France 4, super-régulateur… Le Sénat adopte le projet de loi sur les « œuvres culturelles à l’ère numérique »

France 4, super-régulateur… Le Sénat adopte le projet de loi sur les « œuvres culturelles à l’ère numérique »

Composé d’une vingtaine d’articles, le texte passé à la moulinette de la commission de la culture acte la fusion CSA/Hadopi, introduit une amende pour lutter contre le piratage et pérennise l’existence de France 4.
Public Sénat

Par Pierre Maurer

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Les sénateurs ont donné du « muscle » à un texte jugé à l'unanimité « maigrelet », voire « petit ». Même « tout petit petit petit », s’est plu à railler le socialiste David Assouline. Ce texte reprend en partie des objectifs fixés l’année dernière, dans le projet de réforme de l’audiovisuel, dont l’examen n’a pu arriver à son terme en raison de la crise sanitaire. Pour mémoire, la transformation de l’audiovisuel public, promesse de campagne d’Emmanuel Macron, avait été lancée à l’été 2018 avec en point d’orgue la création d’une « BBC à la française », France Médias, une holding regroupant France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l’INA (Institut national de l’audiovisuel), abandonnée depuis.

Réduit mais largement amendé en commission, le texte final possède trois enjeux forts, défend la ministre de la Culture Roselyne Bachelot : le renforcement de la lutte contre le piratage, la fusion CSA/HADOPI en un super-régulateur au doux nom d’ARCOM (autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique), et la protection de l’accès au public des œuvres cinématographiques françaises. « L’ambition du gouvernement est restée intacte », a-t-elle assuré. Pour le rapporteur LR Jean-Raymond Hugonet, le contenu du projet de loi est « certes utile, mais très modeste compte tenu des enjeux que connaît le secteur des médias ». L’annonce cette semaine de la fusion de TF1 et M6 est un exemple des « grandes manœuvres » qui « confirment l’accélération des changements » dans ce secteur, a-t-il relevé. Au final et sans surprise, le Sénat a adopté à main levée le texte à 344 voix pour, LR et le centre en tête, et 0 contre. Plusieurs groupes se sont abstenus, comme RDPI (LREM), les socialistes et les communistes, faute à la fameuse « transaction pénale » (une amende de 350 euros contre les internautes pirates) instaurée par la droite sénatoriale. La ministre a quant à elle salué un projet de loi qui n’est « pas un petit texte », malgré la déception partagée par l’ensemble des élus du Palais du Luxembourg. Charge désormais aux parlementaires de trouver un accord en commission mixte paritaire.

Création d’un super-régulateur de l’audiovisuel

Le cœur du texte : la création de l’ARCOM (autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique) née de la fusion de l’actuel CSA et de l’HADOPI, une autorité avec un collège recomposé et des missions élargies, doté d’un pouvoir de contrôle et d’enquête étendu afin de mieux réguler les communications sur internet, protéger les œuvres culturelles et veiller au respect des droits d’auteur et droits voisins. L’autorité sera chargée d’élaborer une liste noire « des sites portant atteinte de manière grave et répétée au droit d’auteur et aux droits voisins ».

L’ARCOM pourra également demander, y compris aux moteurs de recherche, le blocage ou le déréférencement de sites miroirs, qui reprennent en totalité ou en grande partie les contenus d’un site condamné en justice. Son collège a été porté de 7 à 8 membres, introduisant deux magistrats. Le texte prévoit aussi un dispositif de référé à destination des détenteurs de droits de diffusion d’événements sportifs qui pourront obtenir le blocage ou le déréférencement de sites de streaming sportifs en cas « d’atteinte grave et répétée à leurs droits ».

Une amende de 350 euros pour les internautes pirates

La mesure la plus controversée est venue de la droite sénatoriale. Sur le volet de la lutte contre le piratage, les sénateurs ont adopté un amendement du rapporteur instaurant un dispositif de « transaction pénale » pour les internautes contrevenants, avec à la clé une amende de 350 euros. La ministre s’y est opposée, estimant que « le vrai problème aujourd’hui », ce sont les sites « illicites ». En outre cette mesure « toucherait surtout notre jeunesse qui connaît déjà de grandes difficultés en raison de la crise sanitaire », a-t-elle souligné. Elle a encore indiqué ne pas « souhaiter modifier l’équilibre de la réponse graduée actuelle qui promeut prévention et pédagogie. Nous ne souhaitons pas aller plus loin et sanctionner financièrement les internautes. La transaction pénale se trompe de cible », a-t-elle estimé. Sénatrice écologiste, Monique de Marco argue quant à elle d’une inégalité : « L’amende pénaliserait plus les novices en informatique que les autres ». Le communiste Jérémy Bacchi cible un « serpent de mer » de la droite sénatoriale qui lui semble « problématique ». Quant au socialiste David Assouline, il partage la volonté du gouvernement de se focaliser sur les « sites pirates ou miroirs » plutôt que sur les internautes.

Jean-Raymond Hugonet : "Il faut viser les internautes et les sociétés"
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Pour le rapporteur LR Jean-Raymond Hugonet, musicien professionnel de formation, les sénateurs ne parlent pas « d’une piraterie occasionnelle mais d’internautes déjà prévenus 3 fois. Il serait anormal qu’une violation de la loi ne soit jamais sanctionnée. Il faut viser les internautes et les sociétés. »

Droits voisins et protection des œuvres

Concernant les « droits voisins », les sénateurs ont encore adopté à l’unanimité un amendement du socialiste David Assouline prévoyant un mécanisme pour contraindre les plateformes exploitant des contenus de presse à conclure un accord global avec les éditeurs et les agences de presse.

Le texte introduit également un mécanisme de déclaration préalable auprès du ministère de la Culture six mois avant la cession d’un catalogue d’œuvres cinématographiques ou audiovisuelles. « Six mois qui permettront de vérifier que l’acheteur a bien les garanties pour assurer une recherche d’exploitation suivie » avait expliqué Roselyne Bachelot devant la commission de la culture du Sénat il y a quelques semaines.

Sauvetage de France 4

Promise à une fermeture en août, la chaîne est une rescapée de dernière minute. Mardi soir, Emmanuel Macron a fait volte-face en indiquant vouloir maintenir la chaîne. Avant cette annonce, en commission, les sénateurs avaient voulu inscrire dans la loi la nécessité qu’une des chaînes du groupe France Télévisions soit consacrée à des programmes dédiés à la jeunesse. C’est chose faite avec l’adoption de l’article 17 bis de la loi qui modifie la loi de 1986. Les sénateurs s’étaient vivement mobilisés pour le sauvetage de la chaîne.

Pour sa nouvelle mouture, le président de la République a souhaité « que France 4 poursuive sa mission autour de deux axes : jeunesse en journée, culture en soirée, pour prolonger le succès de l’expérience Culturebox », chaîne dédiée à la culture et mise en place pendant les confinements. Une nouvelle formule saluée de toutes parts au Sénat. « Nous nous réjouissons que le chef de l’Etat se soit rallié à notre proposition », a glissé Jean-Raymond Hugonet, tandis que la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, saluait « une excellente nouvelle ». Le texte doit maintenant aller à l’Assemblée nationale qui pourra revenir sur les apports du Sénat adoptés contre l’avis du gouvernement.

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