Haine sur Internet : après des propos de Belloubet, les sénateurs PS craignent que la loi vise la presse

Haine sur Internet : après des propos de Belloubet, les sénateurs PS craignent que la loi vise la presse

Dans la cadre du texte sur la lutte contre les propos haineux sur Internet, Nicole Belloubet explique que les plateformes n’auront pas à faire la différence entre les propos tenus par « un journaliste ou une personne privée ». Des propos de la ministre de la Justice qui suscitent l’inquiétude des sénateurs.
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La proposition de loi de lutte contre les contenus haineux sur Internet concentre déjà les critiques. En cause, des risques induits pour la liberté d’expression. En quelques mots, la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, a réussi à en rajouter une. Elle concerne la liberté de la presse.

Mardi soir, lors de l’examen du texte de la députée LREM Laetitia Avia, le sénateur PS David Assouline défend un amendement visant à exclure la presse du champ d’application de ce texte qui veut obliger les grandes plateformes, type Facebook ou Twitter, à retirer sous 24 heures les contenus haineux, sous peine de sanction.

« Dire les choses de façon très claire rassurerait le monde de la presse »

Le texte ne vise pourtant pas les médias. Mais selon le sénateur PS de Paris, « dire les choses de façon très claires rassurerait le monde de la presse, et notamment de la presse en ligne, qui a de fortes inquiétudes ». Le rapporteur LR, Christophe-André Frassa, qui a largement vidé de sa substance le texte dans son ensemble, s’oppose pour le coup à l’amendement, au titre, justement, que les éditeurs de presse ne sont pas concernés. Il « passe le relais au gouvernement, qui devrait vous rassurer et rassurer le sort des éditeurs de presse en ligne ».

Mais quand Nicole Belloubet prend la parole, ses propos ne sont pas tout à fait ceux attendus… « La loi de 1881 sur la liberté de la presse institue un régime de responsabilité qui vaut pour tous ceux qui tiennent des propos publics, même si l’existence de règles déontologiques limite en principe la diffusion de contenus haineux par les entreprises de presse » explique la garde des Sceaux (voir la vidéo), qui ajoute :

Il serait donc difficilement justifiable de traiter différemment un contenu haineux selon qu’il ait été émis par un journaliste ou non

Des propos de la ministre, non pas haineux, mais inflammables. Sur les bancs socialistes, mais pas seulement, ont réagi aussi sec. « Ce que vient de dire la garde des Sceaux est extrêmement préoccupant » lance la sénatrice PS Marie-Pierre de la Gontrie, qui comprend que « le champ de la presse serait intégré ». « Je ne m’attendais pas à cette réponse » ajoute la sénatrice de Paris. Elle insiste : « Du coup, nous sommes saisis d’un débat capital. Considérons-nous que ce texte s’applique à la presse ou non ? Pour nous c’est évidemment non ».

« C’est un coup de théâtre ! »

David Assouline enchaîne : « C’est un coup de théâtre ! Je m’attendais à ce qu’on me réponde "votre amendement est satisfait, la loi de 1881 supplante tout". La ministre dit "non, la presse est dans ce champ-là" » s’inquiète le socialiste, qui souligne au passage que « des plateformes ont censuré des articles de presse car elles n’ont pas évalué la contextualisation faites par des journalistes pour rapporter des propos haineux ».

Dans les autres groupes, même surprise. « Si ce texte peut concerner la presse, le travail législatif n’est plus du tout le même. On change complètement de registre et d’échelle » recadre le sénateur PCF des Hauts-de-Seine, Pierre Ouzoulias. La sénatrice UDI Natalie Goulet s’associe aux interrogations et annonce son intention de voter l’amendement socialiste. Rien en revanche sur les bancs de la droite. L’amendement a d’ailleurs été rejeté.

Belloubet : « Ce texte ne concerne pas la loi de 1881, qui ne bouge pas, qui n’est pas atteinte »

La ministre reprend la parole et tente, cette fois, de vraiment rassurer et précise : « Le seul objet du texte concerne les seuls opérateurs de plateformes en ligne, Facebook ou Twitter. Ce texte ne concerne pas la loi de 1881, qui ne bouge pas, qui n’est pas atteinte. En revanche, j’ai précisé qu’il n’apparaît pas possible de mettre à la charge des opérateurs de la plateforme des obligations différentes selon que l’auteur est un journaliste ou une personne privée ». La garde des Sceaux ne voit « pas ce qu’il y a d’extrêmement complexe à comprendre ».

Reste que dans sa réponse, la ministre n’a pas précisé ce qui pourrait se passer si un journaliste – ou n’importe qui – relaie sur un réseau social un article de presse qui cite dans son titre des propos jugés haineux.

Pas sûr que les propos de la ministre rassurent totalement, d’autant que le gouvernement a déjà à son actif quelques textes très mal vus par la profession quant à la liberté d’informer : la loi sur le secret des affaires ou la loi sur les fausses nouvelles en période électorale. Dernier épisode en date, la création, soutenu par le gouvernement, du Conseil de déontologie journalistique et de médiation, décrié par de nombreuses SDJ (société de journalistes). Sans oublier la tentation, assumée par Nicole Belloubet l’été dernier, d’ouvrir le débat sur la loi de 1881.

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