Gestion de l’épidémie Covid-19 : « Il faut changer de paradigme » affirme Jean Rottner

Gestion de l’épidémie Covid-19 : « Il faut changer de paradigme » affirme Jean Rottner

Entendu par la commission d'enquête du Sénat, le président de la région Grand Est, territoire particulièrement touché par l’épidémie de Covid-19, appelle à des « changements » structurels de l’administration et plaide pour la décentralisation. 
Public Sénat

Par Chloé Rouveyrolles

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Le président de région LR qui avait souvent été invité dans les médias au plus fort de la crise sanitaire, était auditionné en visioconférence par la commission d'enquête sur la gestion de la crise du Covid-19. Il a demandé un « changement de paradigme » pour faire face à la « crise sanitaire. » Son témoignage -nourri par son passé de médecin urgentiste- a été salué par les sénateurs qui l’ont remercié pour ce partage « émouvant », « plein d’humanité », et « humble. » L’élu a parlé de son territoire qui a aujourd’hui besoin « d’espérance », et a livré plusieurs anecdotes personnelles.

Jean Rottner s’était déjà exprimé devant Sénat, le 30 avril. Face à la délégation aux collectivités territoriales, il avait critiqué l’Agence régionale de Santé (ARS) du Grand Est en pointant sa déconnexion du terrain et son manque de réactivité face à l’urgence de l’épidémie de Covid-19 sur son territoire.

 

« Des lourdeurs et des complications » côté ARS

 

Ce mercredi soir, le président de la région a enfoncé le clou : « J’ai eu parfois des paroles assez sévères sur l’ARS, considérant que l’ARS était avant tout d’une agence de gestion budgétaire et pas d’organisation et de gestion de crise… Je maintiens ces propos. » Le directeur de l’Agence régionale de Santé du Grand-Est, Christophe Lannelongue -qui sera entendu par la même commission ce jeudi- a été démis de ses fonctions en Conseil des ministres début avril. Si Jean Rottner a évoqué des « gens extrêmement compétents » au sein de la structure, il a regretté une méconnaissance du terrain.

Interrogé sur les « tatillonneries administratives » auxquelles il a été confronté lors de sa gestion de crise, il a évoqué des « lourdeurs » et a illustré son propos par des  exemples concrets concernant les tests sérologiques réalisés dans sa région mais non reconnus, ou encore les hélicoptères mis à disposition par l’Armée pour les transferts de patients, dont l’utilisation était conditionnée à des « régulations nationales » et à « l’accord d’un médecin de l’ARS. »

« Ce sont des détails, mais qui, sur le moment, sont compliqués », a-t-il résumé. « Ca fait beaucoup de lourdeurs, c’est plus possible, je suis désolé, ce n’est pas un pays moderne, ce n’est pas un pays agile, en capacité de répondre aux attentes de nos concitoyens », a-t-il scandé.

Le président de région a aussi mentionné un projet de l’Institut de chirurgie guidée par l’image (IHU) de Strasbourg qui permet « de détecter des réactivations possibles d’une épidémie », « un outil assez innovant » pour « une meilleure connaissance épidémiologique. » Il a regretté devoir « batailler » pour pouvoir le « mettre à disposition du pays » et a sollicité l’aide des sénateurs.

Au cœur de la réorganisation territoriale qu’il défend, les élus doivent jouer de plus de responsabilités, notamment au sein des ARS : « Le président de l’ARS doit être un élu du territoire qui connaît ces territoires. » Plus tard, il a suggéré que ce soit « le président du conseil régional. »

"Le président de l'ARS doit être un élu" selon Jean Rottner
04:43

 

Le sénateur de la Marne René-Paul Savary (LR) a encouragé cette « réflexion sur une régionalisation de la santé » en affirmant : « Il y a effectivement une administration assez lourde en France qui parfois met plus le grain sable que la goutte d’huile. »

 

« Vive la décentralisation! »

 

À plusieurs reprises, Jean Rottner a défendu son bilan. Il a expliqué que la situation dans le Grand Est s’était dégradée « en quelques heures » évoquant une « course-poursuite sanitaire » dès le 7 mars à la suite d'une « explosion de cas » provoquant un effet de « rouleau compresseur viral. »  D’après lui, les « défauts d’organisation » ont émergé dès ce moment là: il manquait notamment du matériel de protection pour les soignants de ville.

Mais immédiatement après, Jean Rottner parle de « solidarité » en mentionnant des villes comme Reims, Saint-Dizier ou Thionville qui ont pris en charge une partie des patients extérieurs, notamment ceux de Mulhouse. « Le fait régional a pris toute sa réalité », affirme-t-il. Selon lui, les élus régionaux et locaux doivent saisir ces « responsabilités » et l’État doit leur faire « confiance » car ils « sont capables d’anticiper, d’accompagner, de prendre des décisions adéquates, de décompter. »

« On a des compétences en régions, et elles sont freinées parce que tel et tel ne donnent pas d’autorisation », a-t-il décrit. « Il faut que les territoires soient responsables, qu’ils ne demandent pas tout à l’État », a-t-il déclaré avant de conclure plus tard par un vif « vive la décentralisation ! »

Associer ces élus aux prises de décision dans le domaine de la santé est un « aménagement du territoire aujourd’hui crucial » pour Jean Rottner qui cite la santé parmi les quatre critères passés en revue par les Français pour s’installer quelque part (avec « le très haut débit, les mobilités, la formation »).

 

« Pilote unique »

 

Plus globalement, le président de région a défendu un autre modèle de gestion des crises sanitaires, semblant reprocher une trop grande place accordée à « la Santé. ». « Il eût été peut-être préférable qu’il y ait une coordination de l’Intérieur, y compris sur le terrain, en région, sous la responsabilité du préfet zonal », a-t-il affirmé. Le préfet de zone de défense a, selon Jean Rottner, « une vraie expérience du ministère de l’Intérieur », il pourrait être le « pilote unique » de gestion de crise. « Il faut un patron, il faut de la verticalité dans une crise », a-t-il insisté.

 

Des transferts nécessaires

Interrogé par la sénatrice socialiste de Paris Marie-Pierre de La Gontrie sur les transferts de patients par TGV dans d'autres régions le président du Grand Est a estimé que les capacités en réanimation de sa région « étaient dépassées » et qu’ils étaient donc « utiles » et ont représenté, à tout le moins, une « respiration » pour les soignants, au même titre que l'hôpital de campagne et les renforts venus d’autres régions françaises.

Il a fustigé au passage un rapport de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF) sur la gestion de l’épidémie de coronavirus destiné au ministre de l’Intérieur, qui estime que les transferts de patients dans des TGV médicalisés ont été une opération de communication. Pour lui, ce rapport est « injuste. »

 

Diplomatie de proximité

 

Jean Rottner a été très positif sur les échanges avec les pays voisins de sa région. Rappelant que sa région est dans une « expérimentation de diplomatie de proximité », il évoque des appels passés à ses homologues allemands dès le 11 mars, lesquels se disent prêts à « aider en cas de besoin. » 

Jean Rottner a parlé de transferts de patients « extrêmement fructueux » jusqu’en Autriche et s’est dit satisfait de la coordination entre les acteurs locaux et les membres du gouvernement. « Une des leçons de la crise c’est qu’il faut pouvoir se faire soigner des deux côtés de la frontière », a ajouté le président de région frontalière de l’Allemagne.

 

« Bon courage pour cette enquête »

 

Le président de région a aussi indiqué des recommandations pour une augmentation des moyens des services de santé des armées, la nécessité de pousser l’Assurance maladie à développer la téléconsultation, ou encore la revalorisation des salaires des infirmières spécialisées. Si en préambule de son témoignage, Jean Rottner avait insisté sur le caractère « utile et indispensable » du travail de la commission, il a terminé en souhaitant aux sénateurs « bon courage pour cette enquête. » Selon lui, le centre hospitalier de Mulhouse n’est, depuis le 1er juillet, plus en « plan blanc » (un dispositif d’urgence qui permet par exemple d’interdire les visites aux patients, ou de repousser des opérations), mais la reprise « met du temps et coûte de l’argent. » 

Jeudi, trois auditions sont prévues pour la même commission au Sénat: Josiane Chevalier, préfète de la région Grand Est, Brigitte Klinkert, l’ancienne présidente du conseil départemental du Haut-Rhin devenue ministre de l’insertion du gouvernement Castex, et Christophe Lannelongue, ancien directeur de l'ARS Grand-Est.

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