Fiscalité des GAFA : un projet de taxe française, faute de mieux ?

Fiscalité des GAFA : un projet de taxe française, faute de mieux ?

Bruno Le Maire a présenté son projet de taxe sur les géants du numérique en Conseil des ministres. L’initiative française, qui ne fait toujours pas l’unanimité en Europe, sera débattue au Parlement dès le printemps. Tout en approuvant le principe, certains sénateurs émettent des réserves.
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Faute d’accord au niveau européen, la France a donc pris les devants sur la fiscalité des GAFA, ces mastodontes de l’économie numérique (Google, Apple, Facebook, Amazon). La crise des gilets jaunes, avec la montée en puissance des questions de justice fiscale, a également poussé le gouvernement à accélérer le calendrier, sur une initiative symbolique. Le ministre de l’Économie Bruno Le Maire a présenté ce mercredi matin en Conseil des ministres son projet de loi instaurant une taxe sur leurs activités.

De par leur étendue internationale, ces entreprises localisent leurs bénéfices dans des États où la fiscalité est plus favorable. Résultat, leur taux d’imposition moyen n’atteint que 9%, contre 23% pour l’ensemble des entreprises des Vingt-huit, selon les données de la Commission européenne. « Toujours plus de marges, et toujours moins de taxes, c’est tout simplement impossible », a protesté Bruno Le Maire.

« Une solution imparfaite », admet le ministre de l’Économie

Dans le texte qui sera examiné en première lecture à l’Assemblée nationale début avril, puis au Sénat au mois de mai, Bercy propose un mécanisme simple, une taxe au taux unique de 3% sur le chiffre d’affaires – et non les bénéfices – des plus gros acteurs du numérique. Seront concernées les entreprises qui réalisent un chiffre d’affaires de 750 millions d’euros (sur leurs activités numériques) dans le monde, et 25 millions en France. Une trentaine de groupes devraient être touchés, pour un produit attendu proche de 500 millions euros pour les finances publiques.

Devant la presse, Bruno Le Maire a indiqué que « toutes les garanties juridiques » étaient présentes sur ce projet de loi, et qu’il s’agissait (pour l’heure) de « la seule solution disponible ». « À un moment donné, je pense qu’il vaut mieux décider sur une solution qui est imparfaite, que de s’abstenir de décider, au risque de ne jamais voir de taxation des géants du numérique », a-t-il admis, ajoutant « que la seule base taxable définissable aujourd’hui », c’était « le chiffre d’affaires ».

Pas de taxe GAFA, mais « une taxe GF »

La proposition française est très proche de la proposition de directive qui était en cours de négociation entre les ministres des Finances de l’Union européenne. En mai 2018, le Sénat avait adhéré (par la voie d’une résolution) à ce grand principe, tout en y voyant qu’une solution de court terme, à cause de certaines fragilités. « Les taxes sur le chiffre d'affaires sont rarement pertinentes d'un point de vue économique. Elles frappent indifféremment les entreprises qui font du profit et celles qui n'en font pas », écrivait dans son rapport, le sénateur (LR) Albéric de Montgolfier.

Une autre critique est faite à cette taxe : elle raterait sa cible. En effet, son périmètre concernera principalement la vente d’espaces publicitaires en ligne ciblés, mais aussi la vente de données personnelles à des annonceurs, ainsi que les plateformes qui mettent en relation vendeurs et acheteurs, les fameux « market places ». En clair, Amazon ne sera pas taxé sur ses ventes directes, mais sur les opérations des vendeurs tiers qui utilisent sa plateforme. Idem pour Apple : la marque à la pomme ne sera pas prélevée sur ses ventes de téléphones, mais sur l’App Store par exemple, où s’achète les applications mobiles. Pas question non plus de taxer les services et les abonnements à des contenus. « En d'autres termes, la taxe sur les services numériques est plus proche d'une "taxe GF" (soit Google et Facebook) que d'une "taxe GAFA" », déplorait le rapport du Sénat il y a un peu moins d’un an.

Crainte d’une double imposition pour les groupes français du numérique

Si les seuils retenus permettent de « ne pas freiner l’innovation de nos start-up », selon Bercy, la taxe GAFA imaginée par la France fait peser le risque d’une double peine sur les fleurons tricolores, craignent leurs représentants. C’est aussi ce que le Sénat avait relevé, après avoir auditionné des entreprises du secteur, qui s’acquittent, elles, d’une « juste part de l’impôt sur les sociétés ».

Interrogé sur cette question, Bruno Le Maire n’y a pas vu de faille. « Il n’y a pas de surtaxation ni de double taxation pour les entreprises qui payent leur impôt sur les sociétés en France. Le montant de la taxe [GAFA] sera déductible de l’assiette de l’impôt sur les sociétés », assure le ministre. « Mais une déductibilité en charge ne permet pas de neutraliser la double imposition », rétorquait le Sénat en 2018, préférant rendre le montant de la taxe Gafa sous forme d’une réduction d’impôt.

Quoi qu’il en soit, Bruno Le Maire considère que l’opération serait indolore. « Ce n’est pas la boulangerie du coin ! » Mieux encore, le ministre a rappelé que, conformément à l’engagement de campagne d'Emmanuel Macron, le taux de l’impôt sur les sociétés poursuivrait sa baisse pour atteindre 25% à la fin du quinquennat (contre 33,3% en 2017). « Il me semble qu’elles ne soient pas tout à fait perdantes dans cette affaire », a-t-il ajouté, un brin agacé.

« Une obole », selon le communiste Éric Bocquet

Enfin, la recette de la taxe pourrait décevoir un certain nombre de politiques, tentés de faire le parallèle entre le produit annoncé (400 millions d’euros pour 2019, puis 450 millions en 2020) et la puissance des GAFA au niveau international : 560 milliards de chiffre d’affaires en 2017 dans le monde. « C’est une obole, ce n’est pas du tout au niveau requis », réagit le sénateur communiste Éric Bocquet. L’élu, très en pointe sur les questions d’évasion fiscale, est allé paraphraser l’astronaute Neil Armstrong : « C’est un tout petit pas en matière de fiscalité, mais ce n’est certainement pas un grand pas pour l’Europe fiscale, pour la justice fiscale. »

Taxe sur les GAFA : « Une obole », selon le communiste Éric Bocquet
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Propos recueillis par Léa Dauplé

Il y a aussi le moyen terme, et la problématique d’une harmonie fiscale européenne. « Cette taxe nationale ne limite absolument pas notre volonté d’atteindre une solution internationale », insiste Bruno Le Maire, pour qui « il faut poursuivre la mobilisation européenne ». « La taxe nationale a fait bouger les lignes, elle a ouvert une voie », se félicite-t-il.

Actuellement, quatre États freinent des quatre fers face au projet de taxation : l’Irlande, où sont implantés les sièges de nombreux géants, mais aussi les trois pays nordiques que sont la Suède, le Danemark et la Finlande. Paris espère que l’Union européenne se réformera pour mettre fin au principe de l’unanimité pour les réformes fiscales, et passer au principe de la majorité qualifiée.

À un autre niveau, la France peut désormais compter sur le soutien de Washington. « Le secrétaire d’État américain, en visite à Paris, a dit publiquement que les États-Unis soutenaient l’adoption d’une taxation sur les activités digitales au niveau de l’OCDE [36 pays riches, NDLR], c’est un changement majeur », salue Bruno Le Maire. Le ministre espère qu’une position commune des Européens sera arrêtée sur le sujet la semaine prochaine, au cours du prochain conseil des ministres européens.

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