Gestion de l’épidémie de Covid-19 : des pistes pour la gouvernance de crise

Gestion de l’épidémie de Covid-19 : des pistes pour la gouvernance de crise

De nouvelles auditions par la commission d'enquête du Sénat sur la gestion de l'épidémie font émerger des pistes de réflexion sur le pilotage des crises par les collectivités locales et reviennent sur l'efficacité des dispositifs mis en place dans la région Grand Est.
Public Sénat

Par Chloé Rouveyrolles

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Publié le

« C’est en proximité qu’on gère les crises », a déclaré Josiane Chevalier, préfète de zone du Grand Est lors de son audition jeudi par la commission d'enquête sur la gestion de la crise du Covid-19, « personne n’a revendiqué son statut, tout le monde s’est fédéré et c’est comme ça qu’on doit faire. »

Elle témoigne aux côtés de Brigitte Klinkert, l’ancienne présidente du conseil départemental du Haut-Rhin, devenue ministre de l’insertion du gouvernement Castex, et de Christophe Lannelongue, ancien directeur de l’Agence nationale de Santé (ARS) du Grand Est, au lendemain de l’audition du médiatique président de région, l’élu LR Jean Rottner.

Comme lui, ils ont plaidé pour des changements structurels dans la prise de décision face à des crises.

Christophe Lannelongue a été démis de ses fonctions en Conseil des ministres début avril, son témoignage était donc très attendu car il a contesté son limogeage en déposant un recours devant le Conseil d’État.

Bilan positif

Les trois responsables ont dressé un bilan plutôt positif de leur gestion de l’épidémie dans le Grand Est. « On ne se posait plus la question de savoir qui fait quoi, on faisait », se souvient Brigitte Klinkert, « on était là pour sauver des vies. »

Josiane Chevalier, qui a pris sa triple casquette de préfète de la région Grand Est, préfète de la Zone de Défense et de Sécurité Est et enfin préfète du Bas-Rhin moins d’un mois avant le début de l’épidémie, a dit que les préfets avaient « mutualisé » certaines fonctions.

Il s’agissait aussi de se défendre. Josiane Chevalier a mis à disposition des sénateurs un document sur le rôle des sapeurs-pompiers dans la réponse à la crise sanitaire sur son territoire qui pourrait contrer un rapport de leur fédération, destiné au ministre de l’Intérieur, qui estime notamment que les transferts de patients dans des TGV médicalisés ont été une opération de communication.

De son côté, Christophe Lannelongue a aussi justifié les transferts par des prévisions de l’Institut Pasteur sur les besoins en réanimation de la région. Il les a défendus comme des dispositifs conditionnés à des décisions de médecins et a regretté l’interférence d’autres autorités. Il a notamment raconté que, sur avis médical, la région avait soutenu le transfert de cinq patients de l’hôpital de Metz, mais que l’évacuation avait été annulée à la dernière minute sur ordre du ministère de la Santé. L’évènement a suscité chez lui et ses équipes, une « énorme émotion. »

Face aux critiques de mauvaises collaborations entre structures de santé publiques et privées, l’ancien directeur de l’ARS a ajouté ne pas comprendre « ce qui est dit sur l’intervention des cliniques privées dans le Grand Est, parce qu’elle a été exemplaire, dès le 23 mars, on avait 172 lits de réanimation opérationnels dans le privé (…) début avril tous les lits de réanimation du privé étaient saturés. »

Plaidoyer pour la proximité

Le Grand Est a été particulièrement touchée par l’épidémie de Covid-19, et ce, très tôt dès le début du mois de mars. « Cette crise n’est pas terminée », a jugé Josiane Chevalier, quand Christophe Lannelongue rappelait que l’épidémie a « occasionné énormément de souffrance dans la région. »

Selon lui, les relations entre le gouvernement et les acteurs locaux n’ont pas toujours été simples. Christophe Lannelongue reconnaît « un pilotage fort du niveau central » mais déplore « une difficulté à faire confiance au niveau déconcentré, la difficulté à comprendre que notre situation est difficile. » Il aurait souhaité « un pilotage national plus attentif, plus réactif, moins uniforme, moins sourd, moins aveugle. » Ces propos semblaient faire écho à l’analyse du président de région entendu par le Sénat la veille. « Nous étions les mieux à même de comprendre nos difficultés », a-t-il assené une dernière fois.

L’ancien directeur de l’ARS a choisi l’exemple des recueils de statistiques pour démontrer la nécessité de laisser les coudées franches aux régions. Le système mis en place à l’échelle nationale était selon lui « rigide » et « les préfets s’en sont plaints » car il gênait pour « faire des enquêtes de terrain. » Selon lui, les structures régionales devaient continuer à faire leur propre décompte des cas de patients hospitalisés, les malades dans les EHPAD ou des décès.

Le haut fonctionnaire s’exprimait aussi dans l’esprit du projet de loi « 3D » (décentralisation, différenciation et déconcentration) qui veut révolutionner les relations entre les collectivités et l’État et qui est porté par la ministre de la Cohésion des territoires Jacqueline Gourault.

Comme le président de la région l’avait fait la veille, la préfète du Grand Est a expliqué que la « préfecture de zone [était] le niveau pertinent pour allouer les moyens en crise » en ajoutant que c’était particulièrement visible pour les « évacuations sanitaires » -une problématique à laquelle certaines de ses équipes sont formées.

« D’emblée, il faudrait admettre que tout ce qui est logistique et transports, c’est le niveau des moyens de gestion de crise, et donc du niveau de la zone de défense », a-t-elle résumé.

Brigitte Klinkert a apporté de la nuance en disant que l’échelle de décision la plus pertinente pour gérer une crise « en fonction des territoires » et « des personnalités. »

Josiane Chevalier a plus globalement mis en question l’efficacité des agences nationales « pas toujours aussi intégrées à nos communautés de travail. »

 « Moi je trouve que l’action publique, pour être efficace, il faut changer un peu les logiciels, il faut casser, y compris les cloisonnements (…) et travailler tous ensemble sur une mission », a-t-elle posé en reconnaissant avoir « eu des difficultés » avec l’ARS.

Covid-19: "Nous n'étions pas préparés" affirme Christophe Lannelongue
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Critique de l’ARS

L’ancien directeur de l’ARS a répondu aux critiques à l’encontre de la structure en insistant à maintes reprises sur les « efforts extraordinaires » fournis par ses équipes tout en reconnaissant que les résultats n’avaient pas été à la hauteur des attentes.

 « Nous n’étions pas préparés », a-t-il concédé. Le haut fonctionnaire a expliqué que le Grand Est « n’était pas en mesure » d’appliquer les préconisations de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). « Avec des dizaines de milliers de personnes contaminées » et « sans test par jour », Christophe Lannelongue juge qu’il « manquait des leviers. »

Comme Josiane Chevalier, il identifie une inadéquation entre le fonctionnement de l’ARS et les missions qui lui ont été confiées pendant la crise. Par exemple, si son agence pouvait créer « une doctrine d’emploi des masques et une doctrine d’application » en évaluant combien de masques devaient être distribués à quels professionnels, ses équipes ne sont pas « des gestionnaires logistiques » capables de « sécuriser un stock » de masques.

« Assurer le transport entre stock et bénéficiaires », opérer « des milliers de points de distribution », ce n’est « pas le rôle de l’ARS. »

Là encore, la préfète de la région Grand Est confirme : « les ARS ne sont pas faites pour ces métiers logistiques et je pense qu’il ne fallait pas confier la gestion des masques à l’ARS, la preuve c’est qu’après on est venu en appui parce qu’on a vu que ça n’allait pas et ce n’est pas du tout une critique pour les équipes de l’ARS qui ont été remarquables. »

Brigitte Klinkert expliquera elle aussi aux sénateurs que : « les ARS ont beaucoup de qualités mais ne sont pas formées à l’opérationnel. »

Leçons tirées

Christophe Lannelongue a défendu une complémentarité entre le préfet et le directeur de l’ARS, ainsi que « sa déclinaison départementale. »

Côté « innovation », il a évoqué la formation rapide d’infirmiers aux gestes de réanimation, et « l’urgence de décloisonner entre le sanitaire et le médico-social » en créant notamment « une filière gérontologique de proximité » qui remplacerait les EHPAD.

Il a surtout souhaité insister sur « l’anticipation » en expliquant que des acteurs locaux ont été sollicités par l’ARS et qu’il faudrait « formaliser davantage ces partenariats » pour les remettre en place rapidement en cas de nouvelles épidémies. En général, selon lui, « Il faut renforcer les capacités d’action des acteurs de terrain » en leur accordant plus de confiance.

Josiane Chevalier a la même recommandation : « Il faut formaliser, tirer parti de tout ce qui a été fait pour la crise. » Elle a annoncé que « les indicateurs de suivi sont en place » et que la capacité de tests de dépistage dans son département du Bas-Rhin était conséquente.

Elle a noté que quand le pilotage national était assuré par une direction interministérielle, notamment avec le ministère de l’Intérieur, les échanges étaient plus simples que lorsque la gestion de la crise était purement « sanitaire. »

De son côté, Brigitte Klinkert, qui a beaucoup œuvré aux échanges entre la France et ses partenaires allemands a appelé à une « harmonisation » de la coopération avec le pays voisin. Elle a aussi déclaré qu’en cas de deuxième vague, il serait bénéfique « de plus raisonner par territoires. »

A suivre

« Je le disais tout à l’heure en boutade, mais ce que vous nous dites, ça fout quand même les jetons », a commenté Annie Guillemot, sénatrice (GSR) du Rhône. Brigitte Klinkert avait avoué avoir « des frissons » en parlant du confinement dans le Haut-Rhin.

Covid-19: "Dans le Haut-Rhin, avec le confinement on se sentait en sécurité" affirme Brigitte KlinKert
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Josiane Chevalier a assuré suivre la situation de près même si elle a aussi reconnu ne pas avoir de chiffres à fournir sur les personnes utilisant l’application StopCovid en réponse à une question du sénateur LR Jean-François Rapin des Hauts-de-France.

Les acteurs du Grand Est doivent fournir des documents écrits à la commission d’enquête du Sénat. Alain Milon, sénateur LR du Vaucluse, qui préside la commission des affaires sociales et avait soumis un rapport pour la création de cette commission d’enquête sur la gestion de l’épidémie avait déclaré il y a quelques semaines : « Quelles que soient les conclusions à venir de cette commission d’enquête, la confiance des Français dans la parole publique et les recommandations des autorités sanitaires est à reconstruire. »

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