Gilets jaunes : comment se prépare dans l’urgence l’adoption des mesures Macron

Gilets jaunes : comment se prépare dans l’urgence l’adoption des mesures Macron

Pour adopter avant la fin de l’année les mesures de pouvoir d’achat annoncées par Emmanuel Macron, gouvernement, Sénat et Assemblée discutent étroitement en amont. Une recherche de compromis qui impose aux députés et sénateurs une vitesse d’examen hors norme. Certains dénoncent un « Parlement potiche ».
Public Sénat

Temps de lecture :

7 min

Publié le

Mis à jour le

De mémoire de sénateur, « c’est du jamais vu ». Le projet de loi reprenant les réponses d’Emmanuel Macron aux gilets jaunes va être examiné en extrême vitesse. Comme l’a annoncé jeudi devant le Sénat le premier ministre, Edouard Philippe, ce texte sera présenté en Conseil des ministres mercredi prochain. Il sera examiné par les députés jeudi, puis par les sénateurs vendredi. L’objectif est de tout boucler avant les vacances parlementaires de Noël, vendredi 21 décembre au soir. Soit trois jours pour adopter un texte, un record…

Selon nos informations, le projet de loi, qui ne devrait comporter que quatre ou cinq articles, devrait être transmis ce vendredi soir par le gouvernement au Conseil d’Etat, dont la consultation préalable est obligatoire. Il ne donne qu’un avis. L’empressement de l’exécutif s’explique : s’il veut que ses propositions sur la CSG, la prime défiscalisée, les heures supp’ et les 100 euros au niveau du Smic soient en vigueur en 2019, il faut les voter avant la fin de l’année.

« Ce n’est plus la procédure accélérée mais la procédure super accélérée ! »

Reste que chez les sénateurs, si on comprend la nécessité de répondre aux gilets jaunes, cet empressement passe mal. « Ce n’est plus la procédure accélérée (ou chaque chambre ne fait qu’une lecture au lieu de deux, ndlr), là nous sommes dans la procédure super accélérée ! » constate Jean-Pierre Sueur, sénateur PS. « En quelques décennies de vie parlementaire, je n’ai jamais vu ça » avoue le sénateur du Loiret. Pour Jean-Pierre Sueur, « il faut faire moins de lois et passer plus de temps à les faire. C’est un acte noble d’écrire la loi. Tout mot s’applique à tous les Français et pendant longtemps. Ça demande du temps et du travail ».

« Tout cela est fait dans la précipitation » ne peut que constater Philippe Dallier, vice-président LR du Sénat. « C’est aussi une marque de mépris. Je décide, le gouvernement fait et le Parlement suit » ajoute Pierre-Yves Collmobat, sénateur France insoumise du Var (membre du groupe CRCE). Pour le sénateur du Var, « on aurait peut-être pu prendre ces décisions avant, surtout que le gouvernement a répété qu’il ne bougerait pas… »

La plus remontée est peut-être la sénatrice UDI Nathalie Goulet :

« On est dans une improvisation absolument complète. Là, on est vraiment un Parlement alibi, une chambre d’enregistrement. Franchement, ce n’est pas des conditions de travail et c’est un irrespect fou. Pas seulement pour les parlementaires mais aussi pour les contribuables car rien n’est chiffré ».

La sénatrice de l’Orne ajoute : « Je suis assez favorable à valider les propositions, mais on est passé dans un régime présidentiel avec un Parlement potiche. Il décide et on vote. C’est un texte suppo car on n’a rien à discuter »…

Pour compliquer l’affaire, si le Sénat veut permettre une adoption d’ici vendredi prochain, il n’aura pas de marge de manœuvre. « A la vitesse où ça va, pas question de déposer des amendements ou on repart pour le début d’année » souligne Philippe Dallier. Autrement dit, il faudra voter le texte « conforme ». Soit dans les mêmes termes que les députés.

Le rapporteur du texte au Sénat « en contact permanent avec les ministres »

C’est bien ce qui se prépare, nous confirme Jean-Marie Vanlerenberghe, sénateur Modem (parti membre de la majorité présidentielle). Il sera rapporteur du projet de loi au Sénat. Pour lui, l’urgence est justifiée et « indispensable » dans cette situation exceptionnelle. « Nécessité fait loi, si on veut être au rendez-vous avec les Français qui attendent que les mesures soient prises » ajoute-t-il.

En lien avec le président LR du Sénat, Gérard Larcher, Jean-Marie Vanlerenberghe est à la manœuvre pour discuter en amont du projet de loi. « Le compromis, c’est dans son ADN » rappelle le sénateur du Pas-de-Calais. Faute de temps pour examiner en séance le texte, l’idée est de profiter des quelques jours qui précédent le Conseil des ministres. « Je suis en contact permanent avec les ministres concernés, leurs cabinets, l’Assemblée et les administrations du Sénat pour essayer de trouver la meilleure ligne possible » confie le rapporteur de la commission des affaires sociales à publicsenat.fr. Il expose le plan de bataille :

« Il faut avoir, dès le début de la semaine prochaine, des rencontres tripartites – gouvernement, Sénat, Assemblée – pour essayer de nous mettre d’accord afin d’aboutir à un vote conforme ».

Une sorte de commission mixte paritaire, où députés et sénateurs tentent habituellement de trouver un texte commun en fin de procédure parlementaire, mais avant l’heure ? « Oui. Si on veut éviter des conflits inutiles, la concertation préalable entre les deux assemblées et le gouvernement sont de nature à favoriser l’accord. L’art du politique, c’est le compromis. Certains ne le comprennent pas ». Jean-Marie Vanlerenberghe précise qu’avec son collègue « Alain Milon (président LR de la commission des affaires sociales, ndlr), on est bien d’accord sur l’idée de trouver par la concertation des points de convergences ». Lors du vote cette semaine permettant la hausse de la prime d’activité, le président du groupe LR, Bruno Retailleau, avait déjà annoncé que son groupe voterait la mesure « par esprit de responsabilité ».

Sur le fond, on comprend que le Sénat pourrait chercher à faire évoluer, ou du moins préciser les choses. « Sur la CSG et la hausse de revenu au niveau du Smic, il peut y avoir des interprétations diverses dans leur modalité d’application » souligne Jean-Marie Vanlerenberghe. Il rappelle que « le Sénat a voté en 2017 la suppression de l’augmentation de la CSG pour tous les retraités »… Pour les économies, le sénateur Modem a son idée : « Maintenir le CICE et supprimer les exonérations de charge prévues pour les entreprises. Les 20 milliards d’euros à trouver sont là ».

« La trêve des confiseurs, les gilets jaunes s’en foutent ! »

Si le plan se passe sans accroc, le Parlement aura adopté vendredi soir les mesures qui pourront être promulguées avant le 31 décembre. Reste que cet empressement ne convainc pas la centriste Nathalie Goulet. « Je veux bien que les parlementaires partent en vacances de Noël, mais le monde ne s’arrête pas de tourner. Il y a des tas de gens qui travaillent le lendemain de Noël. La trêve des confiseurs, les gilets jaunes s’en foutent ! » Elle ajoute : « J’aimerais mieux qu’on prenne un peu notre temps pour regarder ce texte, sinon, c’est vraiment une mascarade. Et le réveil sera difficile avec les chiffres ». La sénatrice prédit déjà un projet de loi de finances rectificatif dès la rentrée de 2019, avec les mesures d’économies. Les parlementaires auront peut-être, cette fois, un peu plus de temps pour en débattre.

Dans la même thématique

Formulaire de demande de RSA (Revenu de solidarite active), allocation assurant aux personnes sans ressources un revenu minimum variable selon la composition du foyer
7min

Politique

Assurance-chômage : quand le candidat Macron promettait une « assurance-chômage pour tous » en 2017

« Oui, il y aura une réforme de l’assurance-chômage cette année », a annoncé le Premier ministre, ce mercredi 27 mars, chez nos confrères de TF1. Troisième réforme en la matière depuis l’élection du Président de la République, ses conditions ont largement été durcies en sept ans… loin de la promesse du candidat Macron qui proposait de faire de l’assurance-chômage, un droit « universel ».

Le

French PM gathers the government for a seminar on work
10min

Politique

Réforme de l’assurance chômage : « Depuis 2017, les partenaires sociaux se sont fait balader et avec Gabriel Attal, ça sera la même chose »

La nouvelle réforme de l’assurance chômage que prépare le gouvernement passe mal chez les sénateurs. « On a dévoyé la gouvernance de l’assurance chômage », dénonce la sénatrice LR Frédérique Puissat, qui défend le rôle des syndicats et du patronat. « Attaché » aussi au paritarisme, le centriste Olivier Henno, « comprend » en revanche l’idée de réduire la durée des indemnisations. Quant à la socialiste Monique Lubin, elle se dit « atterrée » que le gouvernement relaye « cette espèce de légende selon laquelle les gens profiteraient du chômage ».

Le