Finances locales : une cagnotte cachée?

Finances locales : une cagnotte cachée?

Après la fuite d’une note confidentielle des services de l’Etat faisant état de perspectives « favorables » pour les budgets des collectivités, tirés par des recettes dynamiques, des sénateurs veulent battre en brèche l’idée d’une cagnotte. Selon eux, la diversité des situations et les conséquences de l’inflation incitent à la prudence.
Guillaume Jacquot

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Les argumentaires s’affûtent de part et d’autre en prévision de l’examen du projet de loi de finances 2023. Une note confidentielle des services de l’Etat, révélée par Le Parisien puis par l’AFP, dresse des perspectives « favorables » pour les finances des collectivités locales de l’année prochaine. Le document relève une dynamique des rentrées fiscales, qu’il s’agisse des rentrées de la taxe foncière ou de la fraction de TVA perçue au niveau local. Dressant des perspectives pour 2023, l’étude constate que les « recettes des collectivités locales ne donnent pas de signe d’affaiblissement ». Quant à l’année en cours, « les données comptables laissent penser que l’année 2022 s’achèvera sans difficulté. »

Le discours va à l’encontre des positions exprimées depuis l’été par les associations d’élus locaux, inquiètes des effets conjugués de l’inflation et d’une revalorisation insuffisante des dotations versées par l’Etat. C’est peu dire que ce tableau d’une santé financière meilleure que prévu n’a pas été du goût des associations qui représentent les élus locaux. « Il y a beaucoup d’intox », a dénoncé le maire de Cannes David Lisnard, président de l’AMF (Association des maires de France), dans les colonnes du Parisien.

Une communication « unilatérale », qui passe mal à l’AMF

« On est un peu déçus de cette communication qui est faite de façon unilatérale. Les chiffres de la Direction générale des Finances publiques sont toujours exacts. Le problème, c’est l’interprétation qu’on en fait », développe un conseiller de l’AMF. La note en question, dont ils ignoraient l’existence jusqu’aux révélations dans la presse, met notamment en exergue le niveau d’épargne atteint par les collectivités. Après un plongeon de 20,5 % en 2020, elle a rebondi de 35,7 % en 2021, pour atteindre 22,3 milliards d’euros, soit 2,6 milliards de plus qu’en 2019. Les collectivités sont tenues de présenter des budgets équilibrés, et les excédents de fonctionnements alimentent cette épargne. Or, pour les services de l’AMF, ce reliquat ne traduit pas nécessairement une bonne nouvelle. « Bien sûr que les collectivités feront face. Mais à quel prix ? Elles vont sacrifier l’investissement », anticipe un conseiller. Ce mouvement de précaution aurait déjà débuté, d’après des premiers retours de maires. « On anticipe pour 2022 et 2023 un niveau d’investissement bien inférieur à ce qui était prévu en début d’année. »

L’Assemblée des départements de France (ADF) se montre tout autant agacée par la note. « Les finances des départements sont relativement bonnes car il y a eu une bonne gestion, il y a quelques recettes conjoncturelles. Mais vu l’augmentation du RSA, du point d’indice de la fonction publique et la baisse des droits de mutation, on ne peut pas dire que les départements ont une très bonne santé financière, c’est faux », explique-t-on au sein de l’association.

Au Sénat, la présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités locales ne conteste pas non plus les chiffres de la note, mais s’inquiète, elle aussi, de leur utilisation. « Il y a une sorte d’incompréhension. Ce n’est pas un hasard si toutes les associations d’élus tiennent le même discours », réagit la sénatrice Françoise Gatel (Union centriste). « L’inflation, la hausse des dépenses d’énergie et le coût de la revalorisation du point d’indice [de la fonction publique] vont mettre des collectivités en très grosse difficulté, ce qui va freiner leurs investissements. Elles peuvent avoir une situation financière qui peut paraître correcte, mais qui va se dégrader très fortement », redoute la sénatrice d’Ille-et-Vilaine. L’un de ses rapports, publié en juillet, a notamment insisté sur les conséquences du surcoût de la facture énergétique pour les collectivités, estimé à 11 milliards d’euros.

« Cette épargne va être utilisée dans les mois qui viennent »

Nuancé sur cette bataille de chiffres qui s’engage entre l’Etat et les collectivités, Charles Guené (LR), l’un des rapporteurs spéciaux de la commission des finances du Sénat, tient à faire la part des choses. L’incompréhension entre les deux parties viendrait de temporalités différentes. « On pourrait dire que le gouvernement n’a peut-être pas tort sur la situation d’ensemble. Les comptes des collectivités ne sont pas mal, mais elles peuvent légitimement s’inquiéter pour la suite. Elles n’ont pas de vue pour 2023 », résume le sénateur de Haute-Marne. Ce parlementaire alerte notamment sur le caractère « artificiel » des réserves des collectivités. « Il y a des difficultés dans les appels d’offres et beaucoup n’ont pas engagé un certain nombre de travaux qui étaient programmés. Cette épargne va être utilisée dans les mois qui viennent. »

Invité également à réagir, le socialiste Claude Raynal s’interroge sur la pertinence des données de la note. « Une vision globale n’a qu’un intérêt limité », observe le président de la commission des finances, habitué à la matière complexe des collectivités locales. « C’est une façon de contrer le discours de l’AMF. Une fois que l’écume des choses retombe, il y aura à traiter le sujet au fond. Et il y a bien un sujet, c’est de permettre aux collectivités de conserver une épargne brute, capable de couvrir des investissements nouveaux. »

La note confidentielle ne fait pas abstraction des plus grandes difficultés rencontrées par certaines collectivités. Selon ses données, « moins de 500 communes » (sur un total de 35 000) sont concernées par des difficultés « en termes de tension de trésorerie ». Un ordre de grandeur que corrobore Charles Guené, en sa qualité de membre du Comité des finances locales.

Pour les collectivités les plus déstabilisées par l’augmentation des dépenses énergétiques et d’alimentation, mais également par les revalorisations des traitements de leurs fonctionnaires, un « filet de sécurité » de 430 millions d’euros a bien été adopté cet été dans le cadre d’un budget rectificatif, pour les communes et les intercommunalités. Mais il pourrait s’avérer insuffisant. « On en a discuté, il y a encore des trous dans la raquette », observe le sénateur Charles Guené. Fin septembre, le ministère chargé des Collectivités territoriales n’a pas exclu d’augmenter cette somme, en cas de besoin. « Le filet de sécurité est pour maintenant. Dans un climat incertitude pareil, les collectivités locales, qui sont le moteur de l’investissement public, ne vont pas toutes aller de l’avant », met en garde le rapporteur.

« Le sujet cest : veut-on que les services essentiels continuent d’être accessibles ? »

Bref, pour plusieurs sénateurs, le combat pour une revalorisation de la DGF (dotation globale de fonctionnement) à la hauteur de l’inflation (estimée à 5,4 % pour cette année) reste toujours d’actualité, vu le rythme de progression des dépenses. « Les dotations ne sont pas un cadeau. Les collectivités exercent des services pour le compte de l’Etat », rappelle Françoise Gatel. « On peut toujours se battre à coups de chiffres, le sujet c’est : veut-on que les services essentiels continuent d’être accessibles pour les citoyens ? Il faut qu’il y ait un amortissement, qu’on aide les collectivités à passer ce cap. »

Le président de commission des finances, Claude Raynal ne tient pas un autre discours sur cette demande des associations d’élus. « La demande d’indexation de la DGF est tout à fait raisonnable de la part des collectivités locales », insiste-t-il. D’autant plus avec la disparition d’un impôt de production pesant sur les entreprises, que l’actuel projet de loi de finances pourrait enclencher. « Il y a huit milliards d’euros pour baisser la CVAE [cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises] en deux ans, mais pas un milliard d’euros pour maintenir la DGF », fait remarquer Claude Raynal.

L’Etat, dans la note de ses services, assure que la compensation de cet impôt aux collectivités leur sera favorable, puisqu’elle suivra la trajectoire de la TVA, dont la hausse des recettes est attendue de 5,1 %. L’AMF redoute qu’elle ne soit pas compensée à hauteur des pertes, l’année de référence étant la clé de l’opération. « La CVAE 2023 va être très bonne, elle est calculée un an après. Mais en compensant sur la base des années précédentes, on va être perdants », s’offusque-t-on à l’AMF. Les débats sur le sort de cet impôt devraient constituer l’un des plus gros enjeux de la partie du projet de loi de finances dédiée aux collectivités. L’armistice sur la bataille de chiffres est loin d’être sonné.

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