Gestion des déchets nucléaires : les parlementaires épinglent le manque de coopération de l’exécutif
Un rapport de L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques reproche au gouvernement de ne pas avoir transmis aux deux chambres son Plan national de gestion des matériaux et déchets radioactifs pour la période 2021-2025. De quoi freiner la mission de contrôle du Parlement, à l’heure où la relance de la filière nucléaire replace la question des déchets au premier plan.

Gestion des déchets nucléaires : les parlementaires épinglent le manque de coopération de l’exécutif

Un rapport de L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques reproche au gouvernement de ne pas avoir transmis aux deux chambres son Plan national de gestion des matériaux et déchets radioactifs pour la période 2021-2025. De quoi freiner la mission de contrôle du Parlement, à l’heure où la relance de la filière nucléaire replace la question des déchets au premier plan.
Romain David

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Tout cinéphile amateur de science-fiction se souvient, dans le premier volet de la trilogie Matrix, de la cuillère « qui n’existe pas » que Keanu Reeves, alias Neo, tente de tordre par la force de l’esprit. Au Parlement, c’est le Plan national de gestion des matériaux et déchets radioactifs (PNGMDR) - moins cinégénique mais autrement plus crucial - qui n’existe pas. Du moins, pas officiellement. Les sénateurs et députés sont pourtant tenus de rendre un avis sur ce document qui traite du sort que la France réserve à ses déchets nucléaires, document qui n’a jamais été porté à leur connaissance. Comment en arrive-t-on là ? L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), un organisme composé de 18 sénateurs et 18 députés, et chargé d’éclairer les travaux parlementaires en matière scientifique et technologique, a pourtant présenté jeudi son rapport sur la cinquième édition de ce fameux PNGMDR, cru 2021-2025. Un sujet pour le moins brûlant - si l’on peut dire - à l’heure où la France entend relancer son industrie nucléaire pour répondre au double défi de la transition et de l’autonomie énergétique.

Le problème, c’est que le plan en question n’a jamais été soumis aux élus par le gouvernement. « La loi précise bien qu’il doit être transmis aux deux assemblées, pour permettre au Parlement d’exercer son activité de contrôle, et ça n’a pas été le cas malgré nos demandes », indique à Public Sénat le rapporteur LR Bruno Sido.

Alors que la législature approche de son terme, les élus ont tout de même tenu à rendre un avis, sur la base d’un projet de planification « qui circule de manière officieuse », mais qui n’est pas un document officiel. « On ne sait pas s’il y aura des modifications ou non avec le document final », précise le sénateur Sido. La première partie du rapport consacre d’ailleurs sept pages à épingler ce « non-respect du calendrier institutionnel, preuve d’une défaillance démocratique grave », selon les élus, et précise les démarches entreprises par Bruno Sido et sa corapporteure, la députée ex-LREM Émilie Cariou, pour tenter d’y pallier. Mais comment expliquer un tel décalage du côté de l’exécutif, alors que le plan en question devrait déjà être entré en application depuis un an ? « Au fond, le sujet des déchets nucléaires, c’est un peu la patate chaude qu’on se refile d’une mandature à l’autre. Surtout avec Cigéo, ce projet d’enfouissement des déchets de haute et moyenne activité à vie longue, à la limite de la Meuse et de la Haute-Marne. Et pourtant, quel que soit le futur gouvernement, il va bien falloir s’en saisir à bras-le-corps. »

Une question « aiguë et pressante »

Car le rapport de l’Opecst, que s’est procuré Public Sénat, souligne le regain d’intérêt pour la question du nucléaire. « Alors que l’Accord de Paris sur le climat a scellé en 2015 les engagements des États du monde entier à réduire leurs émissions de dioxyde de carbone, l’énergie nucléaire est désormais présentée par certains, au vu de l’urgence climatique, comme une solution, au moins temporaire, en tant qu’énergie de transition », lit-on en introduction. « La question de l’élimination des déchets issus de cette industrie se pose donc de manière aiguë et pressante », alors que les complexes construits dans les années 1970 et 1980 arrivent au terme de leur durée de vie initiale. « La prolongation de la durée de vie de certaines centrales ne fait que reculer d’une décennie ou un peu plus leur démantèlement. »

À cela s’ajoute la pression de la Commission européenne qui a accepté, début février, de classer l’énergie nucléaire dans la catégorie des énergies pouvant bénéficier de conditions favorables d’investissement dans le cadre de la transition verte, à condition toutefois que ses promoteurs démontrent qu’ils auront réglé d’ici 2050 la question de l’élimination des déchets.

Vers le réemploi de certains déchets de « très faible activité »

Le document sur lequel ont travaillé les parlementaires ne marque pas de rupture dans les choix traditionnellement opérés en matière de gestion des matériaux et déchets radioactifs. L’enfouissement reste la règle, à faible ou à forte profondeur, selon le degré de radioactivité. Toutefois, une évolution sensible est à noter concernant les déchets dits « de très faible activité ». En France, la loi indique que « tout matériau issu du démantèlement d’une installation nucléaire est considéré comme un déchet radioactif », rappelle le rapport, et ce quel que soit son niveau de radiation. « Si bien que même le cendrier posé sur le bureau du directeur d’une centrale est considéré comme radioactif, alors que le granit breton émet naturellement bien plus de radiations », relève le rapporteur. La prise en compte de la radioactivité effective de ces déchets dans le PNGMDR 2021-2025 ouvre la voie à une forme de recyclage, notamment en ce qui concerne la ferraille. « Nous n’aurons plus à dépenser des mille et des cents pour enfouir ce métal, que l’on pourra refondre, traiter et remettre dans le circuit de consommation de l’acier », salue Bruno Sido. Il rappelle que cette revalorisation des métaux hors de la filière nucléaire est déjà pratiquée par les Allemands, qui ont entamé le démantèlement de leur parc nucléaire au lendemain de la catastrophe de Fukushima.

Les déchets de très faible activité représentent actuellement un tiers des 1 700 000 m3 de déchets radioactifs accumulés sur le territoire français, mais seulement 0,0001 % des radiations émises.

Une trop grande opacité sur les déchets issus du nucléaire militaire

Les rapporteurs alertent sur « un angle mort » du contrôle parlementaire, à savoir les déchets issus du nucléaire militaire. « Il est extrêmement difficile d’avoir des informations sur ça, en raison du secret-défense. Ces déchets sont bien portés à l’inventaire de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), mais ils ne sont pas officiellement identifiés. En clair, seul un spécialiste serait en mesure de déterminer leur provenance », explique Bruno Sido. On parle là du combustible du porte-avions Charles de Gaulle, de celui des sous-marins à propulsion nucléaire, ou encore du plutonium des ogives qui sont démantelées à mesure que l’arsenal nucléaire est renouvelé. Selon l’élu, rien n’indique que ce matériel soit plus dangereux que les déchets issus des activités civiles, en termes de volume il représente environ 230 m3 de déchets de haute activité. Mais l’opacité qui l’entoure interroge sur les conditions de sa dépose et de son acheminement vers les lieux de stockage définitif.

>> Lire aussi : L’enfouissement des déchets nucléaires à Bure : un sujet toujours inflammable

Impliquer la société civile dans la prise de décisions

Les parlementaires saluent également la volonté du projet de PNGMDR de renforcer la participation de la société civile à la gouvernance de la gestion des matières et des déchets radioactifs, et ainsi de rompre avec un pilotage exclusivement technocratique. La consultation organisée en 2019, précisément autour de l’évolution du cadre réglementaire des déchets de très faible activité, est citée comme exemple. Ce type de démarche apparaît essentielle à Bruno Sido pour aider à relancer la filière. « Pendant des années, le nucléaire s’est bien développé en France parce qu’il y avait un consensus. Et puis il y a eu Tchernobyl, Fukushima et d’autres accidents qui ont progressivement entamé la confiance des Français, corrélés à un certain attrait pour le gaz et les énergies renouvelables », analyse l’élu de la Haute-Marne. « Aujourd’hui, il faut de nouveau expliquer, être le plus transparent possible, ne pas se ménager en assemblées consultatives et autres commissions de consensus. Elles ne coûtent pas cher et peuvent rapporter gros ! »

 

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