Haine en ligne : le Sénat vide en partie de sa substance un texte polémique

Haine en ligne : le Sénat vide en partie de sa substance un texte polémique

Réservés sur la proposition de loi Avia qui vise à lutter contre les propos haineux sur Internet, les sénateurs ont supprimé l’obligation pour les plateformes type Facebook ou Twitter de retirer en 24 heures les contenus illicites. Les sénateurs, comme nombre d’opposants, craignent les conséquences sur la liberté d’expression.
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Tout le monde s’accorde pour saluer un objectif louable. Mais qui fait beaucoup de mécontents. La proposition de loi de la députée LREM, Laetitia Avia, de lutte contre la haine sur Internet, concentre en effet les critiques. Après avoir été adopté l’été dernier par les députés, le texte est examiné en séance mardi 17 décembre par le Sénat. Lors de son passage préalable en commission, cette semaine, les sénateurs ont adopté la proposition de loi, mais après l’avoir largement modifiée.

C’est la multiplication des propos haineux, racistes sur les réseaux sociaux, parfois des torrents de boue qui s’abattent de façon souvent anonyme, qui ont poussé au dépôt de cette proposition. Sur le principe, personne ne voudra s’opposer à cette lutte. Mais dans la pratique, le dispositif prévu par Laetitia Avia, qui a le soutien du gouvernement, passe mal.

« Contraire au droit européen »

Les sénateurs ont donc tout simplement supprimé la principale disposition du texte. Elle prévoit d’obliger les plateformes, type Facebook ou Twitter, et les moteurs de recherche, à retirer les contenus « manifestement » illicites, signalés par les utilisateurs ou la police, dans un délai de 24 heures, sous peine de sanction.

Selon le rapporteur du texte, le sénateur LR Christophe-André Frassa, cette disposition est « contraire au droit européen » et « déséquilibré aux dépens de la liberté d’expression ». La crainte vient que les plateformes aillent trop loin et retirent des contenus pourtant légaux. « J’avais en tête l’exemple allemand d’une loi qui a amené à retirer des contenus qui manifestement n’étaient pas illicites. Et il y a eu plus de 200 recours devant les tribunaux allemands de personnes qui estiment qu’on leur a retiré des contenus absolument pas en infraction » explique le sénateur représentant les Français établis hors de France, qui ajoute : « La sanction pénale, dans une maison où on est très attaché à liberté d’expression comme le Sénat, n’était pas la bonne voie à emprunter ». S’il est « totalement convaincu qu’il faille mener le combat contre la haine en ligne », Christophe-André Frassa pense que « les sites des professionnels de la haine en ligne sont difficiles à traquer ».

« Ne pas remettre en cause une liberté démocratique fondamentale, la liberté d’expression »

« On va faire un sort à la loi Avia, on ne va certainement pas voter ce qui nous est arrivé de l'Assemblée. Pas question de confier la police de notre liberté d'expression aux GAFA », avait prévenu avant le président du groupe LR du Sénat, Bruno Retailleau.

Le président de la commission des lois, le sénateur LR Philippe Bas, défend un certain équilibre. « Le législateur doit mener une lutte résolue contre le développement de contenus haineux sur internet, il doit prendre garde de ne pas remettre en cause une liberté démocratique fondamentale, la liberté d’expression, dont les restrictions doivent être proportionnées et appliquées sous le contrôle effectif de l’autorité judiciaire. Le texte adopté par la commission témoigne de la recherche de cet équilibre toujours délicat » a soutenu par communiqué Philippe Bas.

« Une première victoire contre la loi » salue la Quadrature du Net

Une décision directement applaudie par la Quadrature du Net, qui pourfend le texte avec méthode. C’est « une première victoire contre la loi » a salué l’association de défense des libertés sur Internet. Mais pour la Quadrature du Net, il « faut que le Sénat aille encore plus loin qu’aujourd’hui en rejetant le texte dans son ensemble », « purement et simplement ».

L’association apprécie en revanche beaucoup moins un amendement adopté par la commission, qui prévoit de donner plus de pouvoir au CSA. Le texte ne concerne à la base que les plateformes dépassant un nombre d’utilisateurs fixé par décret (ce pourrait être 2 millions). Avec l’amendement du rapporteur, la loi s’appliquerait aussi à d’autres plateformes, définies par le CSA. Serait concerné « un site ou service qui, bien qu'ayant une activité moindre, joue pourtant un rôle significatif dans la diffusion en ligne des propos haineux en raison ».

Selon la Quadrature du Net, « la nouveauté du jour est que, en plus de décider des règles qu’il imposera, le CSA décidera aussi des plateformes auxquelles les imposer. Les risques d’abus, notamment contre les plateformes indépendantes et contre le Web libre et décentralisé, sont décuplés ». Le rapporteur LR défend sa ligne, qui diffère ici de l’association. « Je suis par contre totalement convaincu qu’il faut un organe de régulation. Évidemment le CSA doit avoir les outils pour exercer cette régulation » soutient Christophe-André Frassa.

Oppositions multiples, de la Commission européenne aux travailleuses du sexe

Outre la Quadrature du Net, la liste des opposants au projet de loi est longue. A commencer par la Commission européenne elle-même, qui dénonce aussi, selon une lettre publiée par Next Inpact, le risque d’entraîner « la suppression de contenu licite et par conséquent (de porter) atteinte à la liberté d’expression », sans oublier le risque d’une incompatibilité avec « la directrice sur le commerce électronique » par la mise en place probable de « filtrage automatique et général » de tous les contenus des plateformes.

Sébastien Soriano, président de l’Arcep, l’autorité de régulation des télécoms, a pointé de son côté un « naufrage de méthode ». Mise en garde aussi du Conseil national du numérique, ou encore des travailleurs et travailleuses du sexe, qui ont prévu de manifester mardi prochain devant le Panthéon. Dans une tribune publiée sur Libération, ils expliquent qu’en voulant lutter contre le « proxénétisme sur Internet », un amendement de Laetitia Avia risque de les mettre à mal.

A noter que l’amendement du sénateur ex-LR Jean-Pierre Grand, qui visait à punir de 15.000 euros d'amende la diffusion d’image des policiers, a été jugé irrecevable. Il ne sera donc pas dans le texte. Au moment où les violences policières se multiplient lors des manifestations, sa proposition avait suscité l’émoi chez les journalistes, qui y ont vu une atteinte à la liberté de la presse et au droit d’informer.

 

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