Frustration, colère, humiliation du Parlement… Le débat sur le budget de l’Agriculture écourté au Sénat

Frustration, colère, humiliation du Parlement… Le débat sur le budget de l’Agriculture écourté au Sénat

Lors de l'examen du budget de l'Agriculture, rejeté par la chambre haute, le Sénat n'a pas pu aller au bout de la discussion. Les sénatrices et sénateurs ont dû retirer tous leurs amendements pour pouvoir finir à temps. Une situation unanimement dénoncée par tous les groupes politiques.
Louis Mollier-Sabet

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« On pourrait en rire, mais ce soir, nous sommes en colère. » Une chose est sûre, personne n’avait envie de rigoler à 1h30 du matin, mercredi soir au Sénat. À l’approche de la fin des quatre heures de débat imparties au budget de l’Agriculture et de l’alimentation, les rapporteurs et le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, avaient à peine eu le temps d’expédier leurs avis sur les 76 amendements en discussion commune qui leur avaient été présentés auparavant.

Pierre Laurent, vice-président du Sénat qui présidait la séance de mercredi soir a ensuite posé l’alternative aux sénatrices et sénateurs présents : abandonner les explications de vote et voter rapidement la fournée d’amendements pour finir à temps, ou bien ouvrir une séance du samedi pour finir, alors que les sénateurs seront retournés en circonscription et que la grève des contrôleurs SNCF empêcherait la plupart de revenir.

Des conditions qui, dans tous les cas, ne permettaient pas un débat serein sur le budget de l’Agriculture, un sujet particulièrement investi par le Sénat.

« Je n’ai pas un cerveau comme ça, je vous le dis clairement, ça va être compliqué »

Le premier problème auquel se sont heurtés les sénateurs, c’est la discussion de 76 amendements « en discussion commune », alors qu’ils recouvraient des sujets aussi divers que la restauration collective, l’Office national des forêts (ONF), le protectionnisme ou la gestion de l’eau. François Bonhomme, sénateur LR qui avait ouvert le bal sur les cantines après la discussion générale, a par exemple regretté d’entendre un « début d’explication », seulement deux heures et vingt minutes après avoir présenté son amendement, au milieu d’explications de Marc Fesneau sur l’ONF ou les retenues d’eau.

Du côté de la gauche sénatoriale, même constat du sénateur socialiste Franck Montaugé : les conditions du débat ne permettent pas d’avoir un débat argumenté et construit. « Vous allez nous lister les amendements un par un et nous demander de nous prononcer. Je n‘ai pas un cerveau comme ça, je vous le dis clairement et pour se réapproprier l’amendement et prendre des positions fondées, rationnelles… sur les nôtres ça va aller, sur d’autres ça va être beaucoup plus compliqué », a regretté le sénateur du Gers.

Une organisation chaotique due au règlement du Sénat, qui oblige les amendements qui modifient les mêmes lignes budgétaires à être discutés ensemble pour que l’adoption d’un amendement ne modifie pas les équilibres budgétaires avant la discussion des autres. « Chaque système a ses avantages et ses inconvénients », a tenté de justifier Pierre Laurent, vice-président communiste du Sénat. « L’insatisfaction générale est partagée par le président de séance », a-t-il ajouté avec la retenue qui incombe à la fonction de modérateur du débat qu’il occupait.

« Il faut que ce soit le dernier budget que l’on examine comme ça, c’est une urgence démocratique »

Parce que ses collègues, et en premier lieu ses collègues du groupe communiste, n’ont, eux, pas mâché leurs mots. Cécile Cukierman, sénatrice communiste de la Loire, a dénoncé un « déni de démocratie » : « Nous ne pourrons pas justifier nos votes, ce qui est un déni de démocratie, nous avons un débat à avoir, et nous avons à rendre compte de ce que nous votons. »

Pour le sénateur communiste Fabien Gay, la scène de ce mercredi soir au Sénat, conjugué aux 49-3 à répétition dégainés à l’Assemblée nationale, montrent que l’on est « au bout du système » : « C’est l’humiliation du Parlement. On va retirer tous nos amendements, mais ce n’est pas une très belle image que l’on donne ce soir. Il faut que ce soit le dernier budget que l’on examine comme ça, c’est une urgence démocratique. Si les Françaises et les Français nous regardent, je pense qu’ils sont outrés. Chaque parlementaire, quelle que soit sa sensibilité politique, ne peut pas se satisfaire de cela. »

Du côté de la majorité sénatoriale aussi, Anne-Catherine Loisier, sénatrice centriste, a témoigné de sa « déception sur l’image que le Sénat donne ce soir. » Laurent Duplomb, sénateur LR et rapporteur de ce budget de l’Agriculture, s’est dit en phase avec la frustration exprimée par ses collègues, et a tenté d’expliquer la démarche de la commission, qui proposait de rejeter le budget et de simplement présenter des amendements en les retirant pour présenter des options au gouvernement. « Le but de ce que nous avons fait, c’est de faire entendre au ministre les positions qu’on a. Il a entendu ce qu’on avait dire, vu qu’ils feront un 49-3, on leur remettra le singe sur l’épaule et ils prendront leurs responsabilités », a précisé le sénateur de Haute-Loire.

Les sénateurs regrettent de ne pas avoir pu « envoyer un message » sur l’Office national des forêts (ONF)

Et l’un des sujets sur lequel le gouvernement devra « prendre ses responsabilités », c’est sur la situation de l’Office national des forêts (ONF). Tous les groupes politiques avaient déposé des amendements pour créer des postes au sein de cet organisme qui gère les écosystèmes forestiers, et qui joue donc un rôle important dans la prévention des incendies. À l’Assemblée nationale, le gouvernement avait consenti à une stabilisation des effectifs en renonçant aux 80 suppressions de postes initialement prévues. Marc Fesneau a défendu devant le Sénat une « prise de conscience de la nécessité de stopper l'hémorragie. » Mais sur ces 80 postes, 20 restaient à la charge de l’ONF.

Les amendements des sénateurs allaient donc d’une proposition partagée par tous les groupes, avec la création de ces 20 postes équivalents temps-plein, soit 1,1 million d’euros, à la création de 1000 postes pour revenir au niveau de 2017 (amendement écologiste), jusqu’au retour aux « 4000 agents assermentés » (amendement communiste), pour plus de 200 millions d’euros supplémentaires. Un certain consensus a minima semblait donc se dessiner, mais tous les amendements ont été retirés faute de temps. « Avec des agents de l’ONF devant les portes du Sénat depuis deux jours, ils avaient besoin d’explication, d’entendre nos arguments. On avait quand même un message à envoyer avec un amendement partagé par l’ensemble des groupes. C’était un signal assez fort que l’on pouvait envoyer », a ainsi regretté Guillaume Gontard, le président du groupe écologiste.

Sophie Primas, qui « comprend et partage la colère » face à ce débat écourté, veut tout de même voir le verre à moitié plein, en s’adressant directement aux agents de l’ONF présents en tribune : « Ne pensez pas que parce que ce soir on ne va pas pouvoir voter les crédits, qu’on ne sera pas à vos côtés. Par l’engagement de tous les groupes politiques, nous montrons notre engagement pour l’ONF, mais aussi pour les Chambres d’Agriculture ou pour la restauration collective. Le Sénat continuera à travailler sur toutes les problématiques. » Marie-Noëlle Lienemann, sénatrice Gauche Républicaine et Socialiste, rattachée au groupe communiste, regrette tout de même l’absence de position claire prise par le Sénat : « Un vote, ça n’a pas la même valeur, le message n’est pas le même. J’aurais voulu un vote du Sénat sur les créations de poste à l’ONF. » Il n’aura pas eu lieu.

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