« Il y a eu des erreurs, mais je préférerais les qualifier d’exceptions » : les dirigeants d’Orpea sur le gril des sénateurs

« Il y a eu des erreurs, mais je préférerais les qualifier d’exceptions » : les dirigeants d’Orpea sur le gril des sénateurs

Près de deux mois après leur passage devant la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, le président-directeur général d’Orpea, Philippe Charrier, et le président du groupe en France, Jean-Christophe Romersi, étaient auditionnés mercredi 30 mars par la commission d’enquête du Sénat. Les élus, qui cherchent à dresser un état des lieux de l’inspection des Ehpad en France, les ont longuement interrogés sur les faits rapportés dans le livre Victor Castanet, « Les Fossoyeurs ».
Romain David

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« La réponse est non ». Cette phrase est celle qui est revenue le plus souvent dans la bouche de Philippe Charrier, le président-directeur général d’Orpea, mercredi matin. Après Brigitte Bourguignon, la ministre déléguée à l’Autonomie, la veille, ce responsable était auditionné par la commission d’enquête du Sénat sur le contrôle des Ehpad. Il a été très largement interrogé sur les faits décrits par le journaliste Victor Castanet, dans son livre enquête « Les Fossoyeurs », sur un système d’optimisation financière mis en place par le groupe au détriment de la prise en charge des résidents. Fraîchement nommé à la tête d’Orpea après le limogeage d’Yves Le Masne, Philippe Charrier, qui était auditionné aux côtés de Jean-Christophe Romersi, le directeur général d’Orpea France, s’est employé durant deux longues heures à défendre les pratiques du groupe. « Il y a eu des erreurs, mais je préférerais les qualifier d’exceptions », a-t-il plaidé. À plusieurs reprises, le dirigeant a invoqué la difficulté des métiers liés à l’accompagnement de la fin de vie et la crise des vocations traversée par ce secteur. « Les sanctions éventuelles contre Orpea et les mesures de correction que nous allons être amenées à prendre ne vont pas régler tous les problèmes associés à l’accompagnement de la fin de vie de nos aînés », a-t-il averti. Morceaux choisis.

Le groupe Orpea s’est-il opposé à la publication du rapport d’inspection de leurs Ehpad ?

Dans la foulée des révélations du livre de Victor Castanet, le gouvernement a dépêché une inspection sur les Ehpad du groupe, conduite par l’Igas (Inspection générale des affaires sociales) et l’IGF (inspection générale des finances). C’est sur la base de leurs conclusions que l’exécutif a saisi le procureur de la République, et qu’il entend réclamer au groupe le remboursement d’une partie des fonds publics dont il a bénéficié, et qui auraient été employés irrégulièrement. Toutefois, le gouvernement a d’abord fait savoir qu’il ne publierait pas ce document, au nom du secret des affaires.

Auditionnée mardi 29 mars par les sénateurs, la ministre déléguée à l’Autonomie, Brigitte Bourguignon, s’en est expliquée, renvoyant la balle dans le camp d’Orpea. « Le gouvernement ne s’est jamais opposé à la publication du rapport d’inspection. Seul le groupe Orpea peut l’empêcher au titre notamment du secret des affaires », a expliqué la ministre. « J’ai lu, dimanche dans un quotidien, comme vous, que le président du groupe Orpea regrettait la non-publication du rapport. Si les regrets exprimés par Monsieur Charrier se confirment, alors je lui demande de lever le secret des affaires sur tout le rapport. Je lui ai demandé hier par courriel, à deux reprises. Pour l’instant, à l’heure où nous nous parlons, le directeur général d’Orpea nous a répondu qu’il ne voulait pas lever ce qui est couvert par le secret des affaires. »

Interrogé sur ce point mercredi, Philippe Charrier a d’abord assuré que le groupe n’avait « jamais sollicité la non-publication du rapport d’inspection ». Avant de confirmer qu’effectivement, il ne souhaitait pas voir les pages concernées par le secret des affaires être divulguées, pages dont il a d’ailleurs minimisé l’importance. « Le secret des affaires se limite à ce qui relève du droit de la concurrence, nous n’allons pas mettre le détail de nos contrats, mais tout le reste mérite d’être largement diffusé. »

Pourquoi le groupe Orpea n’a-t-il pas lancé une action en justice après la publication du livre « Les Fossoyeurs » de Victor Castanet ?

Le PDG d’Orpea n’a pas mâché ses mots mercredi pour qualifier le livre enquête du journaliste Victor Castanet, à l’origine du séisme médiatique qui ébranle le groupe depuis fin janvier. Il a évoqué un ouvrage « à charge », des « allégations scandaleuses » et même parlé de « diffamation ». Dans ce cas, pourquoi ne pas porter plainte ?, interroge le rapporteur Bernard Bonne. Philippe Charrier a laissé entendre que le groupe se réservait cette possibilité, mais prenait le temps de réunir les éléments nécessaires pour pouvoir réfuter les différentes accusations formulées par le livre. « Nous essayons d’être le plus professionnel possible. Nous avons mandaté deux cabinets de façon à pouvoir répondre à toutes les allégations du livre. »

Le groupe a-t-il cherché à faire des économies sur les repas de ses résidents ?

Victor Castanet dénonce dans son ouvrage les repas rationnés servis aux résidents. Le 19 février, un article du journal Le Monde révélait le contenu d’un document « destiné aux équipes de cuisine du groupe », constitué de fiches de recettes aux grammages précis, mais à peine suffisants pour couvrir les besoins nutritifs journaliers d’une personne âgée. Cette fois, c’est Jean-Christophe Romersi, le directeur général d’Orpea France, qui prend la parole. Dans une très longue explication, ce responsable évoque la façon dont les menus sont conçus, depuis les préconisations d’un médecin jusqu’à leur préparation en cuisine. À aucun moment, toutefois, il n’aborde le cœur du sujet, à savoir la mise en place d’éventuels rationnements. De quoi lui valoir un recadrage de la co-rapporteure socialiste de la commission, Michelle Meunier : « Il y a ici des personnes qui ont été présidentes de conseil d’administration d’Ehpad. Nous savons le fonctionnement d’un Ehpad. Cela vous épargnera de la pédagogie que nous avons en commun. »

Et le rapporteur Bernard Bonne d’enchaîner, un brin agacé par les circonvolutions de ses interlocuteurs. « Est-ce qu’il y a vraiment une volonté de réduire drastiquement la nourriture ? ». Réponse directe, cette fois, du PDG : « Non, nous ne rationnons pas. Aujourd’hui la moitié des résidents qui arrivent en Ehpad sont déjà dénutris ». Les élus n’ont pas manqué toutefois de s’étonner du tarif de 4,73 euros HT consacrés par résident aux achats alimentaires nécéssaires à l'ensemble des repas quotidiens. « Il faut considérer qu’il s’agit d’une négociation [avec les fournisseurs], liée à 13 millions de repas servis chaque année », défend Jean-Christophe Romersi. Remarque cinglante du sénateur Les indépendants, Daniel Chasseing : « Ce prix est extraordinaire, dans les Ehpad où l’on paye moins de 2000 euros par mois, on a un prix à la journée qui est le double du vôtre [pour les repas]. Vous ne devez pas prendre beaucoup de produits français pour l’alimentation… »

Selon les chiffres fournis aux sénateurs par les deux responsables, le tarif journalier moyen des 354 établissements que compte le groupe Orpea est de 84 euros. 17 établissements proposent un tarif mensuel inférieur à 2 000 euros, et 4 présentent des prix qui dépassent les 6 000 euros. Ces écarts se fondent davantage sur la localisation des Ehpad et le coût de l’immobilier que sur les prestations, selon Jean-Christophe Romersi. « L’achat du foncier et la construction du bâtiment ne relèvent d’aucun financement public, d’aucune aide », a-t-il souligné.

Existe-t-il un système de rétrocessions entre Orpea et ses fournisseurs ?

Plusieurs chapitres des Fossoyeurs décrivent un système de rétrocommissions mis en place par Orpea avec ses différents prestataires. Le groupe aurait négocié avec ces derniers des prix au rabais, mais continué de leur verser des sommes plus élevées pour l’achat de fournitures et de dispositifs médicaux, avant de se voir reverser la différence en fin d’année. Une manière de dégager des bénéfices qui n’est pas illégale, mais qui interroge dans la mesure où il s’agit de fonds publics, dont rien ne prouve qu’ils étaient réinvestis dans la prise en charge des résidents. « Il y aurait, enfin et surtout, une partie non négligeable de ces dotations qui reviendraient à la fin d’année au siège du groupe, sous forme de RFA, les fameuses remises de fin d’année », écrit Victor Castanet. Le pré-rapport de l’Igas et de l’IGF, consulté par Le Monde et Les Echos, fait état de 18 millions d’euros de remises entre 2017 et 2020.

« Nous avons arrêté les RFA, nous n’avons pas de RFA. Nous avons ce que l’on appelle des prestations de services », a expliqué Philippe Charrier. « La mission d’investigation a considéré que certaines prestations de service étaient imprécisément décrites dans les contrats, c’est une appréciation qui, à notre sens, est discutable », balaye le PDG.

Le groupe a-t-il fourni à ses résidents des protections de mauvaise qualité ?

Toujours selon le journaliste Victor Castanet, la baisse des tarifs réclamés par Orpea à ses fournisseurs aurait contraint ces derniers à fabriquer des produits de moindre qualité pour rentrer dans leurs coûts. Lors de son audition devant la Haute Assemblée, le 15 mars, le journaliste avait notamment évoqué le cas de protections urinaires moins solides et moins efficaces, élaborées pour pouvoir répondre aux exigences tarifaires du groupe. « L’allégation scandaleuse du livre qui prétend que nous dégradions la qualité des changes pour économiser de l’argent est absolument fausse. Au contraire, c’est exactement l’inverse, nous avons listé le change le plus coûteux [auprès du fournisseur Hartmann, fabriquant de dispositifs médicaux, ndlr] », s’est défendu Philippe Charrier, assurant qu’Orpea était actuellement en train de développer un système de « changes connectés ».

De la même manière, les laboratoires médicaux utilisés par Orpea auraient été sélectionnés en fonction des rétrocessions qu’ils étaient prêts à faire, ce qui aurait poussé le groupe à écarter de petits laboratoires de proximité au profit de grandes chaînes nationales. « Notre échelle étant nationale, avoir un fournisseur qui répond à nos besoins nationaux est à la fois une simplification et une plus grande efficacité », a plaidé Philippe Charrier. « Je ne me suis pas préoccupé des relations contractuelles avec les laboratoires, mais j’ai observé, durant la crise sanitaire, qu’avoir un dialogue au niveau national nous permettait d’avoir un meilleur service au niveau local », a abondé Jean-Christophe Romersi, citant notamment l’approvisionnement en tests de dépistage au plus fort de la crise sanitaire.

Si le groupe n’a pas mis en place un système d’économie au détriment de la prise en charge, comment expliquer le dégagement d’un excédent de 20 millions d’euros, lié à une sous-consommation des crédits publics ?

Interrogés sur cette somme, les deux responsables ont d’abord tenu à minimiser le chiffre, cité par le rapport de l’Igas et de l’IGF. « Ces 20 millions d’euros interpellent, choquent, mais ils ne représentent que 0,56 équivalent temps plein par établissement », glisse le directeur général d’Orpea France. De son côté, le PDG invoque les effets de la crise sanitaire. « Ces excédents ont eu lieu au cours des deux dernières années, c’est le résultat de la crise covid. Regardez nos taux d’occupation, on était très en dessous des EPRD (État des prévisions de recettes et de dépenses). Voilà, c’est mécanique. »

Sur la question du non-remplacement des personnels en cas d’absence ou de vacation, Philippe Charrier assure n’avoir jamais vu passer aucune consigne en ce sens. Là encore, il invoque une conjoncture défavorable : « Nous avons de vrais problèmes de société. Il y a 40 % de personnes en moins qui se présentent au concours d’aide-soignante. »

Parmi les mesures annoncées par le groupe pour éteindre la polémique : renforcer l’autonomie des établissements, la mise en place de « médiateurs famille » et le lancement d’Etats généraux du grand âge dans tous les établissements du groupe. « Votre communication est très bien préparée, très bien léchée pour redorer l’image d’Orpea, nous l’avons entendue. Mais ce sont les actions que vous allez mener qui seront déterminantes », a commenté en fin d’audition la sénatrice Michelle Meunier, soulignant les nombreux engagements pris par le PDG du groupe et son directeur général, qui étaient tous les deux entendus sous serment.

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