Face aux appels du pied d’Emmanuel Macron, LR veut se « coordonner » à l’Assemblée et au Sénat pour « peser »

Face aux appels du pied d’Emmanuel Macron, LR veut se « coordonner » à l’Assemblée et au Sénat pour « peser »

Dans une configuration parlementaire inédite qui confère à LR un rôle pivot, les députés et les sénateurs de droite se sont retrouvés à Biarritz pour leurs journées parlementaires, pour se coordonner. Et pour cause, Emmanuel Macron semble vouloir les mettre face à un choix impossible en proposant des mesures emblématiques de la droite dans les textes budgétaires. En pleine campagne pour la présidence du parti, les Républicains vont donc devoir manœuvrer pour éviter le piège.
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Par Louis Mollier-Sabet, avec Jérôme Rabier et Jonathan Dupriez

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C’est tout sourire que les parlementaires LR ont débarqué à Biarritz. Bras de chemise, lunettes de soleil, les visages sont détendus devant le bien nommé palais des Congrès Bellevue, qui fait face à l’océan. Aurélien Pradié, député du Lot et candidat à la présidence du parti, a même sorti le polo Lacoste pour l’occasion, mais manches longues, ce ne sont quand même pas des journées parlementaires autogérées. Est-ce le beau temps qui donne un air aussi enjoué à la droite française ? « Non, on est toujours en forme », assure le sénateur Jean-François Husson. Le rapporteur général du budget est pourtant bien placé pour savoir que les prochaines semaines se dérouleront dans un cadre moins idyllique pour les parlementaires LR. D’une part, naviguer dans les arcanes du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) et du projet de loi de finances (PLF) – les deux gros morceaux de l’automne – doit paraître un peu moins alléchant que ce séminaire de rentrée avec vue sur les plages biarrotes. Mais c’est surtout politiquement que l’équation se complique pour LR, à l’approche de l’examen des textes budgétaires au Parlement. Si Bruno Retailleau, président du groupe LR au Sénat et lui aussi candidat à la présidence du parti, se félicite de la « nouvelle séquence » qui s’est ouverte après les élections législatives avec « le retour du Parlement », la nouvelle position charnière de LR dans la vie parlementaire due à la majorité relative dont dispose Emmanuel Macron à l’Assemblée nationale pourrait aussi être un cadeau empoisonné pour la droite.

« Aucune femme ne m’a jamais dragué comme ça, c’est exceptionnel »

En effet, alors que les textes budgétaires vont s’enchaîner jusqu’à Noël, Emmanuel Macron semble bien décider à plumer les LR. En ouvrant la porte à des assouplissements fiscaux sur les droits de succession ou en évoquant un report de l’âge légal de la retraite directement dans le budget de la sécurité sociale, l’exécutif tape dans le mille des revendications historiques et emblématiques politiquement des Républicains ces dernières années. Les LR sont ainsi mis devant un choix impossible : se renier explicitement ou se retrouver de fait à voter les textes budgétaires proposés par Emmanuel Macron, acte politique s’il en est. Le premier quinquennat du chef de l’Etat avait commencé par une OPA sur le Parti socialiste, et après avoir été réélu par une bonne partie de l’électorat de droite, l’ancien banquier d’affaires semble décidé à parachever l’opération qu’il a cette fois lancée sur LR. « Aucune femme ne m’a jamais dragué comme ça, c’est exceptionnel », plaisante un poids lourd de la majorité sénatoriale à propos des velléités du gouvernement à l’égard des groupes LR au Parlement. Il relève d’ailleurs que la position du Sénat est tout de même plus confortable, puisque les sénateurs LR, étant majoritaires, pourront tout simplement voter le texte modifié par leurs soins, même s’ils devront finir par se positionner en commission mixte paritaire. « À l’Assemblée nationale, ils vont avoir du mal par contre », lâche-t-il, puisque le groupe devra donner – ou non – une majorité à la version telle que proposée par l’exécutif.

« Mais après, c’est à nous d’expliquer les choses, en disant que sur un point on était d’accord, mais pas sur l’ensemble », conclut ce même sénateur LR. Parce que face à la caméra, certains sont très clairs : ils ne voteront pas le budget proposé par Emmanuel Macron. « Je fais un pari : le gouvernement drague, mais il va se prendre un vent. Nous sommes dans une opposition claire, ceux qui ont voté pour nous nous ont demandé d’être dans l’opposition. On ne trahit pas cette confiance », a par exemple martelé Éric Ciotti, candidat à la présidence du parti en décembre. Son concurrent, Aurélien Pradié, ne dit pas grand-chose d’autre, malgré de nombreuses différences avec son collègue des Alpes-Maritimes : « J’ai toujours dit que j’étais dans l’opposition. J’ai des points de désaccords fondamentaux avec le gouvernement, y compris sur la réforme des retraites où j’ai une position iconoclaste. Je crois à l’effort et le travail donc vous ne m’entendrez jamais dire qu’un ouvrier qui a commencé à bosser à 18 ans va devoir finir sa carrière, cassé à 65 ans. »

Un désaccord se dessine déjà entre Assemblée et Sénat sur la réforme des retraites

Bruno Retailleau, dernier candidat du tiercé – dont on se gardera bien de donner l’ordre à ce stade – à la présidence du parti, se veut lui aussi dans une « opposition d’intérêt général », mais explique tout de même que « ce serait terrible que l’on fasse différemment aujourd’hui à cause de la situation politique. On ne fait pas en fonction de M. Macron, mais en fonction des Français. » En fait, le président du groupe LR au Sénat retourne le problème : « Cet été ce sont plutôt eux [les macronistes, ndlr] qui ont voté nos textes. Sur le passe sanitaire, ils voulaient le prolonger, on a remanié le dispositif et notre texte a été voté. » Bruno Retailleau évoque aussi le projet de loi pouvoir d’achat, où la majorité présidentielle a voté les mesures introduites par le Sénat sur la monétisation des RTT, « importante pour revenir sur les 35h », ou la carte Vitale biométrique pour « lutter contre la fraude. » Au groupe LR au Sénat, on semble refuser une « opposition de principe » qui ne serait « pas très sénatoriale », confie un historique du groupe, surtout sur des mesures que le Sénat vote tous les ans, comme le report de l’âge légal de départ à la retraite. Toutefois, on se réserve le droit de voter certains articles, tout en rejetant le budget. « Même quand on a rejeté des budgets, on a toujours voté un certain nombre de missions, et on a toujours essayé d’améliorer le contenu, de réduire la voilure. Aujourd’hui, on va tous faire en sorte d’être efficace », résume le rapporteur général du budget au Sénat, Jean-François Husson.

Côté Assemblée nationale, Olivier Marleix aussi ne voit pas de problème à voter certaines mesures tout en rejetant le budget proposé par l’exécutif : « On attache un prix à une certaine cohérence de l’action politique. Sur ce budget, c’est le niveau de déficit qui nous inquiète le plus. Tout ça ne nous paraît pas très sérieux. Fondamentalement, on est pour un effort sur les droits de succession, mais il faut savoir le financer, or M. Macron est incapable de faire des économies. On ne se laissera pas acheter par quelques idées si cela ne présente pas une cohérence d’ensemble. » Le président du groupe à l’Assemblée nationale veut croire que LR « est l’opposition qui a le plus de moyens de peser sur les textes », si les groupes parlementaires « travaillent les textes ensemble », d’où l’organisation de journées parlementaires communes. Et il va en falloir, de la coordination, parce que sur les retraites, déjà, députés et sénateurs vont devoir accorder leurs violons. « Sur le fond, on n’a pas de sujet avec le recul de l’âge », explique Olivier Marleix. Jusqu’ici tout va bien, les LR de l’Assemblée sont évidemment d’accord avec leurs collègues du Sénat. Mais l’important, ce n’est pas la chute, c’est l’atterrissage. Et sur le passage par le budget de la Sécu pour reculer l’âge légal de départ, celui-ci est plutôt rude : « On demande, pour les partenaires sociaux, le même respect que pour le Parlement. Une réforme des retraites, une fois que l’on a dit que la limite d’âge reculait, il y a encore beaucoup d’enjeux : les carrières longues, la pénibilité, la retraite des femmes… Ce n’est pas très respectueux des partenaires sociaux dans notre pays. » Sachant que les LR du Sénat votent presque rituellement cette mesure chaque année par amendement dans le budget de la Sécurité sociale, les Républicains vont effectivement avoir besoin de ces journées parlementaires pour se mettre d’accord.

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