Gérard Mestrallet, ancien patron de Suez, dénonce l’attitude « hostile » de Veolia et appelle à sortir de « l’enlisement »
L’ancien patron de Suez a fortement critiqué la stratégie d’OPA de Veolia à l’égard de son concurrent Suez. L’ancien dirigeant réaffirme au Sénat son opposition à la fusion, et craint que le blocage de la situation soit préjudiciable aux deux groupes. Il appelle à étudier les nouvelles solutions mises sur la table.

Gérard Mestrallet, ancien patron de Suez, dénonce l’attitude « hostile » de Veolia et appelle à sortir de « l’enlisement »

L’ancien patron de Suez a fortement critiqué la stratégie d’OPA de Veolia à l’égard de son concurrent Suez. L’ancien dirigeant réaffirme au Sénat son opposition à la fusion, et craint que le blocage de la situation soit préjudiciable aux deux groupes. Il appelle à étudier les nouvelles solutions mises sur la table.
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Jusqu’à cet automne, il s’était abstenu de tout commentaire en public sur l’un des dossiers économiques les plus controversés du moment : les convoitises de Veolia, numéro deux français de la distribution d’eau, sur son concurrent Suez, premier dans le même secteur. Après être sorti du silence en septembre, au détour d’une tribune dénonçant l’OPA de Veolia sur Suez, l’ancien PDG du groupe Engie (ex-GDF Suez) et ancien président du conseil d’administration de Suez, Gérard Mestrallet, était auditionné au Sénat ce 20 janvier. Face aux commissions des affaires économiques et de l’aménagement du territoire, le chef d’entreprise n’a pas dévié d’un iota, et a réaffirmé son opposition très nette au projet de fusion entre les deux groupes, et il a appelé à la recherche d’une solution, dans un dossier qui s’est « enlisé », selon lui.

A en juger par le feu des questions sénatoriales, les craintes sur ce projet de fusion acquisition sont vives. Les parlementaires se sont interrogés sur la stratégie réelle de Veolia, et ont exprimé leurs préoccupations sur les conséquences pour Suez de cette absorption, mais aussi pour les collectivités locales, dans le cadre de la gestion de l'eau et des déchets. « Il me semble qu’il n’y a pas de projet industriel de la part de Veolia, moi je n’en ai pas vu », s’est ainsi indigné le sénateur Alain Cadec (membre du groupe LR).

« Un plus un sera loin de faire deux »

Une première étape s’est traduite en octobre par le rachat de 29,9 % du capital de Suez par Veolia, parts qui étaient détenues par Engie. Depuis, Veolia a échoué dans son ambition de prendre le contrôle de la totalité de son concurrent historique, dans le but de faire naître un « champion mondial de la transformation écologique ». Sur le fond, Gérard Mestrallet peine à comprendre la logique à l’œuvre, rappelant que la taille de chacun des deux groupes n’était « pas trop petite ». « La France a déjà deux champions, deux leaders mondiaux de l’environnement », a-t-il rappelé. « Un plus un sera loin de faire deux ».

Des fusions, l’ancien capitaine d’industrie en a connu six dans sa carrière. Et pour que ces dernières fonctionnent, Gérard Mestrallet a peu de doutes : celles-ci doivent être « amicales », bien préparées et abordées dans un niveau de détail suffisant. « L’approche de Veolia est hostile », reproche-t-il.

Gérard Mestrallet estime que l’accroissement de la dette de Veolia fragilisera les activités de Suez

Pire, l’ancien dirigeant juge que l’opération ne se fera pas sans conséquences fâcheuses. C’est « une équation mathématique assez imparable », selon lui. Veolia est endetté à hauteur de 12 milliards d’euros. L’OPA (sur la base de 18 euros par action) lui coûtera dix milliards d’euros. Auxquels il faudra ajouter la dette de Suez, de 10 milliards d’euros également. « Passer de 12 à 32, ce n’est pas supportable. La seule façon de rembourser la dette d’achat, c’est de vendre les actifs. Le résultat de cette opération – peut-être est-ce le but non avoué – si elle se fait : Veolia aura détruit, après tant de tentatives qui ont toutes échoué, son grand concurrent. »

Pour des questions de concurrence, la branche historique de l’eau en France devra être cédée. Veolia prévoit de se tourner vers le fonds Meridiam. Un signal qui effraie Gérard Mestrallet. « On aura perdu cette phase d’expansion de l’école française de l’eau dans le monde. » « On aura un grand acteur international qui sera écrasé de dettes. Il ne pourra plus investir massivement, il sera lui-même contraint de désinvestir. »

Sur ces activités où le « capital humain » est important, l’ancien PDG de GDF-Suez doute fortement qu’une éventuelle fusion ne se fasse sans casse sociale. « Comment dans les activités de services, peut-on réaliser 500 millions de synergies sans toucher à l’emploi ? », s’est-il interrogé.

Offre d’Ardian : Gérard Mestrallet appelle Veolia à saisir « cette main tendue »

La situation a évolué le 17 janvier. Suez a annoncé avoir reçu une offre du fonds Ardian avec le fonds américain GIP. Elle propose à Veolia de lui racheter sa participation dans Suez, ce que Veolia a refusé. Devant les sénateurs, Gérard Mestrallet a invité Antoine Frérot, le PDG de Veolia, à « saisir » cette « main tendue ». « L’intention me semble positive […] L’objectif c’est de garantir l’indépendance et non le démantèlement de Suez. » L’ancien PDG de GDF-Suez estime que la question du rachat des 30 % du capital de Suez, acquis par Veolia, ne doit pas devenir un point de blocage. « Si on veut deux grands groupes français, il n’est pas pensable que l’un des deux soit actionnaire à 30 % de l’autre. Il faudra dénouer cette situation », selon lui. Et cela peut se faire par des échanges d’actifs.

Pour Gérard Mestrallet, il y a désormais urgence à régler le problème, en faisant émerger une troisième voie. « Le processus voulu par Veolia, une blitzkrieg rapide, s’est enlisé. Aujourd’hui, ça ne marche pas […] Je souhaite sincèrement qu’ils trouvent un accord pour sortir de l’enlisement ». Ajoutant : « Ce n’est pas raisonnable de bloquer deux entreprises dans un contexte de crise économique ».

Car plusieurs procédures contrecarrent les projets de Veolia. Le groupe ne fait valoir pour l’instant ses droits de vote après l’acquisition de ses nouvelles parts dans Suez, le temps de respecter certaines obligations légales. Le dossier étant aux mains des autorités de la concurrence, le dossier pourra prendre des mois. « L’idée que ça dure 18 mois ou deux ans n’est pas raisonnable pour ces entreprises de cette taille, compte tenu des enjeux. » Et la crise sanitaire et économique sans précédent.

« L’Etat a été battu »

Gérard Mestrallet s’est par ailleurs « réjoui » de la prise de position d’Eric Lombard la veille. Dans Les Echos, le patron de la Caisse des Dépôts, actionnaire à hauteur de 6 % de Veolia, s’était déclaré « prêt » à soutenir une « solution négociée » dans le dossier Suez, afin de « consolider deux grands groupes ».

Interrogé à de multiples reprises sur le rôle de l’Etat, qui s’est retrouvé dépassé par les évènements dans ce dossier, l’ancien dirigeant n’a pas pu fournir d’explication, estimant qu’il revenait aux sénateurs de se tourner vers les ministres. « L’Etat a été battu, c’est étonnant sur un sujet de cette importance », a-t-il simplement fait remarquer.

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