôt « un rapport vigie » destiné, déjà, à mettre fin à la « cécité » sur le sujet, afin de véritablement s’emparer d’un « objet aussi universitaire que politique. »

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