Finances publiques : « La seule voie possible, c’est la maîtrise de la dépense », considère Jean Arthuis

Finances publiques : « La seule voie possible, c’est la maîtrise de la dépense », considère Jean Arthuis

Le président de la commission pour l’avenir des finances publiques, missionné par le Premier ministre, a livré ses pistes devant les sénateurs pour revoir la gouvernance budgétaire. Beaucoup de sénateurs sont restés sur leur faim et se sont demandé comment les recommandations allaient être appliquées concrètement.
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Après plus d’un an de crise sanitaire, dont on peine à voir le voir bout, et à l’approche de la présidentielle, un enjeu gagne du terrain dans le débat public : que faire de la dette héritée du covid-19 ? Le soutien à des secteurs entiers de l’économie mis à l’arrêt par les restrictions sanitaires, pour ralentir la propagation du coronavirus, s’est fait « quoiqu’il en coûte », selon les vœux d’Emmanuel Macron. Ces dépenses exceptionnelles et le manque de recettes ont fait progresser la dette à des niveaux historiques l’an dernier, elle a progressé de 300 milliards d’euros, passant d’un peu moins de 100 % du PIB à la veille de la pandémie à environ 120 % début 2021.

Comment inverser la tendance et revenir à des niveaux plus soutenables ? Missionnée en décembre par le gouvernement, la Commission pour l’avenir des finances publiques, présidée par le centriste Jean Arthuis, s’est penchée sur la question. Elle a remis son rapport le 18 mars au Premier ministre. Et Jean Arthuis a été auditionné ce 24 mars devant la commission des finances du Sénat. Une instance qu’il connaît bien, pour l’avoir présidée lorsqu’il était sénateur. Son rapport, bien que partagé dans ses grandes lignes par une majorité de sénateurs, a été accueilli sans fanfare, voire avec des points déception.

Une « nécessité d’agir », selon Jean Arthuis

Si le contexte est actuellement favorable aux banques centrales pour lever des emprunts à des taux proches de zéro, Jean Arthuis estime néanmoins qu’il y a une « nécessité d’agir », car cet environnement ne durera pas éternellement, d’autres crises devront survenir et l’Europe reviendra à un moment à des règles plus orthodoxes. Selon les prévisions du rapport, la dette publique continuerait d’augmenter pour atteindre 128 % du PIB en 2030, puis 140 % en 2040, et ce, dans un contexte de « croissance favorable » (1,5 %).

Lors de son audition, Jean Arthuis a d’abord rappelé les pistes qu’il avait écartées. Pas d’annulation de la dette – qui n’aurait « aucune conséquence sur les finances publiques » – ni de cantonnement dans une caisse dédiée, épurée par le paiement d’une nouvelle redevance. Partant du constant que le taux de prélèvements obligatoires était le plus élevé de la zone euro, l’ancien ministre des Finances refuse tout nouvel impôt. « La seule voie possible, c’est la maîtrise de la dépense », tranche-t-il.

Un cadre pluriannuel voté par le Parlement au début de chaque législature

Les recommandations de sa commission tiennent uniquement dans des modifications de la gouvernance budgétaire. Comme « boussole », Jean Arthuis défend le principe d’un cadre pluriannuel de dépenses, voté par le Parlement au début de chaque mandature. Celui-ci comporterait une trajectoire sur cinq années, fixerait « un plancher de financement », des « dépenses d’avenir », et le Parlement devrait « veiller à ce que la progression des recettes soit supérieure à la progression des dépenses », insiste Jean Arthuis. Le rapport préconise également la création d’une institution budgétaire indépendante, chargée de contrôler le respect de cette trajectoire. Une sorte de Haut Conseil des finances publiques avec davantage de moyens. La mission propose enfin de renforcer les prérogatives du Parlement dans le vote du budget, notamment en matière d’évaluation. De façon générale, les « marges de progression sont très larges », selon lui.

Même s’ils ont salué l’exercice, et rappelant qu’ils soutenaient plusieurs recommandations ; les sénateurs sont restés sur leur faim, avec des pointes de scepticisme voire de déception. Le rapport « ne donne pas vraiment d’axes de maîtrise de la dépense publique », a observé le rapporteur général du budget au Sénat, Jean-François Husson (LR), déçu également de ne trouver aucun objectif de dette ou de déficit. « On a tendance un peu à se dire : on attendait que ça soit plus alarmiste », s’est même interrogé Vincent Capo-Canellas (Union centriste). Où réduire les dépenses, plus d’un sénateur aurait aimé avoir davantage de détails. Jean Arthuis a reconnu que sa commission ne pouvait se placer qu’au « niveau de la méthode ». « Nous nous sommes abstenus de donner des indications, car ce n’était pas notre mission. Nous ne devons pas nous substituer au politique », a-t-il rappelé. Un cadre pluriannuel plus robuste aurait l’avantage, selon lui, d’éviter des coups de « rabot » inefficaces. « Mettre en œuvre une transformation radicale de la gouvernance budgétaire, c’est peut-être une façon de préserver l’avenir de l’Etat providence », a-t-il résumé.

« On attendait peut-être un peu plus de votre rapport sur les suggestions juridiques » : les sénateurs restent sur leur faim

Privilégier le long terme : la France dispose déjà de la loi de programmation (dans la recherche, pour la défense), rarement respectée. Plaider pour l’équilibre restera une volonté théorique, en l’absence de tout mécanisme contraignant. « On attendait peut-être un peu plus de votre rapport sur les suggestions juridiques », a enchaîné Jérôme Bascher (LR). Plusieurs sénateurs ont demandé s’il n’était pas temps d’introduire d’une règle d’or dans la Constitution : pas de budget sans équilibre. « Je ne vois pas comment sans ce type de dispositif, on pourrait arriver à avoir vraiment des gouvernements vertueux en matière de finances publiques », a douté le sénateur centriste Hervé Maurey.

La commission Arthuis s’est bien posé la question de l’opportunité de la règle d’or. La réponse n’a pas tardé : trop compliqué. « Nous avons pensé que pour modifier la Constitution, il faut un investissement d’énergie politique, dont on n’est jamais sûrs qu’il ira à son terme dans le sens que nous souhaitons », a répondu, un peu embêté, Jean Arthuis. Nicolas Sarkozy s’y était risqué durant la dernière année de son quinquennat, en 2011, avant de renoncer, craignant un échec de la part du Parlement réuni en congrès. De manière plus large, Jean Arthuis a estimé que le problème dépassait les frontières des enceintes parlementaires. « On peut prévoir toutes les règles constitutionnelles que l’on veut, mais s’il n’y a pas une adhésion populaire, s’il n’y a pas une révolution culturelle, s’il n’y a pas une appropriation des enjeux par les Français eux-mêmes… »

« Les retraites sont un vrai sujet »

Les sénateurs de gauche ont reproché à Jean Arthuis de se concentrer uniquement sur les dépenses. Pour le socialiste Rémi Féraud, le rapport « reste très orthodoxe en maintenant un tabou sur les recettes ». Le communiste Éric Bocquet y a vu un « climat des années 1980 », convoquant la formule Thatcherienne : « il n’y a pas d’alternative ».

La recommandation numéro 5 du rapport a également soulevé des questions au sein de la chambre représentant les collectivités locales. Il est proposé « d’étendre les contrats de Cahors », cette contractualisation financière nouée au début du quinquennat entre l’Etat et les 300 plus grandes collectivités locales. Sous peine de voir une pression sur les dotations, celles-ci doivent limiter leurs dépenses. « Est-ce que la notion de libre administration a encore du sens ? » s’est demandée la centriste Sylvie Vermeillet. « Ça a plutôt fonctionné de manière constructive, positive, pourquoi ne pas élargir ? Avec sans doute vigilance et prudence requises », a répondu Jean Arthuis.

A la fin de l’audition, le centriste a cependant nommé les gros postes de dépenses. « Il faut qu’on prenne le temps de regarder où sont les dépenses. » Tout juste l’ancien ministre a expliqué que la France était surtout « engagée » sur les transferts sociaux. « Les retraites sont un vrai sujet, et il va bien falloir que le prochain quinquennat s’en préoccupe. Et pas seulement les retraites », a laissé en suspens, Jean Arthuis, inquiet des « formes de conservatisme qui nous guettent ».

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