Grand âge : retour laborieux de la cinquième branche de la Sécurité sociale devant le Sénat

Grand âge : retour laborieux de la cinquième branche de la Sécurité sociale devant le Sénat

Les interrogations des sénateurs restent nombreuses à l’issue de l’examen du chapitre du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2021 mettant en œuvre la nouvelle branche consacrée à la prise en charge de la dépendance. Les débats, sur son périmètre et son financement, ont été difficiles à mener en l’absence d’un projet de loi grand âge et autonomie.
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Quatre mois ont passé, et les mêmes doutes subsistent au Sénat. Lorsqu’ils ont approuvé en juillet la création de la cinquième branche de la Sécurité sociale, dédiée à la prise en charge de la perte d’autonomie (grand âge et handicap), les sénateurs soulignaient que leur soutien n’effaçait pas leur peur de se trouver face à une « coquille vide ». Ce 12 novembre, lors des discussions sur l’article 16 du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2021, qui consacre pour la première fois la nouvelle branche dans ce rendez-vous annuel parlementaire, le scepticisme a encore gagné de nombreux bancs. « On a l’impression que c’est plus un affichage qu’une réelle volonté » : René-Paul Savary (LR) a résumé l’état d’esprit d’une partie non négligeable de ses collègues.

À l’issue d’un débat dont les sénateurs ont vite senti les limites, budgétaires et financières, l’article 16 a été massivement adopté par 317 voix pour et 15 contre, après avoir été amendé. La plupart des groupes ont voté favorablement, à l’exception du groupe écologiste, solidarité et territoire, qui s’est abstenu, et du groupe CRCE (communiste, républicain, citoyen et écologiste) qui s’est opposé. Marie-Noëlle Lienemann, apparentée au groupe CRCE, a dénoncé un texte « à des années-lumière des besoins immédiats ».

Le principe de la branche autonomie, c'est-à-dire la prise en charge d’un risque financé avec des ressources affectées, ne fait pas fondamentalement débat. Il suscite au contraire des espoirs. « Cela fait 20 ans qu’on en parle », a salué la sénatrice centriste Élisabeth Doineau. L’article 16 avait principalement pour objet de clarifier les missions de la CNSA, la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, devenue le centre névralgique de la nouvelle branche. Plusieurs amendements ont été adoptés afin de préciser au maximum son rôle, et de ne pas constater de retour en arrière avec la situation actuelle.

« On discute dans le vide »

Selon les apports du Sénat, la CNSA devra contribuer au financement de l’habitat inclusif, soutenir la formation dans le domaine de l’aide à l’autonomie, ou encore, appuyer les maisons départementales des personnes handicapées. Le texte issu du Sénat indique également que la CNSA, dans ses réflexions, devra inclure la possibilité de mener des différenciations territoriales dans les politiques nationales de prise en charge de l’autonomie ou encore de répondre aux inégalités entre les femmes et les hommes.

Au fur et à mesure des demandes de retraits d’amendements, lorsqu’il était par exemple proposé d’instaurer des guichets uniques ou de se pencher sur le statut des personnels des Ehpad, les sénateurs ont eu la désagréable sensation de débattre à rebours. L’ombre d’un projet de loi planait au-dessus de l’hémicycle : le projet de loi autonomie et grand âge. Un texte qui n’existe pas encore et qui est attendu pour 2021. Un horizon qu’a réaffirmé le secrétaire d'État Adrien Taquet au sénateur LR Bernard Bonne qui l’interrogeait « les yeux dans les yeux » (voir la vidéo). « Ce projet de loi de financement de la Sécurité sociale, ce n’est pas le bon véhicule », s’est agacé le sénateur LR René-Paul Savary. « On discute dans le vide », s’est ému la sénatrice écologiste Raymonde Poncet Monge. « On ne va pas dans l’ordre, il aurait fallu d’abord que nous ayons la discussion sur la loi grand âge et autonomie. »

Qualifié de « fondations » pour la politique de l’autonomie par Adrien Taquet, ce PLFSS a laissé les sénateurs dans une certaine confusion, eux qui auraient bien aimé disposer du projet de loi grand âge comme cadre de référence. Comment dès lors bien cerner le périmètre des missions de la CNSA ? « On est en train de faire un peu un listing à la Prévert de ce qu’on va donner à la CNSA, et de ce qu’on ne va passer donner », a résumé le sénateur LR, Philippe Mouiller. Le rapporteur de cette nouvelle branche pour la commission des affaires sociales n’a pas caché ses inquiétudes pour les prochains mois.

Les pistes de financement jugées trop précoces

L’incompréhension de beaucoup de sénateurs était plus profonde encore, une fois arrivé sur le volet du financement. La politique de l’autonomie va nécessiter des moyens nouveaux, avec le vieillissement de la population. Selon le rapport Libault, ce sont plus de six milliards d’euros supplémentaires qui seront nécessaires en 2024, et plus de neuf en 2030, pour prendre en charge le grand âge. Les dépenses à venir sont nombreuses, et vont de l’amélioration du taux d’encadrement dans les Ehpad aux investissements pour maintenir les personnes à domicile. Là non plus, les propositions de recette n’ont pas été retenues.

Le groupe communiste proposait par exemple de taxer exceptionnellement les encours supérieurs à 100 000 euros dans l’assurance vie. « L’idée est intéressante mais n’anticipons pas les conclusions de la conférence des financeurs », a fait savoir le rapporteur général, Jean-Marie Vanlerenberghe, décidé à modérer les propositions tous azimuts de financement. « Cela prouve que les choses ont été faites à l’envers », s’est indignée plus tard la sénatrice socialiste Monique Lubin. Afin de « catalyser » la prise de décision, le Sénat a enjoint, dans un amendement, la conférence des financeurs à remettre ses propositions aux parlementaires « avant le 1er avril 2021 ».

Face aux critiques de « coquille vide », le secrétaire d’État Adrien Taquet a rappelé à l’hémicycle que la branche autonomie comptait « plus de 2,5 milliards d’euros de nouvelles mesures ». Principalement des revalorisations salariales pour les personnels des Ehpad, mais aussi des investissements numériques et immobiliers, ou encore l’appui aux départements dans les primes versées aux aides à domicile. Le secrétaire d'État en charge de l'Enfance et des Familles s’est également saisi de l’occasion pour souligner que la branche autonomie ne partait pas de zéro : 28 milliards d’euros de CSG son déjà fléchés vers la CNSA. Et une nouvelle fraction de la CSG sera affectée en 2024 (à hauteur de deux milliards d’euros).

Quant au long terme, Adrien Taquet a préféré insister sur la difficulté de l’exercice. « Vous le savez, l’équation est difficile, entre les transferts, les économies, et les nouveaux prélèvements obligatoires. La voie de passage n’est pas simple. Peut-être encore moins aujourd’hui en période de crise. »

« Je vais voter pour, et j’ai l’impression d’être piégé »

Alors que beaucoup d’éléments manquaient à l’appel, le Sénat a par ailleurs supprimé une demande d’habilitation du gouvernement de légiférer par ordonnance « pour mettre le Code de l'action sociale et des familles en cohérence avec le Code de la Sécurité sociale ». Les multiples avis défavorables exprimés par le gouvernement sont mal passés dans les rangs du Sénat. « De quelle marge de manœuvre bénéficiez-vous quand venez au Parlement, Monsieur le ministre ? », s’est demandé le centriste Olivier Henno. « On en vient à douter de l’utilité de nos débats si tout est cadré par avance. » « Aucune possibilité de négocier ! » s’est indigné le sénateur LR Bernard Bonne. Et d’ajouter : « J’en reviens à me demander si on n’aurait pas dû voter la motion de suppression de cet article. »

À l’issue de cette soirée consacrée à la cinquième branche, les sénateurs, amers, ne se sont pas avoués vaincus, mais n'ont pas caché leur déception. « Cela paraît mal engagé mais on est là pour aider », a promis René-Paul Savary (LR). « Ce qui est présenté est insatisfaisant », a regretté le sénateur apparenté PS Bernard Jomier. Le rapporteur Philippe Mouiller (LR) a rappelé que le Sénat souhaitait être impliqué dans le futur projet de loi. « Une grande réforme à cette échelle là doit avoir une forme de consensus généralisé, et ce soir, vous ne l’avez pas », a-t-il averti, face au gouvernement.

L’un des nouveaux sénateurs élus en septembre, Pierre-Jean Verzelen (Les Indépendants - République et Territoires) a résumé son malaise : « Je vais voter pour, et j’ai l’impression d’être piégé. »

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