Haine en ligne : les sénateurs et Cédric O débattent des solutions contre les « incendiaires du web »

Haine en ligne : les sénateurs et Cédric O débattent des solutions contre les « incendiaires du web »

À l’initiative de Claude Malhuret (Les Indépendants), un débat s’est tenu au Sénat avec le secrétaire d’État chargé du Numérique, intitulé « contenus haineux sur internet : en ligne ou hors ligne, la loi doit être la même ». L’occasion pour le gouvernement de préciser les solutions législatives qu’il veut mettre en œuvre rapidement.
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L’attentat de Conflans-Sainte-Honorine n’a fait que renforcer sa conviction. Depuis l’assassinat de Samuel Paty, « préparé par les torrents d’injures des fanatiques sur les réseaux », le sénateur Claude Malhuret, le président du groupe Les Indépendants – République et territoires, donne de la voix contre ce qu’il nomme les « réseaux antisociaux ». Le sénateur de l’Allier, qui fait souvent parler de lui sur Twitter grâce à la verve de ses interventions en tribune, avait convoqué ce 19 novembre au Sénat un débat interactif entre les groupes politiques et le gouvernement. Le thème ? « Contenus haineux sur internet : en ligne ou hors ligne, la loi doit être la même ».

Cinq mois après la censure de l’essentiel de la loi Avia (contre les contenus haineux) par le Conseil constitutionnel, Claude Malhuret a estimé qu’il était « urgent de se donner des lois enfin efficaces contre la haine en ligne ». « Comment comprendre que l’on n’impose pas aux plateformes ce qu’on impose à la presse depuis 1881 ? » s’est-il exclamé.

« Tout un pan de l’internet est devenu un dépotoir »

Inquiet du sentiment d’ « impunité » de certains internautes, le sénateur n’a pas manqué de décocher plusieurs flèches contre les grandes plateformes numériques, dont il dénonce la « passivité » et le modèle économique, fondé sur des algorithmes qui favorisent la « viralité de propos indignés, haineux ou injurieux ». « Une bonne partie de l’écosystème des réseaux sociaux ressemble chaque jour un peu plus à des gangs rivaux s’agressant dans des quartiers mal famés », a-t-il dénoncé. Harcèlements, propos racistes ou sexistes, menaces de mort ou apologie du terrorisme, le sénateur fait le douloureux constat que « tout un pan de l’internet est devenu un dépotoir ». Face au problème qu’il devient « urgent d’endiguer », le sénateur a estimé que plus personne ne pouvait « fermer les yeux » et qu’il en allait de la « stabilité de nos démocraties » de mener le combat contre les « incendiaires du web ».

Le secrétaire d’État chargé de la Transition numérique et des Communications électroniques, Cédric O, a planté le décor avec une certaine gravité. « Si on n’est pas capable de réguler efficacement internet et de protéger [les] concitoyens, ils finiront par voter pour des solutions un peu plus radicales. » Mais il reconnaît que la résolution du problème est complexe, à cause du caractère massif des infractions. Le retrait des contenus problématiques ne sera qu’une partie de la réponse.

« Ils ne sont pas anonymes, ils sont sous pseudonymes »

La chaîne judiciaire est au « cœur du sujet », selon lui. « Ma conviction profonde ? Le fond du sujet c’est la peur du gendarme », a-t-il insisté. La création d’un parquet spécialisé et le futur dispositif de la plainte en ligne l’an prochain devraient aller dans le sens d’une meilleure efficacité. C’est ainsi que le gouvernement avait annoncé ces nouvelles mesures.

Cédric O a rapidement affirmé son opposition aux demandes de mettre fin à l’utilisation de l’anonymat en ligne. « Ils ne sont pas anonymes, ils sont sous pseudonymes. On sait les retrouver ». De même, il a fermé la porte à la proposition de la sénatrice Vanina Paoli-Gagin (Les Indépendants) de conditionner l’inscription à un réseau social à la transmission d’une preuve de son identité. « Il est illusoire de croire que c’est constitutionnellement faisable », a argué le ministre. Il est en revanche allé dans le sens des sénateurs qui appelaient à promouvoir l’éducation comme solution de long terme. « Aucune loi n’empêchera jamais ces discussions de comptoir sur internet qui peuvent mener à la violence sans le filtre de la conversation et du débat éclairé. Seule l’éducation limitera les effets », a ainsi exposé le sénateur Eric Gold (Rassemblement démocratique, social et européen).

La directive européenne devrait être introduite dans le projet de loi de lutte contre les séparatismes avec un amendement du gouvernement

Le secrétaire d’État en est convaincu, le sujet devra « d’abord » être réglé au niveau européen, le « bon niveau de la régulation ». La France attend en effet avec impatience le Digital Services Act de la commission européenne, que Thierry Breton (commissaire chargé du numérique) et la danoise Margrethe Vestager (concurrence) présenteront le 9 décembre. Éric Dupond-Moretti avait d’ailleurs précisé ce 18 novembre que le texte européen aurait la forme d’une directive, ce qui nécessitera une transposition dans le droit national. Cédric O a assuré qu’un accord entre les États membres était possible sur le fait d’imposer une obligation de moyens aux plateformes numériques. « On doit les obliger à être au bon niveau de modération », a-t-il expliqué, précisant que la définition des contenus illicites devrait rester au niveau de l’échelon national.

Interrogé par le sénateur LR Christophe-André Frassa (l’ancien rapporteur au Sénat de la proposition de loi Avia) sur le contenu du projet de loi de lutte contre le séparatisme attendu également le 9 décembre, Cédric O a souligné que l’exécutif entendait aller vite. « La volonté du gouvernement, c’est de pouvoir probablement, dans le cadre de ce projet de loi, dès lors qu’on connaîtra les propositions européennes, les traduire un peu par anticipation, compte tenu de l’urgence sur ce sujet. »

Des sénateurs rompus à la mécanique parlementaire en ont vite tiré la conclusion que la transcription serait donc introduite par voie d’amendement gouvernemental au cours de la discussion parlementaire, excluant le passage devant le Conseil d’État, chargé de vérifier la bonne conformité des projets de loi. « Un réexamen n’aurait pas fait de mal », a fait remarquer le socialiste Franck Montaugé, y voyant une réintroduction de la controversée loi Avia. « On espère avoir le temps de faire une saisine rectificative, le cas échéant », a répondu Cédric O, conscient de la « sensibilité » juridique de ces dispositions. Le secrétaire d’État en a d’ailleurs profité pour rappeler que le Conseil d’État s’était fait « déjuger par le Conseil constitutionnel » sur l’article 1 de la loi Avia.

Proposition de loi sur la sécurité globale : « La volonté du gouvernement, c’est d’aller jusqu’au bout »

Le sénateur Jean-Pierre Grand (membre du groupe LR), qui voulait sanctionner il y a un an la diffusion d’images de policiers et gendarmes identifiables pour éviter d’en faire des cibles sur les réseaux sociaux, a lui aussi abordé un texte brûlant d’actualité : la proposition relative à la sécurité globale, en discussion à l’Assemblée nationale. L’article 24, le plus polémique, prévoit de pénaliser la « diffusion, dans le but qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, de l’image du visage ou tout autre élément d’identification » d’un policier ou gendarme. Son adoption fait craindre une atteinte à la liberté de la presse et d’information. D’où une crainte du sénateur de l’Hérault sur la transmission du texte au Sénat, une fois le texte adopté par les députés. « Est-ce que le gouvernement, dans cette affaire-là, va tenir le coup et inscrire en janvier cette proposition de loi au Sénat ? »

Comprenant les « réticences d’une partie de la population », Cédric O a répondu que la réponse appartenait au ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, mais il n’a pas douté de son inscription à l’ordre du jour. « La volonté du gouvernement, c’est d’aller jusqu’au bout. On ne le fait probablement pas pour la galerie uniquement à l’Assemblée nationale. Je peux vous confirmer qu'en toute logique, le gouvernement ira le plus vite possible sur le sujet. »

Souvent, la question de la ligne de crête entre liberté d’expression et lutte contre les contenus haineux est revenue dans les débats. Opposé au reproche de « privatisation de la censure » accolé à la loi Avia, Claude Malhuret a affirmé que la censure « existait » déjà aujourd’hui. « La censure, ce sont les milliers d’internautes qui n’osent plus s’exprimer sur les réseaux sociaux, qui ont résilié leur abonnement pour ne plus s’exposer aux attaques racistes, antisémites, homophobes, sexistes, menées sous forme de raids en bande organisée ou de fermes de trolls submergeant les pages individuelles. C’est là qu’est le scandale. »

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